Interview de Melik Ohanian, autour de « From the Voice to the Hand », un automne d’expositions dans quinze lieux et autour de Paris :

« Slowmotion, From Slave To Valse » (2003), acquisition de 2006, collection permanente du Centre Georges Pompidou, du 10/09 au 9/11.

Exposition monographique au Plateau, présentant 5 pièces : « Relative Time, 2008 (Mars Clock model # FVTH 01) » ; « Return From Memory, » 2008 ; « 10 000 Letters », 2008 ; « As An Object », (AK 47 version # 00) 2008 ; « Trouble Time(s) », 2007, du 17/09 au 23/11.

« Selected Recording », dix pièces acquises récemment par le Mac/Val (musée d’art contemporain du Val-de-Marne) et « A Territory of No Event » (2007) dans la collection permanente du musée, du 17/09/08 au 5/01/09.

« Trouble Time(s) », quinze versions réduites en vitrine de la librairie de la galerie Yvon Lambert, du 17/09 au 1/10.

« Peripherical Communities », version de Dakar présentée à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, du 19/09 au 26/09.

« September 11 », « Santiago du Chili 2007 » (2007), « Invisible Film » (2005), « At Late » (1998), « White Wall Travelling » (1997), projections au cinéma L’Entrepôt, les 25 et 30/09 et 2, 9, 16 et 23/10.

« Événement d’écoute du direct du public au Temple (Paris 11e), Philosophic Dub de Melik Ohanian et Varou Jan, Atelier de Création radiophonique de France Culture, le 28/09 et en podcast jusqu’au 5/10 sur Radiofrance.fr et jusqu’au 23/11 sur Fromthevoicetothehand.

Exposition monographique à l’Abbaye de Maubuisson, site d’art contemporain du Val d’Oise, cinq pièces présentées : « El Agua de Niebla », 2008 ; « Cosmoball », 2008 ; « Relative Time », 2008 (Mars Clock model # FVTH 02) ; « Datcha Project », 2008, du 28/09 au 2/03/09.

« Polylogue », avec l’association FACE, à la Courneuve, chaque samedi d’octobre.

« Peripherical Communities », nouvelle version entre Paris et Londres, au Centre musical Fleury Goutte d’Or Barbara, du 1er/10 au 17/12.

Commande publique dans le cadre du 1% artistique, Piscine de Belleville, complexe sportif Alfred-Nakache, inauguration le 4/10.

Commande publique dans le cadre du 1% artistique, Collège Rosa Parks, Gentilly, visites publiques les 8/10, 12/11 et 10/12.

« Seven Minutes Before », projection sur sept écrans au 104, du 11/10 au 16/11 ; représentation théâtrale du Cosmograms, le 15/11.

Multiple à la galerie de Multiples, du 11/10 au 20/11.

« Relative Time, (Mars clock # FVTH 001) », 2008, sur le stand de la galerie Chantal Crousel à la Fiac 2008, du 23 au 26/10.

"A Territory of no Event", 2007, sept photos couleur et textes estampés, sept éclairages sur pied. Une des 34 pièces de Melik Ohanian présentées dans et autour de Paris. © J. Faujour/ADAGP
< 02'01'09 >
Melik Ohanian : « Une exposition à l’échelle d’une ville »

« From the Voice to the Hand », ce « projet d’exposition co-existantes de Melik Ohanian », a « habité » avec ses trente-quatre pièces, projections, ateliers, conférence en quinze lieux spécifiques du paysage parisien et d’Ile-de-France tout l’automne 2008. Certains se sont « éteints » très vite, d’autres dans les temps normés d’une exposition (2 mois au Plateau, 5 mois au Mac/Val, 6 mois à l’abbaye de Maubuisson). A la fin octobre, Melik Ohanian a reçu poptronics dans son atelier du 14e arrondissement de Paris, cette ville dont cet artiste né en 1969 dit d’emblée qu’elle le fait « souffrir », qu’elle n’offre plus, à ses yeux, de lieux suffisants et adéquats pour accueillir l’état présent du travail de toute une génération d’artistes à laquelle il appartient, celle qui émergea sur la scène artistique française des années 90 (Pierre Huyghe, Philippe Parreno, Xavier Veilhan….).

Une rencontre prétexte à un premier bilan de ce qu’on aurait pu voir comme une « rétrospective » Melik Ohanian. Or, ce qui est interrogé dans ce projet, ce n’est pas tant la dissémination géographique que la multitude, prise au sens d’un « je suis là et ailleurs/je peux être visible là, en une durée X/et existant ailleurs dans un temps à côté et par un autre médium ». C’est un « je suis multiple et je suis dans la multitude ». Le « je » étant autant l’artiste par son travail que le spectateur libre de choisir ses propres entrées, de ses propres circulations dans les espaces et les temporalités du projet.

