« Le Baiser de la Matrice », tentative d’extension d’une communauté de lecteurs sur la Toile autour de « A la recherche du temps perdu » de Proust, bloqué aux frontières virtuelles chinoises.
Apparemment, la madeleine de Proust ne parle pas à tout le monde (photo choisie par un des participants au projet pour le représenter). © DR
< 16'07'08 >
Proust non grata sur le Web chinois

Sous pseudo, Emilie Daltier part en quête de lecteurs internautes autour du monde pour contribuer au projet « Le Baiser de la matrice », qui ouvrira la programmation x-réseau du théâtre Paris-Villette, à Paris, en septembre. Poptronics lui ouvre ses pages web.

Sous le nom d’Emilie Daltier, je parcours les réseaux sociaux et hante les forums à la recherche de lecteurs – francophones ou à peu près, c’est la condition – qui viendront grossir les rangs de la matrice. Le 27 septembre ouvrira en effet x-réseau, série d’initiatives artistiques sur le Net, dont « Le Baiser de la matrice », conçu par Véronique Aubouy, est la première programmation. Il s’agit du film d’une web-lecture internationale d’« A la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, tournée par les internautes-lecteurs eux-mêmes, et visible sur le site en direct et en différé, au fur et à mesure de l’enregistrement et du montage. En cherchant des lecteurs chinois, j’ai fait une drôle de découverte.

Je n’avais pas envie d’y croire, mais il faut bien se rendre à l’évidence : le blog d’inscription au « Baiser de la matrice », qui ne fait rien moins que proposer aux internautes du monde entier de lire une page de Proust devant leur webcam, est, comme de nombreux sites tout aussi subversifs, inaccessible depuis la Chine. Alors que j’envoyais des messages à des dizaines de personnes, la carte des visites restait obstinément muette sur cette partie du monde. J’ai d’abord été alertée par des messages d’une étudiante chinoise de l’Université de Pékin (Beida), le 26 juin : « Salut Emilie, mais je n’arrive pas à ouvrir le site que tu m’as donné... » J’ai interrogé ensuite un ingénieur français résidant près de Shanghai, pour en avoir le cœur net : « En effet, on ne peut pas se connecter depuis la Chine sur le site. C’est censuré par le firewall chinois. La seule solution pour y accéder depuis la Chine est de passer par un serveur proxy comme http://www.proxy4china.com ». Il copie également le message d’erreur qui s’affiche lors des tentatives d’ouverture du site : « The page cannot be displayed / The page you are looking for is currently unavailable. The Web site might be experiencing technical difficulties, or you may need to adjust your browser settings. »

Inutile de préciser qu’on aura beau paramétrer son explorateur de toutes les façons possibles, le site restera inaccessible. On avait bien entendu parler de l’emprisonnement des cyberdissidents, de l’affaire Yahoo, et de la censure des images de Tiananmen. Que l’accès au site de la BBC soit censuré, on peut encore le concevoir. Mais dans le cas présent, quels critères linguistiques, lexicaux (quel mot-clé ne fallait-il pas laisser figurer ?) sont responsables de ce blocage ? De fait, de très nombreux sites étrangers, même sans contenu politique ou sexuel explicite, restent inaccessibles depuis la Chine.

Cette censure, excluant de facto les internautes chinois, non seulement entrave le développement de notre projet, mais rappelle aussi que le « Village global » n’existe pas, et qu’Internet, qu’on a l’habitude d’utiliser au singulier, est loin d’être un espace unique et homogène.

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