« Flippaper », installation à jouer et à dessiner, Jérémie Cortial et Roman Miletitch, 2015, à expérimenter dans le cadre de « FORMULA BULA #3 Bande dessinée & plus si affinités », les 25, 26 et 27/09, Point éphémère et canal de l’Ourcq, avec ateliers, rencontres, installation, exposition, surprises et concert, entrée libre (sauf pour la soirée « Je hais les dédicaces »), Paris 10ème.
« Flippaper », un jeu de dessin ici en version multijoueurs (multi-dessinateurs). © Annabelle Folliet
< 25'09'15 >
Flippaper fait tilter les bulles à Formula Bula
De bêtes raisons de déontologie nous avaient jusqu’ici empêché de parler de Formula Bula, le festival de BD turbulent qui pendant 3 jours à l’automne, le long du canal de l’Ourcq à Paris, explose les frontières de la bande dessinée, dans une programmation éclatée et éclatante. Derrière ce salon « bande dessinée et + si affinités », c’est l’équipe de Ferraille (le supermarché des graphistes et illustrateurs les plus barrés de France, déconnants et défrichants les bulles et planches et modalités de partage du dessin, ici et surtout là-bas). Au prétexte que notre rédacteur en chef était pote avec eux, on se taisait sur poptronics tout en participant et en se régalant des formules de dédicaces (soirée « Je hais les dédicaces », et « dédicroisières » sur péniche), des discussions type « une planche pour l’apéro », des propositions partipatives type « le mur des gros mots ». Ou, cette année, de la liste des invités qui balaie tout ce qui se fait de mieux dans l’illustration aujourd’hui en France (des jeunes et des vieux, des filles et des garçons, des lignes claires et brouillées : Rupert & Mulot, Francis Masse, qui a droit à son expo,, Bastien Vives, Nine Antico, Florence Dupré Latour…). Sans compter toute une bande « autour » de la BD, comme Rodolphe Burger, Kamel Abdessadok, Mehdi et Badrou ou Jean-Pierre Dionnet. Ce joli panel est réuni par Ferraille au Point éphémère et sur le canal donc, pour trois jours de concerts, rencontres, vente de BD (quand même) et autres joyeusetés qu’on vous recommande chaudement.
Toute première sortie Dans le genre extension du domaine du dessin, le « Flippaper » de Jérémie Cortial et Roman Miletitch est absolument parfait, qui fera sans doute son petit effet pour sa toute première sortie en l’état (à l’heure où nous postons ces lignes, la machine est en route pour Paris, où elle sera installée au Point éphémère tout le week-end en accès libre).
Comme son nom l’indique, « Flippaper » est un jeu qui mélange le bon vieux flipper ancêtre du jeu vidéo (le premier ambassadeur de la culture vidéoludique, diraient les théoriciens), et le dessin. Un vrai objet physique, avec sa coque carénée (métal, bois, et mastic polyester) qui rappelle les plus belles bornes d’arcade, et son écran papier sur lequel on dessine en trois couleurs primaires (vert, rouge, bleu) et gros feutres régressifs un parcours ou un gribouillis, qu’importe.
Les couleurs et le trait sont scannés (au lieu du bouton « start », on appuie sur un bouton « scan ») et immédiatement transformés en interface de jeu : chaque couleur a sa fonction (bumper, mur, speed up…) et renvoie la balle (réelle) sur l’écran papier au gameplay dessiné. « J’ai fait ça dans mon garage », explique en rigolant Jérémie Cortial, le Lyonnais à l’origine du projet et par ailleurs co-fondateur du collectif de serial sérighraphistes Elshopo. Plus sérieusement, il aura bien fallu deux ans et demi pour passer de l’idée (« une installation qui fait intervenir le papier et le dessin avec un jeu vidéo ») et l’objet « Flippaper », grâce notamment à la rencontre avec Roman Miletitch, « auteur d’une thèse sur l’intelligence artificielle et magicien et développeur » et qui vit en Belgique.