Pour Melik Ohanian, le territoire parisien est une « terre de projection », une surface écran, à la fois réelle et imaginaire, politique et sociale. Qu’il s’invite ou soit invité dans les lieux institutionnels de l’art contemporain, qu’il en modifie les espaces, qu’il réactive un projet comme « Peripherical Communities » avec une association de slameurs de la Goutte d’Or ou produise une pièce sonore (« Philosophic Dub »), Melik Ohanian pose des renversements et des inversions, réinterroge la notion de site (ou de non-site dans la continuité de Robert Smithsons) et les modèles existants d’exposition.

Des concordances à la multiplicité

« Le projet “From the voice to the hand” s’est déployé à partir de deux propositions concrètes, les invitations non concertées de Caroline Bourgeois, au Plateau, et de Caroline Coll Seror, à l’abbaye de Maubuisson, à réaliser une monographie. Je n’avais pas particulièrement envie d’exposer à Paris à ce moment-là et là où j’en étais dans mon travail. J’avais envie de réfléchir et de produire. Le Plateau n’est pas un lieu facile, tout comme l’abbaye de Maubuisson. A la même période, je travaillais sur deux commandes publiques dans le cadre du 1%, au collège Rosa Parks, à Gentilly, et à la piscine de Belleville, à Paris. J’ai aussi été contacté par l’Atelier de création radiophonique de France Culture avec lequel je devais produire quelque chose depuis quatre ans. »

« C’était pour moi un paradoxe que d’accepter un projet dans cette ville dont je me disais qu’il était temps de la quitter. Mais il y avait ce que je n’avais jamais fait ni raconté, ici, dans cette ville, moi qui ai toujours travaillé à l’extérieur de l’endroit où je vis. Je m’auto-piégeais, mais je me donnais aussi un challenge. C’était le moyen de faire un bilan de cette ville, de la voir à différents niveaux. Avec tous ces projets en parallèle en quinze lieux, je suis parti ou reparti à la rencontre de Paris, et j’y ai vu la possibilité de faire “monter” toute ma réalité artistique, tout mon rapport au monde artistique, de la commande publique à l’exposition au sein de centres d’art ou de musées. J’y ai aussi vu le moyen de développer cette conception qui est la mienne autour de la multiplicité, de réfléchir mon rapport à la multiplicité des temps et des temps de l’exposition. »

De la multiplicité à la co-existence

« Ce qui m’a intéressé, c’est cette expérience de produire, à Paris, un type d’exposition assez inédit. Expérience qui consistait à provoquer des lieux, à m’auto-inviter dans d’autres lieux, pour y montrer des facettes particulières de mon travail. Donc, j’ai pris mes films et je les ai renvoyés au cinéma (à l’Entrepôt), au lieu de les exposer dans des centres d’art comme je le faisais jusqu’à présent. De la même façon, le son restait à la radio. J’ai demandé aux collections publiques qui avaient acquis des pièces de mon travail de les montrer dans les durées du projet ; ce qui s’est fait à la Cité nationale de l’immigration, à Beaubourg et au Mac/Val. »

« J’ai pris l’institution au pied de la lettre, j’ai pris le rapport à l’exposition au pied de la lettre, sans me poser la question de savoir si cela se faisait ou pas. J’ai inclus le processus d’exposition dans mon travail. La seule pièce que j’ai faite, en réalité, c’est cette exposition même, et celle-ci contient trente-quatre pièces montrées, et chaque pièce est son propre monde. Il ne s’agissait pas d’un effet ou d’envoyer le visiteur regarder “quelque chose” de Melik Ohanian “quelque part” à Paris. Les pièces se tiennent, ce sont des mondes en soi, et ces mondes, je désirais les faire co-exister, les laisser co-exister à l’échelle de la ville et à l’échelle de leur propos. Il ne s’agit pas d’une multiplicité des temps en soi, c’est la multiplicité des temps face à un espace. C’est pourquoi je dis que c’est une exposition à l’échelle d’une ville. »

« Ce n’est pas qu’une exposition à l’échelle du nombre d’événements, et c’était bien l’un des écueils du projet, ce rapport à l’omniprésence, à la quantité et à la dissémination. J’avais déjà amorcé ces rapports à la multiplicité avec la pièce qui a été remontée lors de l’ouverture du 104, « Seven Minutes before ». Mais je dirais que, dès mes années à l’école des Beaux-Arts de Lyon, au début des années 90, alors que dominait la notion de fragmentation, que je ne parvenais pas à concevoir, j’étais déjà dans cette multiplicité des temps lorsque je réalisais des portraits en simultané de différentes personnes. Ce n’est peut-être pas une exposition, mais c’est un autre rapport à la modalité de l’exposition. »

