Exposition « Arts Factory : 20 ans ! », du 31 août au 24 septembre, galerie Arts Factory, 27 rue de Charonne, Paris, 11ème, du lundi au samedi de 12h30 à 19h30
« Morty », sérigraphie (2016, 50X70cm) de Pierre La Police, un « habitué » d’Arts Factory. © Editions Arts Factory
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Les 20 ans d’Arts Factory : Smells like Teen Spirit
20 ans d’aventures graphiques à la marge, ça se fête ! La galerie Arts Factory propose cet automne un panorama en forme de bilan de deux décennies d’expos et événements (environ 200 au compteur). Une expo collective d’où ressort la constante curiosité pour les chemins de traverse de l’illustration, du graphisme et de la bande dessinée qui sont sa marque de fabrique. L’exposition collective à voir jusqu’au 24 septembre présente quatre générations d’artistes outsiders, issus pour la plupart de la BD et de l’illustration, qui ne mâchent pas leurs mots et ne font pas dans la fioriture. Du collectif fondateur Bazooka, actif dès 1974, qui imposa son style punk jusque dans les pages de « Libération », au jeune Simon Roussin issu des dernières promos des Arts Déco de Strasbourg, en passant par les blagues désopilantes de Pierre la Police ou le monstrueux prolifique de Blanquet, l’histoire de cette galerie unique en son genre se livre sur quatre étages, en centaines de flyers, d’affiches, de sérigraphies, digigraphies et revues.
Dans un contexte culturel en pleine descente, comment s’explique cet insolent succès ? On est allé voir les commandants de bord de cette nef des fous pour remonter le fil du temps avec eux.L’histoire d’Arts Factory commence avec Effi Mild. Il y a vingt ans, la jeune Allemande entame un tour des galeries parisiennes, un book sous le bras, pour faire connaître ses amis photographes. L’échec est total, aucune galerie ne daigne ouvrir ses portes. Qu’à cela ne tienne, Laurent Zorzin et elle décident d’ouvrir un lieu. C’est la première période, rue D’Orsel, dans le 18ème… qui va durer une décennie, de 1996 à 2006. « L’idée était de montrer de jeunes artistes à un public plutôt jeune, l’âge qu’on avait à l’époque », expliquent-ils en riant.
Effi Mild et Laurent Zorzin passent une petite annonce dans (feu) « NOVA magazine » (le journal branché de la fin des années 1990) : « Galerie cherche artistes. » Leur répondeur manque d’exploser. Effi se marre : « C’était un truc de malade, je ne me rendais pas compte à quel point ça manquait. » Les premières expos rassemblent peintures, photos, meubles en carton et même artisanat. Un couple d’étudiants, Psyko Tryklo, déposent leurs livres sérigraphiés qui trouvent très vite leur public.
Hors circuit Effi et Laurent découvrent la scène de l’auto-édition et son incroyable diversité : « CBO » de Philippe Huger, « Le Dernier Cri », « Les 4 mers- » fondées par Daniel Vincent, plus connu sous le nom de Tom de Pékin… Les bouquins se vendent bien et leur donnent envie d’exposer les contributeurs. Pour Laurent, « ça correspondait bien avec le concept premier qui était d’exposer des artistes qui, pour des raisons diverses, n’étaient pas dans le circuit des galeries. Il y avait aussi le côté accessible, à la fois d’un point de vue financier et de lecture, il ne fallait pas un mode d’emploi pour décoder les œuvres. » Arts Factory se construit en réaction au système fermé des galeries et ignore superbement leurs codes. Aujourd’hui encore, Laurent et Effi refusent de participer aux foires, au diktat « d’en être », préférant financer des expos que payer un emplacement à prix d’or. « Ces enfilades de stands, je trouve ça indigeste », ajoute Effi.
250m2 à Bastille Car il n’y a pas que les œuvres, le cadre aussi a son importance, un lieu de vie et de lien social dans lequel ils sont au contact du public et des artistes, au quotidien. Après une période de nomadisme de sept ans (le paradoxe ne les effraie pas), ils découvrent la galerie Lavignes, un terrain de jeu de 250m2 sur 4 étages rue de Charonne, qu’ils achètent fin 2013. Précisons qu’ils n’ont ni fortune personnelle ni subvention publique (puisqu’ils n’en demandent jamais, autre rareté).
