« Hard head/Tête dure, 1998-2008 », DVD monographique de Mounir Fatmi chez Lowave (20€).
« Les Ciseaux » ou « The Scissors » (2003), montage des scènes d’amour censurées du film « Une minute de soleil en moins » de Nabil Ayouch. © DR
< 18'06'08 >
Mounir Fatmi, forte tête de l’art

Arrêt sur images pour Mounir Fatmi, artiste marocain né en 1970 à Tanger, à l’occasion de la sortie de son DVD « Hard head/Tête dure » chez Lowave. Repéré dans l’exposition itinérante « Africa Remix », à Paris en 2005, Mounir Fatmi y présentait des sculptures construites sur le modèle des obstacles hippiques agrémentés de symboles d’une nation en couleurs et figures.

En ce moment, son « Casse-tête pour musulman modéré » (2004) et sa « Tête dure » (2005-2008) jalonnent le parcours des « Traces du Sacré » au Centre Pompidou. Alors que le marché semble s’éveiller à l’art « issu de l’immigration » ou en provenance du Moyen-Orient (Dubaï Dubaï…), Mounir appartient à cette constellation de jeunes artistes, dont Adel Abdessemed, né en 1971, Hakeem B, né en 1977, ou Mehdi Medacci, né en 1980, partageant la même prise de risque dans leurs lectures du patrimoine littéraire, pictural ou politique.

Le DVD « Hard head/Tête dure » propose huit vidéos produites entre 1999 et 2008, accompagnées d’un solide appareillage critique, notamment l’entretien de Mounir Fatmi avec Nicole Brenez et le texte critique d’Ariel Kyrou. Au point de ressembler à un catalogue monographique avec sa galerie photo présentant divers projets artistiques, le « Cinématon » de Gérard Courant et plusieurs informations biographiques, ainsi que de nombreux extraits d’articles. Un autre moyen de compléter le site personnel de l’artiste.

Dans « The Scissors » (2003), Mounir Fatmi remonte les images, censurées par les autorités, d’étreintes de deux corps, du film « Une minute de soleil en moins » de Nabil Ayouch et les combine avec des images d’archives en 16 mm d’Akdi Ahmed Kassem et les siennes. Objet filmique pluriel où le texte (« Que dit-elle ? », « Le vent tourmente les souvenirs ») rythme les séquences. Puis, les mots disparaissent de l’écran pour ressurgir en voix off. Pas n’importe lesquels : ceux de Perdican à Camille dans « On ne badine pas avec l’amour » de Musset : « Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses curieuses et dépravées ».

Littéraire, Mounir Fatmi le demeure. Signes et textes peuvent se pétrir : « Face, the 99 Names of God » (1999). Ici, la calligraphie se fait surface, le nom se signifie, s’explicite. L’écriture se manipule (action) et est manipulée (facteur) pour multiplier les significations (résultat). Mounir Fatmi travaille l’image comme une opération, une formule algébrique, dont il maîtrise l’énonciation et les résultats. Le hasard, l’accident n’ont pas leur place, les films sont des démonstrations autonomes, des argumentations efficaces qui laissent néanmoins le spectateur songeur. « Manipulations » (2004), titre d’une autre vidéo, où des mains en gros plan manient vainement un Rubik’s Cube…Le jeu est avorté, le cube s’assombrit, les mains se recouvrent d’une substance noire poisseuse. Du pétrole ? Pourquoi pas ? Œuvre complexe, dont les échos renvoient autant à la guerre du Golfe qu’à la pollution des plages. Il peut également s’interpréter comme un clin d’œil au film « Hand Catching Lead » (1968) de Richard Serra, où celui-ci tentait d’attraper des morceaux de plomb…

« May God Forgive me » (2001-2004) est un film complexe, issu des enregistrements effectués par des habitants du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie, à la demande de l’artiste. Des bribes d’images d’actualité, des reportages, des clips, une scène érotique s’entrecroisent dans un vaste chantier où l’œil subit sans pouvoir agir ni trier toutes les informations perçues… Dans la lignée de Godard, voire de Serge Daney, Mounir Fatmi se penche sur le pouvoir médiatique, sur le potentiel des images pour faire œuvre cinématographique. Une nouvelle fois les textes servent de fil rouge pour sortir, pour décaler le regard de ce flux incessant : « Le premier regard est pour vous », « Le deuxième regard est pour le diable », « Se retrouver dans un état d’extrême secousse, éclaircie d’irréalité, avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel. » Citation d’Antonin Artaud… Dialectique nommée ! A vous de penser !

Extraits du DVD « Hard head/Tête dure » de Mounir Fatmi :

cyril thomas 

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