L’artiste David Guez invente avec Kronos un nouveau paradigme pour sortir de nos systèmes d’échanges marchands grâce à l’Internet et les chaînes de blocs (blockchain) qui ont émergé avec le bitcoin. Pour redessiner un système d’échange monétaire où l’argent, le kronos, serait une monnaie temporelle. Manifeste et appel à contribution ci-contre.
Une monnaie pour déborder du système monétaire traditionnel. © David Guez
< 03'03'16 >
Money is Time, manifeste Kronos par David Guez
David Guez, artiste proche de poptronics (il fait partie des cofondateurs, a été le premier à investir le pop’lab, cette carte blanche en pdf avec son « Disque dur papier », depuis décliné en installation, livre…), signe un manifeste « pavé dans la mare » pour imaginer un autre rapport à l’argent en ces temps de crise financière globale. Certes, il n’est pas le premier média-artiste à s’intéresser à l’argent, mais sa proposition d’« inventer une monnaie indexée sur le temps » s’inscrit dans la droite ligne de son travail, obsédé par l’archive, la temporalité accélérée à l’ère numérique (sa série « 2067 » qui propose d’envoyer un mail dans le futur ou de remonter la ligne du temps à l’aide d’une radio) ou encore les nouvelles mesures de valeur (série « Etalon zéro octet »). Voici le manifeste qui initie le projet. A lire, partager, commenter, augmenter ! LE CONSTAT Le projet part de la remise à plat de nos systèmes d’échanges. Sur le principe de la définition de nos besoins pour vivre, dans une société où l’internet est un espace intermédiaire qui permet de changer les règles de production, de distribution et de médiation. Où l’inégalité croissante est le fruit de dysfonctionnements propres aux processus de circulation du système qui régit l’ensemble des échanges des biens et des services. Que la question du capital se résume à une inégalité massive entre les êtres, qui n’est plus calée sur les valeurs du réel mais sur les conséquences d’algorithmes dont le moteur est le profit et non l’échange. Il n’y a plus d’équivalence. Il n’y a plus d’équilibre. Sur ce constat que l’ensemble qui régit ce système passe par un mécanisme d’échanges et d’équivalences dont la force est de rendre transparente la circulation des biens et des services : la monnaie. Que le passage du système du troc à celui de la monnaie a permis de ‘fluidifier’ ces échanges, de mettre en place un médium intermédiaire entre les transactions mais surtout de rendre invisibles les intermédiaires humains. Elle a aussi défini de façon globale la notion de valeur, et de facto celle du profit, qui, sous l’effet de masse et sa propriété fiduciaire a effacé la valeur humaine. S’est ainsi substituée à la valeur humaine de l’échange la valeur de l’échange et à la valeur de l’échange la valeur de la valeur de l’échange, créant le profit, non pas humain mais monétaire. Que cette grande chaîne de circulation invisible qui ne rend plus compte de la valeur de l’échange et encore moins de la valeur humaine de l’échange crée ainsi des équilibres inégalitaires. Car même si elle maintient des écosystèmes dans un équilibre relatif, elle a besoin de répondre au besoin de la croissance d’introduire deux autres valeurs : l’emprunt et le temps. Ce temps monétaire est une invention qui range définitivement la valeur d’échange humain aux oubliettes de l’histoire de notre civilisation. Car c’est bien la notion d’emprunt et de remboursement dans le temps, dont les acteurs principaux, les établissements bancaires, réglementent les échanges en faisant office d’espace intermédiaire entre ceux qui épargnent et ceux qui empruntent, qui enchaîne irrémédiablement l’humanité au dit système. Ainsi, à ce principe de base de vendre un bien ou service en échange d’un document qui imprime sa valeur, dans l’objectif de pouvoir l’utiliser pour, à son tour, acheter un bien ou un service dans un système d’équivalence établi, s’est substitué le principe du crédit qui fabrique une valeur inexistante dont le coût est plus élevé que le coût réel de l’échange. Ainsi, en voulant introduire de la vitesse non humaine dans les échanges, en dérogeant au principe de l’équivalence de l’échange par addition d’une valeur supplémentaire, celle temporelle du crédit, on a créé un système de dépendances et d’enchaînements aux systèmes intermédiaires. On a aussi créé un système de castes et d’élites, ceux-là même qui profitent du système en accumulant les valeurs factices