« Depuis qu’on est ici, on s’est aperçu que ce qu’on aime avant tout, c’est animer un lieu, monter des expos, développer la partie librairie, organiser des cartes blanches à des maisons de disques, des concerts, des showcases. »
En 2003, ils ont monté la Superette, une agence d’illustrateurs qui permet d’équilibrer leurs activités. La diversification est le secret de leur longévité. Mixer, collaborer, sans souci de hiérarchiser : cette attitude typique des cultures underground colle parfaitement aux univers décalés de leurs protégés. C’est ce qui saute aux yeux sur les murs de flyers et d’affiches qui retracent leur parcours. « Dans la marge », le cahier d’écolier pour seule contrainte Au -1, les cahiers « Dans la marge » montrent une autre facette. Arts Factory propose aux artistes de s’emparer des 32 pages d’un cahier d’écolier, sans contrainte de thème, de temps ni de technique. « Le but était de se faire surprendre, précise Effi. On est plus libre sur un cahier que sur un support plus noble et on peut l’emmener partout. » Le premier à le remplir est Daniel Johnston, le pape de l’anti-folk et dessinateur à forte tendance psychotique, dont l’univers est marqué par les héros improbables de son enfance, défenseurs du bien contre le mal (Poptronics avait tiré son portrait en 2008). C’est d’ailleurs l’une des rencontres fondatrices et aussi les plus dingues qu’ils aient faite. Le bonhomme vit retranché dans son monde, son frère en interface. Lorsqu’ils l’exposent au Lieu Unique (ils sont aussi commissaires extérieurs à l’occasion) en 2012, il se balade parmi ses œuvres, admiratif : « There’s a lot of great stuff here ! » (Il y a plein de trucs géniaux ici)…
L’illustrateur Jochen Gerner en fait un cahier de vocabulaire graphique français/allemand où l’humour se joue dans les correspondances ; Blexbolex change radicalement de style et signe une série de portraits ; Hervé Di Rosa le transforme en fanzine dont les auteurs virtuels forment le « Solo Group Show ».
« Pour nous, faire de l’édition s’inscrit toujours dans une logique d’exposition, dit Laurent, c’est aussi le cas pour les vingt sérigraphies d’adolescents issus de “Black Hole”, l’œuvre majeure de Charles Burns. Nous voulions en faire un mur pour l’exposition “Teen Spirit”, à l’occasion des 15 ans de la galerie. »
Ils en tirent en tout 1600, le plus grand risque qu’ils aient jamais pris. Effi se souvient : « C’était un très grand investissement pour nous et on voulait absolument que tous les exemplaires soient signés de sa main. Mais nous n’avions pas les moyens de les envoyer aux USA et lui pas le temps de venir. Dans un mail, il écrit qu’il sera prochainement à Rome et nous laisse une adresse. Puis plus de nouvelles et pas de téléphone pour le joindre. On décide de tenter le tout pour le tout et on prend la route, les sérigraphies à l’arrière. On devait faire un détour par l’Autriche à cause des douanes suisses. On dormait dans la voiture par peur de se les faire voler, la clim’ est tombée en panne en pleine canicule, et on n’était même pas sûrs qu’il soit à l’arrivée. Là je me suis demandée dans quelle merde on s’était foutus ! Une fois à Rome, il était là, il a tout signé gentiment, quel soulagement… » Laurent sourit : « Au final, le mur a tourné dans plusieurs expositions et on est en train d’épuiser les derniers exemplaires. »
« Extrême, tout dépend du point de vue ! » Trash, punk, gore, dégoulinant, porno, rien ne semble les avoir effrayés au long des années… Quand on leur demande, de tous les illustrateurs, dessinateurs, graphistes exposés chez eux, lequel ils trouvent le plus extrême, voici leur réponse : « Extrême, tout dépend du point de vue ! C’est vrai que les œuvres que l’on expose sont parfois trash mais ce n’est pas ce qui nous intéresse, on regarde plutôt comment ils posent leurs univers. Il y en a quand même un qui va loin, c’est Fredox. On a fait une expo avec “Vertige Vision”, en rapport avec le journal du même nom, qui constituait le catalogue. Sa double page centrale est certainement l’un des collages les plus dégueulasses qu’il ait faits. Ça nous amusait beaucoup de le voir diffusé en kiosque à côté du “Canard Enchaîné” et de “Madame Figaro”, c’était assez jouissif. » Complicité et ligne graphique vont de toutes façons de pair chez ces deux-là. À la question « quel artiste ressemble le moins à son œuvre ? », Laurent, facétieux, répond : « Pierre la Police » et Effi, hilare, d’ajouter : « Personne ne pourra vérifier ! » De fait, Pierre la Police garde jalousement son anonymat… La boutade est le parfait reflet de la sacrée dose d’humour qu’il faut pour tenir la barre de l’underground aussi longtemps en acceptant encore de naviguer à vue. Car Pierre La Police est l’artiste choisi par Arts factory pour continuer les festivités avec une exposition monographique, du 12 octobre au 19 novembre. Puis, du 23 novembre au 22 décembre 2016, le Arts Factory Winter Show creusera le sillon, avec Nine Antico, Jean Lecointre, Nathalie Choux et Véronique Dorey.
L’icône Susan Kare
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