Avant d’en arriver à cet objet étrange et vraiment ludique, l’artiste et le chercheur sont passés par tout un tas d’étapes de travail et de réflexion. Le jeu de voitures auquel ils avaient spontanément pensé s’est révélé trop compliqué : « On a choisi le Flipper parce que c’est le b-a-ba de la physique. » Un choix rationnel qu’on peut lire a posteriori comme collant parfaitement à l’histoire du jeu vidéo : d’abord mécanique, ce média est né dans les salles d’arcade au côté des machines à sous. « Plus on y bossait, plus on se rendait compte que ça faisait le lien avec les débuts du jeu et de la fête foraine : “Flippaper” est un jeu qui catalyse l’action en extérieur. Un peu comme la fête foraine, le jeu est le prétexte d’un lien avec le monde réel », explique Jérémie Cortial, sorti il y a une quinzaine d’années des beaux-arts de Grenoble.
« Depuis plus d’un siècle, rappelle l’historien Zeev Gourarier, conservateur du patrimoine au Mucem et auteur de « Manèges d’autrefois », toutes les innovations sont passées par la fête foraine, du cinéma aux disques jusqu’aux premiers jeux vidéo. » Plus de cinquante ans après l’émergence du jeu vidéo, qui pèse son poids (lourd) dans les industries culturelles, artistes et game designers indé ont transformé, voire hacké, les principes du gameplay à des fins politiques, sociales, critiques… « Flippaper » est évidemment un rejeton de cette école du détournement, totalement dans la veine des jeux indé-punk à la Eniarof (les fêtes foraines à l’envers organisées depuis l’école des beaux-arts d’Aix-en-Provence par Antonin Fourneau au départ, soutenu par l’artiste américain Douglas Edric Stanley et toute une bande d’artistes et designers). D’ailleurs, la route de Jérémie a croisé celle des Eniarof, qui remettent du bois, de la sciure et du collectif dans la conception de gameplays détournant les règles primaires du jeu vidéo. Le dessinateur a participé à « trois ou quatre » éditions de ces happenings géants fleurant bon le rétrogaming et le DiY. En mode « brouillon », « Flippaper » faisait même partie d’Eniarof 2013 à Aix-en-Provence.
L’aventure « Flippaper » est emblématique des passerelles tissées entre disciplines artistiques : du dessin et de la BD étendus au jeu vidéo, du jeu vidéo étendu au rétrogaming et à l’innovation… Car « Flippaper », avec son côté simplissime, cache bien sûr une part d’innovation (plus c’est simple, plus il y a de boulot derrière…). Le Flipper est rétroprojeté sur la feuille de dessin, tandis que sous la feuille apparaissent en transparence des effets de surbrillance le long des traits, les bumpers et la balle. A l’intérieur, un ordinateur et un programme codé en C++. Si les réglages sur le gameplay sont à peu près finalisés (« Flippaper » a connu une « dizaine de sorties » qui ont permis de tester les différentes configurations et notamment de fusionner le fait de dessiner et de jouer), la programmation, elle, a vocation à s’ouvrir à d’autres collectifs, pour de nouvelles interfaces « XXX-paper ». « Nous travaillons à rendre la conception des jeux vidéo accessible et transversale, une sorte de DiY stimulant », explique le collectif derrière « Flippaper » (la programmation est signée Roman Miletitch, la borne a été conçue par Jérémie Cortial, le son original par Rémi Richarme et Pauline Le Caignec, avec Raoul Canivet, Jérémie Ducret, Biau Logique). Stimulant, sans aucun doute. Amusant, carrément. Même les plus nuls en dessin peuvent sortir des parcours où la balle rebondit sur le bleu avant de ressortir en atteignant le vert. Le tout de façon très conviviale (les dessins-gameplays sont exposés au fur et à mesure, ce qui permet de se rendre compte que tout est permis. Une petite partie ? Plus d’infos sur Flippaper : sur le site dédié, sur l’install, ce Tumblr, sur les dessins de Jérémie Cortial celui-là
L’icône Susan Kare
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