« A perte de vue », exposition d’Estefanía Peñafiel-Loaiza jusqu’au 31/05, Centre d’Art Bastille, site sommital de la Bastille, fort de la Bastille, Grenoble (38), ouvert tous les jours de 11h à 19h, entrée libre mais avec l’obligation de prendre le téléphérique (2,90€-6€ l’aller-retour), tél. : 04 76 54 40 67.
"Il n’y a là aucun lieu/qui ne te voie" (2009) : vidéo qui suit les doigts d’un aveugle "lisant" Foucault. Courtesy CAB/Galerie Alain Gutharc. © Estefanía Peñafiel-Loaiza
< 13'05'09 >
Pour l’expo à la Bastille, prendre le téléphérique

(Grenoble, envoyée spéciale)

Une tentative de plus ? Les initiatives tentant de réconcilier art contemporain et public se surajoutent depuis au moins soixante ans. En 2006, à Grenoble, une nouvelle expérience a vu le jour qui définit bien sa cible : le touriste… Et c’est ainsi que tout en haut de la Bastille, la montagne fortifiée qui surplombe la rive droite de l’Isère, a ouvert le Centre d’Art Bastille (CAB). Alors que la Régie des téléphériques de Grenoble cherchait à valoriser le site (« le premier au monde situé en ville, avant Madrid, Rio de Janeiro ou New York »), l’association Lieu d’images et d’art (LIA), lui, proposait un projet calibré pour ce domaine très touristique. Dans les fortifications juchées au sommet de la montagne, des salles d’exposition ont été ménagées pour y présenter de l’art d’aujourd’hui.

Initiation au sommet
Le lieu, qui a accueilli plus de 50.000 visiteurs, fonctionne essentiellement grâce aux subventions (DRAC, Région Rhône-Alpes, Conseil général de l’Isère et Ville de Grenoble) qui permettent avec un budget de quelque 120.000 €, d’employer deux salariés et son lot de médiateurs auprès du grand public, bénévoles et stagiaires. La programmation collégiale de cinq expositions annuelles tient compte des périodes plus ou moins touristiques, en privilégiant les sujets moins « faciles » pour les saisons calmes. Le visiteur, qui s’aventure souvent par erreur dans cette casemate-là, est immédiatement invité à pénétrer et à appréhender les œuvres. Il n’était pas monté jusqu’en haut pour ça ? Qu’à cela ne tienne : la visite n’est pas très longue et les œuvres d’Estefanía Peñafiel-Loaiza, actuellement exposées, se prêtent à merveille à l’initiation. Il suffit de les regarder. Il faut tout prendre en compte, savoir faire se répondre les différentes composantes de chaque œuvre. Les médiateurs aident le visiteur à entrer dans le processus enclenché par le travail de cette jeune artiste, née en 1978 à Quito (Equateur) et qui vit à Paris. Il pourra s’agir d’une indication technique comme pour la première salle qui consigne cinq souvenirs de l’artiste, à la manière de Georges Perec dans « Je me souviens ». Pour cela, elle a réalisé et capturé entre deux plaques de verre des dessins en résidus de gomme. Quelque chose a donc dû être effacé pour que puissent être récupérés ces copeaux. Est-ce avec de l’oubli que l’on se construit ses souvenirs ?

Du bout des doigts
Dès cette première œuvre dont la transparence des carrés de verre offerts à la baie vitrée permet un dialogue avec le panorama, Estefanía Peñafiel-Loaiza prend en compte ce lieu insolite. Son exposition « A perte de vue » joue de cette expression. A perte de vue, la beauté du paysage qui s’étend sous nos yeux ; à visibilité perdue, aussi, l’obscurité dans laquelle plonge l’artiste de salle en salle. Car du haut de cette Bastille qui n’emprisonne pas, contrairement à la Parisienne, mais qui scrute la ville, une surveillance inconsciente et mutuelle s’opère des deux côtés du fleuve depuis bientôt un siècle et demi. Mais que peuvent-elles apprendre l’une de l’autre à cette distance ?

Une incommunicabilité réciproque que nous endossons bientôt : que comprenons-nous de la lecture silencieuse du « Panoptique » de Foucault faite par ce non-voyant dont nous ne pouvons appréhender, sur grand écran, que l’index parcourant les saillies du papier ? Seul le bruit du passage de ce doigt est perceptible et il a beau être retransmis à la ville par des haut-parleurs, il n’y a pas moyen de le saisir. Au dos de l’écran, un mot en braille est écrit à l’aide d’ampoules allumées. Les voyants le voient mais ne le comprennent pas, les non-voyants ne peuvent pas le voir ni le saisir et ne peuvent donc, eux non plus, le comprendre. Il s‘agit du mot « écoute »… Les deux autres œuvres exposées offrent la même finesse d’analyse en s’appuyant sur des réalisations simples et efficaces ; à découvrir après les sensations du dénivelé de 262 mètres en téléphérique !

corine girieud 

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