Nancy Spero, autour d’Antonin Artaud, Trafic FRAC Haute Normandie, 3, place des Martyrs-de-la-résistance, 76300 Sotteville les Rouen www.frachautenormandie.org, jusqu’au 29 juillet. Galerie Lelong, 13 rue de Téhéran, 75008 Paris http://www.galerie-lelong.com/
"Codex Artaud VI" (détail), par Nancy Spero, 1971. Une sélection des œuvres des années 60-70 de l’artiste américaine Nancy Spero est exposée à Sotteville-les-Rouen, où fut interné Antonin Artaud. © Nancy Spero, Courtesy Galerie Lelong, New York
< 05'06'07 >
L’art de tirer la langue à la Nancy Spero
Pour peindre, il faudrait se couper la langue, disait, peu ou prou, Henri Matisse. Spero l’a prise et elle l’a tournée, plusieurs fois, dans la bouche d’Artaud, avant de tirer la langue, la sienne et celle de ses figures, de la tirer très fort dans ses propres tableaux. D’extraordinaires tableaux, qui sont à la fois des manuscrits, des tapuscrits, des longues bandes et des rouleaux de papier, peint, écorché, froissé dans le vif du sujet… sous le nom de "Codex Artaud". Une sélection d’entre ces œuvres, parmi les plus extraordinaires et les plus méconnues du tournant des années 1960-70 se trouve actuellement au FRAC Haute-Normandie, à Sotteville-les-Rouen. Sotteville, lieu d’un des hôpitaux ou Antonin Artaud fut interné. Vous suivez.
Courez-y.
Nancy Spero, artiste américaine née en 1926 à Cleveland, qui fit ses études à Chicago, qui vit aujourd’hui à New York, séjourna avec son époux, Leon Golub et ses deux enfants, à Paris au tout début des années 1960 (une exposition à Paris, Galerie Lelong, en offre une re-présentation). De la France et de l’Europe, elle a pris à la fois la rage politique et l’intellect, la culture visuelle et la fascination de l’Antique. Un historien d’art, Benjamin Buchloh, a récemment comparé son travail à celui du peintre Cy Twombly : deux artistes qui se sont radicalement séparés de la tradition héroïque, virile de l’expressionnisme abstrait new-yorkais des Jackson Pollock ou De Kooning, en cherchant du côté des « outsiders », de la marginalité sexuelle et visuelle ou d’une poétique du cri, une alternative radicale. Celle d’Artaud par exemple, auquel Spero emprunte son désespoir et sa colère absolus.
Avec cette voix masculine, cette "langue phallique" qu’elle fourre dans les bouches de ses personnages, elle va fourbir les outils de son engagement féministe, qui l’anime à son retour aux Etats-Unis, après 1965, en même temps qu’elle s’engage contre la guerre du Vietnam. Farouchement. Visuellement.
Les "Artaud Paintings" (1971) et le "Codex Artaud" (commencé en 1971) exposés à Sotteville sont à la fois de la poésie "beat", des répertoires de figures, des programmes, des alignements de croix et bâtons, des interjections écrites, des évocations plastiques juxtaposées ou superposées dans une absence de composition délibérée. En sus et de la même période, la série Licit (ce qui est permis, le contraire d’illicite, mais aussi un bout d’explicite) fait jaillir des mots réels ou inversés (SCREW ART : baise l’art) qui admonestent le chaland à coup de larges lettres.
elisabeth lebovici 

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