« I Want You To Want Me », installation interactive de Jonathan Harris et Sep Kamvar qui explore les sites de rencontre du Net.
« I Want You You Want Me », installation de Jonathan Harris et Sep Kamvar au MoMa. © DR
< 04'03'08 >
Le net-art ne badine pas avec l’amour
Explorer les émotions humaines à l’échelle planétaire : Jonathan Harris et Sep Kamvar poursuivent cette utopie avec leur dernière installation interactive, « I Want You To Want Me », commanditée et présentée par le MoMa lors de la Saint Valentin 2008 dans le cadre de leur exposition « Design and the Elastic Mind ». Une exploration des sites de rencontre et du rendez-vous numérique, entre recherche de soi et quête du grand amour qui se veut être un miroir où les internautes verraient leurs réflexions au fur à mesure qu’ils y entrevoient la vie des autres. En matière de déchiffrage, d’analyse et d’étude des sentiments humains à l’ère de l’interconnexion mondiale, Harris et Kamvar n’en sont pas à leur coup d’essai... En 2005, ils lancent « We Feel Fine », un puissant moteur de recherche artistique qui détecte les occurrences « I feel » et « I am feeling » dans l’immensité des plate-formes de blogs et portails type LiveJournal, MSN Spaces, Myspace, Blogger, Flickr, Google... S’inspirant du « Listening Post » de Ben Rubin et Mark Hansen (2004), qui faisait lire ou chanter les messages des chat-rooms et autres forums par un synthétiseur vocal et les affichait simultanément sur plus de deux cents petits écrans électroniques, « We Feel Fine » puise également sa matière dans les mots du réseau, avec une interface graphique très différente. En effet, chaque minute, « We Feel Fine » trouve, enregistre et classe des ressentis exprimés par des millions d’auteurs anonymes et recherche des informations relatives à l’âge, au genre, à la situation géographique ou encore au temps qu’il fait au moment de la publication de ladite sensation. Résultat : une base de données de quelques millions de sentiments humains, actualisée quotidiennement et croissant de 15 000 à 20 000 données par jour. Une « matière humaine » mise en forme via une série d’interfaces à l’esthétique très réfléchie : « Madness » (folie), « Murmurs » (murmures), « Montage » (montage photographique), « Mobs » (population/foule), « Metrics » (système métrique), et « Mounds » (graphiques elliptiques). Dans chacune des ces formes de représentation humaine, une plasticité unique : celle de la particule. Qu’elles virevoltent dans l’espace de l’écran dans l’interface « Madness » où qu’elles soient sagement alignées en colonnes dans « Mobs (feeling) », chaque particule correspond, par sa forme et sa couleur, à une phrase : la sensation éprouvée d’une unique personne en un temps donné. Si certaines sont liées à une image, toutes sont cliquables, renvoyant à la page du blog d’où elles ont été extraites. Les deux artistes programmeurs offrent ainsi une réponse à des questions quasi existentielles : « Quels sont les sentiments les plus représentatifs chez les femmes new-yorkaises au XXe siècle ? Que ressentent les internautes connectés en ce moment à Bagdad ? Quel était le sentiment majoritaire le jour de la Saint Valentin ? Quelles sont les villes les plus heureuses au monde ? Et les plus tristes ? » Cette même idée de « scanner de l’humain disponible » grâce au Web 2.0 les poussent à réaliser en 2006 « Lovelines », une petite sœur de « We Feel Fine » qui s’occupe non pas de ce que ressentent les gens, « I feel », mais du panel d’émotions entre l’amour et la haine : « I love » « I hate ». Très poétiques et formidablement ludiques, ces deux œuvres rappellent le « Google Adwords Happening » de Christophe Bruno, artiste français qui détourne le système de personnalisation publicitaire Adwords du géant de l’Internet. Pour exister en tant que moteur de recherche pertinent, Google répertorie et indexe tous les contenus des sites Web mondiaux dans sa base de données : texte, parole, photo, image, son… Un scan de la pensée humaine et de l’intimité mondiale que l’artiste dénonce : « Pensez au jour où un moteur de recherche contrôlera la totalité du contenu textuel d’Internet, dans lequel sera conservée la mémoire de l’humanité. Imaginez le pouvoir qu’il détiendra ! » Alarmiste ? Peut-être pas tant que ça… Sep Kamvar, qui est aussi fondateur de Kaltix (une société qui a mis au point une technologie de personnalisation des résultats en fonction de l’individualité de l’utilisateur et a été rachetée par Google en 2003), est aujourd’hui ingénieur en charge des produits de personnalisation chez Google et professeur de mathématiques informatique à l’université de Stanford. Jonathan Harris, artiste accro à l’énumération et à l’archivage de la pensée numérique, a quant à lui, collaboré avec Yahoo pour son projet « Time Capsule », une collecte de témoignages de vie, de pensées et d’angoisses en 2006. La capsule, contenant CD et sauvegardes, a été enterrée dans un lieu tenu secret dans la Silicon Valley puis programmée pour être retrouvée en 2020, lors des 25 ans de Yahoo. Alors, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’interface géographique de « We Feel Fine » qui donne la fâcheuse impression que le « monde entier » est très centré sur les Etats-Unis, et, au vu des données linguistiques du programme, sur des pays majoritairement anglophones. Des zones entières restent irrémédiablement sans particules vivantes. Le monde global interconnecté ne serait-il qu’une illusion ?
Il twittait avec ses chaussures debout
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