générées par le système temporel monétaire. Car plus que le principe de l’offre et de la demande, c’est le principe de la valeur d’emprunt de l’argent qui crée les inégalités : inégalité monétaire et inégalité temporelle. Ce système a ainsi la puissance de sa propre définition et de ses mécanismes et il empêche de facto d’en sortir car la base temporelle qui le constitue est telle la pierre tombale du mourant : à celui qui emprunte nécessité de rembourser dans un temps long ou de sortir du système. La centaine d’années venant de se dérouler a imposé ce système aux individus comme unique solution temporelle pour vivre. Elle a institué une forme d’esclavagisme financier, qui, aujourd’hui, se répand aux groupements d’états, aux états et aux nations. De quoi a t-on besoin pour ‘vivre’ ? Cette question se pose dans le cadre d’une redéfinition de nos systèmes d’échanges : il s’agit en effet de remettre « à plat » les systèmes qui nous gouvernent en trouvant des solutions pour sortir de ces systèmes. S’il s’agit de lister nos besoins les plus primitifs de façon exhaustive, tels que se nourrir, s’habiller, se loger, se transporter, se chauffer, se cultiver, se divertir... nous pourrions organiser des listes de plus en plus précises pour arriver au constat suivant : impossible de tout produire par nous-mêmes. Nous arriverions alors à un autre constat : Notre ‘survie’ dépend principalement des autres, nous sommes donc liés à l’autre de par nos besoins, au sens le plus existentiel mais aussi le plus pragmatique du terme. Que notre évolution nous rend ainsi interdépendants les uns des autres. Que cette interdépendance se base sur l’échange comme vecteur de médiation. Et que ces médiations, dans des ensembles régulés de survie et d’évolution, permettent de faire circuler les biens et des services répondant à nos besoins. Hors, nous avons vu que dans notre système actuel, les biens et les services sont calés sur une système monétaire qui efface leur véritable valeur, celle du temps passé “réellement” à les fabriquer ou à les diffuser. Nous avons aussi vu qu’à cette valeur factice s’est ajoutée la valeur de l’emprunt factice, augmentant ainsi le principe de spéculation financière et celui d’enchaînement temporel. Les questions sont alors les suivantes : Comment subvenir à nos besoins en sortant du système de médiation d’échange monétaire actuel ? Comment faire pour que notre activité, quelque soit son sujet, puisse participer à l’équilibre d’un ensemble d’échanges régulés ? Les expériences pour sortir du système monétaire sont nombreuses et souvent calées sur un principe qui a prévalu pendant des dizaines de milliers d’années entre les humains : le troc. Une des caractéristiques intéressantes du troc est qu’il se passe de la notion de monnaie pour la remplacer par celle d’une médiation entre deux personnes ou un petit groupe de personnes qui déterminent à chaque transaction la valeur d’échange. Nous appellerons cette valeur, valeur « intermédiale », c’est à dire une valeur d’échange qui se détermine par la discussion entre deux personnes, donc par un autre échange, humain : une forme de négociation qui va déterminer à chaque transaction la possibilité de l’échange par la définition de son contenu. Le défaut principal de ce type d’échange, outre le fait qu’il soit … (chaque échange nécessite une négociation), c’est qu’il ne permet pas la distribution d’une valeur d’échange pour d’autres biens ou services. En effet, si je fabrique des confitures, je vais devoir négocier constamment leur échange contre tous mes autres besoins et il n’est pas évident que je puisse trouver un équivalent pour tous les services ou biens qui me sont nécessaires. Il fonctionne donc bien lorsqu’il existe un faible nombre de produits et peu de division du travail mais devient moins pratique sur des chaînes d’échanges et de productions plus importantes. Il est donc instable et précaire mais offre un aspect non négligeable qui a été faussé dans notre système actuel : la valeur intermédiale globalement effacée par “le marché” de par l’abstraction des intermédiaires et la masse des échanges de ce même marché. Mais le système de la monnaie, calé sur différentes valeurs étalons à travers les siècles, qui s’est vu lié aux richesses des découvertes minières puis déconnecté de ces mêmes valeurs via le processus de création monétaire bancaire, la monnaie de crédit, pour finir sur la