« On dépasse dans cette configuration toutes les notions de transversalité et de collaboration qui sont, à mon avis, de faux concepts issus de la décennie précédente. La notion de co-existence qui sous-tend le projet vient des recherches scientifiques sur la découverte de la multiplicité des temps, en amont du Big Bang. Nous sommes dans la perception et dans cette conscience-là. Il n’y a pas un temps et nous ne sommes plus dans l’unité. Je pourrais dire : “je suis dans des univers, je suis dans des systèmes, je suis dans des cosmos, je ne suis pas dans un système.” Ce qui m’intéresse, c’est la verticalité du temps présent, l’empilement des temps dans un même temps. J’ai un regard vertical plutôt qu’horizontal, mais non pas dans l’idée d’ascension, mais dans celle d’une profondeur stratifiée des éléments. Ainsi, cette exposition se répand horizontalement dans l’espace et verticalement dans le temps. Les temps sont multiples, je l’ai dit, mais ils n’ont pas la même valeur, aucun événement ne se ressemble, leur durée est unique. »

Singularités des temps/singularités des sites

« J’ai essayé de garder la singularité de chacun des espaces, son entité, son identité. Au Plateau, il n’y a pas eu juste ces tas de lettres de plâtre, mais aussi une inversion de l’espace, de l’entrée et de la sortie. Le visiteur entrait ainsi immédiatement dans un grand espace. C’était une invitation, puis on enchaînait sur deux autres espaces assez grands. Cette inversion a créé trois grands espaces dans ce lieu que j’ai tenté de rendre généreux. J’ai redessiné l’espace et les couleurs. »

« Pour moi, l’espace de l’exposition est une notion aussi importante que la pièce que j’y monte. Je ne suis pas là pour montrer une pièce, je suis là pour montrer une pièce dans un espace. J’ai très souvent modifié les architectures des lieux, tordu les entrées, courbé des virages, comme à l’IAC de Villeurbane, en 2006, avec « Let’s Turn or Turn Around ». Pareil à l’abbaye de Maubuisson où je n’ai pas importé mon travail. J’ai réfléchi à ces espaces dans ce tout de l’exposition-projet et j’y ai produit un ensemble de nouvelles pièces, dont le hamac géant ou le “Cosmoball”. Le hamac est un flash que j’ai eu il y a quatre ou cinq ans. Et puis, je l’ai vu dans l’espace compliqué qu’est la grange à dîmes. Il s’y est parfaitement accroché, comme s’il avait toujours été là. Quelque chose se produit entre le corps de la pièce et le corps de l’espace. Au Mac/Val, avec les “Selected recording”, il s’agit d’une insertion dans les espaces du nouvel accrochage de la collection. »

Le site de l’Internet

« Pour les voix des philosophes ou des penseurs qui sont à écouter une seule fois sur le site, je voulais vraiment ce rapport d’une voix à une personne. C’est exactement le même principe que j’ai développé au Plateau, un rapport de réduction, la pensée réduite à une forme de tas, à sa propre structure, à sa forme écrite qui est l’alphabet. Je cherchais un endroit pour ces voix, pour la réalité de ces archives sonores. Mais j’ai aussi essayé de rassembler des choses incarnées. Ces voix sont aussi la présence de la figure humaine dans mon exposition où elle est quasiment absente. Mais il fallait que je sois dans une attitude face à l’outil du Net qui participe de la même logique. »

« Donner ces archives à tout le monde, je n’y voyais aucun intérêt. Ces voix n’appartiennent à personne. Avec le Net, j’aimais l’idée de pouvoir faire prendre conscience à celui ou celle qui écoute qu’il ou elle est face à une chose unique, à un temps unique et pas à un temps re-consultable ou manipulable. »

« L’utilisation que je fais du Web est simple, basique, préhistorique. C’est pourquoi je parle de modalités pré-linguistiques, pré-structurelles. C’est dans ces temps-là que les choses m’intéressent, beaucoup plus que dans la consommation et les rapports d’immédiateté. Mon propos est aussi sur le document et l’archive. Cela est récurrent dans mon travail, cette notion du document, du document avec commentaire, donc du documentaire. »

Du projet au livre

« Il s’agit d’une exposition sans curateur, sans effet de curateur. Ce en quoi ce projet est extrêmement politique. Il y aura un livre où je vais tout rassembler. Cette pensée que j’ai tenté de déployer dans le temps et dans l’espace aura ainsi une figure, et ce sera beaucoup plus accessible. En définitive, tout le monde pourra enfin tout voir. »

marjorie micucci-zaguedoun 

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