Extrait du documentaire. Loïc Le Meur. © DR
< 07'06'07 >
Splash, a fait la bulle Internet, Splosh, fait le Web 2.0
C’est un documentaire édifiant ou consternant, c’est selon. Edifiant pour repérer ce qui aujourd’hui, dans l’engouement médiatique autour du Web 2.0, relève des mêmes ressorts qui ont fabriqué la bulle Internet première génération. Et consternant, parce que ses acteurs, les « entreprenautes » encensés à la fin des années 90 pour leur formidable capacité à lever des fonds et bouleverser la « vieille » économie, affichent une nostalgie pour cette époque folle. Ils n’en tirent aucune leçon, sauf à reconnaître le côté exagéré de la spéculation qui entourait le phénomène start-up alors. Il est aussi consternant dans la mesure où il fait totalement abstraction de tout un pan du réseau, cette « autre » génération Internet qui n’a rien à envier aux Loïc Le Meur, Orianne Garcia ou Michel Meyer.
Eux ne sont pas estampillés HEC, n’ont pas investi le Net pour faire du business. Ils ont pourtant tout autant construit et participé à l’histoire du réseau français, à l’instar des capitaines d’industrie du Net interviewés dans « Quand l’Internet fait des bulles » (on aime quand même les deux sous-titres de présentation des intervenants, le premier indique le poste occupé en période Web 1.0, le second en Web 2.0). Eux, ce sont les designers, musiciens, artistes, graphistes, artistes, ergonomes, internautes accros à leur page perso, universitaires théorisant sur l’intelligence collective, informaticiens mettant à disposition leur machine pour contribuer à l’émergence du logiciel libre, aficionados des mondes persistants qui créent patches et extensions ludiques, etc. Il ne s’agit pas d’opposer benoîtement les « marchands » aux « créateurs », pas plus sur le Net qu’ailleurs. Mais l’Internet français, même aux pires moments de la fameuse bulle, n’a jamais été totalement le produit desdits entreprenautes. Un autre Net est possible, a existé et continue d’exister.
« Quand l’Internet fait des bulles », film de Benjamin Rassat, coproduit par 13ème RUE, est diffusé en avant-première sur le site de la chaîne du groupe NBC-Universal. Dans ses commentaires, Benjamin Rassat tente de marquer la distance avec cette vague de « libéralisme sans contradicteur » en rappelant l’aveuglement qui entourait ces projets d’entreprise technos (les millions pleuvaient sur des projets en Powerpoint), ce basculement dans ce que Rafi Haladjian, le fondateur d’Ozone) rapproche d’une « entrée en religion ». « C’était magique », « si c’était à refaire, je referai la même chose, les excès compris »… disent-ils pour raconter leur bulle à eux. Nostalgiques et toujours aussi accros (tous se disent encore entrepreneurs aujourd’hui), ils reviennent sur cette période irréelle où un « entrepreneur faisait la Une de Paris-Match » (il s’agissait de Michel Meyer, pdg de Multimania, fournisseur d’accès), où Orianne Garcia était bombardée « la patronne de l’Internet français » à l’antenne par un Jean-Marc Sylvestre déjà perdu pour la cause. Où Jérémie Berrebi était surnommé « la Marianne de l’Internet ».
Le documentaire passe très vite (trop) sur l’engouement médiatique et politique hors réseau pour ces promesses de rendements futurs et cette jeune génération d’entrepreneurs (on revoit avec plaisir Chirac largué en visite à Republic Alley, l’ancêtre des incubateurs technos) pour s’enfoncer dans une analyse plus que limite sur le « malaise générationnel » opposant les « vieux » à cette génération de « winners » (Pierre Chappaz, Jérémie Berrebi, Nicolas Gagnez, Loic Le Meur, Patrick Lelay, Charles Beigbeder...). Et Thierry Ehrmann d’Artprice d’affirmer crânement : « Ils (les politiques, ndlr) ont construit leur pouvoir sur leur carnet d’adresses, nous construisons le nôtre sur le réseau mondial. »
Les mêmes dix ans après ? Loïc Le Meur est devenu le conseiller « nerd » de Sarkozy pendant la campagne et organise à grands renforts de méthodes B2B le Web 3. En décembre 2006 à Paris, cette conférence tout en anglais, histoire de se placer en droite ligne de la Silicon Valley où l’herbe techno est bien entendu toujours plus verte, enchaîne keynotes et « flash » interventions des candidats à la présidentielle. Mêmes dates, même punition cette fin d’année les 11 et 12 décembre.
Bref, la propension de cet Internet-là à faire de l’ombre à tout le réseau est proprement phénoménale… Dans cette ombre toutefois, quelques agitateurs fourbissent la riposte. Regardez donc la bande-annonce du docu. Poptronics y reviendra. En toute indépendance, sinon neutralité.
annick rivoire
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