notion de monnaie fiduciaire, garde une vertu fondamentale en sa capacité à rendre liquides les transactions, permettant ainsi d’établir toutes les combinaisons d’échanges possibles entre tous les biens et les services existants et à venir. GARDER L’IDEE D’UNE MONNAIE L’idée serait donc de garder la notion de monnaie sans la travestir à une notion de profit non régulé sur la valeur réelle du temps passé à la production des biens et des services équivalents. NE PAS ETABLIR DE SYSTEMES D’EQUIVALENCES ET D’ECHANGES AVEC LES AUTRES MONNAIES Une autre notion dérivée de la première est de proposer une monnaie qui ne peut pas s’échanger via un système d’équivalences avec les autres monnaies car elle garderait ainsi la possibilité de spéculation lors de ses transferts aux autres monnaies et empêcherait la disparition et le remplacement de l’ancien système. TROUVER UN MECANISME DES ECHANGES QUI FONCTIONNE GLOBALEMENT Les systèmes de monnaies locales ont répondu, en partie, à ces problématiques et de nombreux exemples existent et fonctionnent sous la forme de systèmes plus ou moins clos, à des niveaux qui permettent de faire fonctionner une communauté, un village, voire une ville. Mais ces systèmes ont toujours été installés en parallèle des monnaies nationales ou internationales existantes. En effet, la complexité de notre système actuel et sa globalisation via le marché boursier et financier empêchent complètement d’imaginer une monnaie nouvelle qui ne serait pas calée sur les mêmes fonctionnements. Il est donc nécessaire d’imaginer d’autres mécanismes qui permettent l’échange de façon globale où cette nouvelle monnaie pourrait s’échanger. LE RESEAU INTERNET Le réseau internet est l’espace ultime de médiation de notre époque. Il abolit les espaces intermédiaires et en développe de nouveaux. Il permet de créer ce lien incroyable et universel entre des personnes proposant des biens ou des services et d’autres personnes ayant nécessité de ces biens et ces services. Ces liens doivent être encadrés par des entités (des programmes) qui permettent le changement des systèmes d’échanges actuels, et donc, de la monnaie. Ces entités doivent être conçues de façon à ne pas profiter à des espaces intermédiaires qui feraient profit sur l’accumulation des quantités échangées. Alors que dans le système classique, la plupart des systèmes intermédiaires nécessitaient la création d’une valeur factice à ajouter au coût global des biens et des services, jouant le jeu de la spéculation et de l’accumulation de profit aux dépens de la classe des créateurs (auteurs, fabricants, artisans...), le système en réseau permet l’abolition de ce joug, véritable machine à créer du pouvoir et de l’inégalité. Mais pour cela, le réseau n’est pas suffisant, car bien que nécessaire pour relier et permettre les échanges, il est un vecteur neutre qui n’a pas d’effet sur le vecteur monnaie fiduciaire d’aujourd’hui. Ainsi, dans un monde semi-idéal en réseau qui trouve aujourd’hui écho dans les services d’échanges communautaires ou encore dans l’économie solidaire, il manque un élément fondamental qui permettrait de pallier les défauts du système monétaire classique : une monnaie non spéculative qui puisse établir les équivalences d’échanges entre des biens, les services et leurs utilisations. Avec l’arrivée du bitcoin, des technologies en réseaux pair à pair (peer to peer) et celle de la blockchain (chaîne de blocs) a émergé la possibilité de proposer une monnaie qui se passe des espaces intermédiaires (les banques) tout en sécurisant les transactions. Ainsi, les échanges se font dans le plus strict anonymat et chaque échange est sécurisé par la multiplication des copies cryptées des transactions dans la grande chaîne d’échange des utilisateurs dudit système. CE PRINCIPE D’UNE MONNAIE QUI CIRCULERAIT AU SEIN D’UN RESEAU MONDIAL CRYPTE ET SECURISE EST POSSIBLE AUJOURD’HUI AVEC LA TECHNOLOGIE BLOCKCHAIN. Le Kronos est une monnaie temporelle. Qui doit être le plus simple d’usage pour dépasser les systèmes d’échange actuels, où 1 KRONOS = 1 HEURE. Le site internet kronos.money est le lieu d’échange, d’information et de contribution pour bâtir Kronos. Très concrètement, toutes les bonnes volontés pour faire de Kronos une réalité à l’échelle globale sont bienvenues. Et en urgence, pour commencer, un codeur en langage C est activement recherché !
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