NAO en ouverture du festival Gamerz le 6 novembre (pas le robot, mais l’artiste japonais qui mixe robotique et noise). © DR
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Gamerz, même pas mal en 3D
Aix-en-Provence, envoyée spéciale
Attention, Gamerz ne rigole plus ! Le jeu est devenu « une tâche sérieuse » (ou presque) pour l’effronté festival des arts multimédia d’Aix-en-Provence (Poptronics est un partenaire régulier) qui célèbre sa onzième édition jusqu’au 15 novembre.
Reprenant à son compte l’expression Homo Ludens créée par l’historien Johan Huizinga dans son essai éponyme sur la fonction sociale du jeu, Quentin Destieu, directeur du festival, recentre cette année la réflexion sur la ludification de la société et sur l’émergence de cette nouvelle espèce qu’est le Digital Homo Ludens. Donc toujours et encore du jeu vidéo en cœur de programmation, avec une quarantaine de dispositifs artistiques qui ruent dans les brancards de cette industrie du mass media.
Place d’abord aux performances pour la soirée d’inauguration le 6 novembre à la fondation Vasarely. En ouverture, Emmanuelle Grangier chorégraphie « Link Human / Robot », un ballet tendre et improbable pour une danseuse et un robot Nao. Une création plutôt convaincante si ce n’est le final. Car non, l’intervention du sax n’était vraiment pas nécessaire.
« Link Human / Robot », performance d’Emmanuelle Grangier. © Carine Claude
Dans un registre franchement plus hardi, l’artiste japonais NAO (oui, comme le robot, mais son vrai nom c’est Naoyuki Tanaka) enchaîne avec « MonkeyTURN », un assaut tonitruant d’images projetées en mapping sur un robot téléguidé. Un univers noise efficace et une touche de cynisme pour parler manipulation des esprits.
Pendant ce temps, les filles du collectif Dolls in the Kitchen en tenue de Mario Bros se livrent à une performance de Eat Art en servant leurs pizzas à pois multicolores, clin d’œil à l’excentrique artiste japonaise Yayoi Kusama. Pour le plus grand plaisir des mômes.
Livraison de pizzas par le collectif Dolls in the Kitchen. © Carine Claude
À bloc sur la 3D
Côté installations, les productions made in Gamerz débarquent en force. Elles témoignent du virage 3D pris par le lab du festival ces derniers temps, celui du collectif d’ex-étudiants aux beaux-arts qui a monté la manifestation. C’est « dans la continuité de Parallax, un projet européen qu’on avait développé il y a quelques années avec le ZKM de Karlsruhe », explique Quentin Destieu. Durant le festival, quatre créations produites par le lab dans cette veine sont visibles à la fondation Vasarely.
Pour « Archive d’une frappe », Paul Destieu s’est attelé à un projet de recherche conduit pendant deux ans au lab Gamerz. Les mouvements d’un batteur ont été captés, modélisés puis imprimés en 3D pour figer le son et le geste en une sculpture unique.
« Archive d’une frappe », Modèle #1 (Damien Ravnich, solo pour caisse claire, tom alto et charleston), Paul Destieu (2014-2015). © DR
L’œuvre générative « Shape_of_Memory » de Philippe Boisnard et Arnaud Courcelle remixe en temps réel flux d’images et de textes provenant d’Internet selon leur classement par hits tandis que « Kompressions of false mechaniks in a chamber of 3D hard light » des Superusers se présente comme une installation immersive multi-écrans permettant de visualiser une sorte de big bang digital en 3D.
« Shape_of_Memory » de Philippe Boisnard et Arnaud Courcelle (2015) :
Comme il est rare qu’un festival se déroule sans accrocs, c’est « Syndrome de la Turret », l’installation de Bastien Vacherand qui a en fait les frais cette année. A peine posés que les pieds de sa mitrailleuse grandeur nature imprimée en 3D se sont effondrés… « Ce sont les risques quand on passe à la physicalité ! » soupire Bastien Vacherand sur un ton mi-figue mi-raisin, expliquant que chacune des 54 pièces de cette arme, reproduction extraite du jeu vidéo « Half Life 2 », a été patiemment imprimée en 3D au lab Gamerz à raison de 10h par élément. « Je vais peut-être la réimprimer, mais en 2-3 morceaux avec une machine plus grande ou pourquoi pas, la laisser en l’état. Car cet accident appartient maintenant à l’histoire de l’œuvre. »
Les aléas du direct : les restes de la mitrailleuse « Syndrome de la Turret » de Bastien Vacherand (2015). © Carine Claude
Pour continuer dans la 3D qui donne décidément le ton du festival, l’usine de fabrication de cailloux « PerlinRocks » de LineKernel nichée à l’office du tourisme d’Aix imprime des petites pierres en plastique grâce à Perlin Noise, un algorithme créé en 1983 lors de la réalisation du film « Tron » pour générer du bruit vidéo dans les séquences d’images de synthèse.
« PerlinRocks », LineKernel (2015) imprime une infinité de cailloux uniques. © Carine Claude
Si la direction de Gamerz a mis le paquet cette année sur les résidences d’artistes et la production d’œuvres d’art exposées en première au festival, c’est aussi parce qu’elle attendait une rallonge de budget qui n’est jamais venue. Comme (trop) souvent dans les Bouches-du-Rhône, le festival fait les frais des passes d’armes politiques du mille-feuilles territorial et de la baisse chronique des subventions culturelles, la refonte de sa programmation faisant ici figure de dommage collatéral.
Qu’à cela ne tienne. L’équipe garde le cap de cette édition à la voilure, certes, réduite. Et sa bonne humeur communicative.
Carine Claude
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