Salon Multiple Art Days (MAD) à la Maison Rouge, 10 boulevard de la Bastille Paris 12ème, du 30 septembre au 2 octobre 2016, entrée : 5€.
La Maison Rouge se pare de blanc pour accueillir le salon MAD jusqu’à dimanche. © DR
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Qui sont les plus fous des éditeurs d’art à MAD ?
Ça grouille et ça expérimente dans toutes les dimensions au deuxième salon MAD ou Multiple Art Days, qui occupe tout l’espace blanc de la Maison Rouge pendant trois jours, jusqu’à dimanche 3 octobre. Y sont présentés 96 éditeurs d’art, français pour la plupart, et la figure du multiple (série limitée) dans tous ses états. Dans le foisonnement créatif (et on ne vous parle pas du riche programme de rencontres, débats, performances, les « MAD talks » qui ont lieu tout le week-end), on a posé quelques petits cailloux (pour ceux qui pourront y aller, et pour ceux qui ne pourront pas aussi). Le Light, la version antérieure du salon de l’édition organisé par le Centre National de l’Édition et de l’Art Imprimé (Cneai) au Point Éphémère, réunissait les trublions de l’édition indépendante. Le MAD opère dans un registre plus « art contemporain », le lieu s’y prête, mais se barde d’un manifeste (paru dans « Étapes », à lire ici) qui maintient ses positionnements : montrer l’art qui n’est pas représenté dans les musées, remettre en cause les catégories culturelles, avec en figure de proue les éditeurs (et/ou) curateurs (et/ou) artistes (et/ou) chercheurs (et/ou) artisans (et/ou) galeristes. Bref, dresser un panorama des « pratiques éditoriales contemporaines, de l’édition fanzine aux œuvres rares : prints, multiples, livres, films et disques d’artistes ». Matières organiques non identifiées Forcément, ledit panorama donne le tournis, qui embrasse l’univers trash indé de Blanquet & ses United Dead Artists ou le très institutionnel Centre Culturel Suisse. Certes, depuis longtemps déjà, l’art contemporain se nourrit des figures de la contre-culture, du street-art aux fanzines. Pour preuve, Stéphane Blanquet occupait récemment l’Espace 13/16 du Centre Pompidou. A MAD, il expose des tapis grouillants de viscères et autres matières organiques non identifiées, sur lesquels on se voit mal poser un pied.
Plis papier et plis mémoriels Du côté de la galerie arlésienne 2600, un fil illustre la couverture du livre précieux de Thomas Sauvin, inspiré des rangements des couturières chinoises. Il s’ouvre sur de savants pliages qui abritent des fragments de sa collection photographique, délicates cases mémoire dont on ne soupçonne pas le nombre.
Beauté des formes faibles Autre objet non-identifié, cette fois-ci unique, « CERFA » est un classeur qui contient 102 formulaires de l’administration qu’on peut télécharger. Ils sont imprimés avec patience sur papier léger (60g), rose au verso, par Christophe Jacquet (le directeur artistique de Poptronics). Il se manipule avec des gants, délicatement. Au fil des pages, des surgissements intercalaires dessinés à l’encre dont l’auteur confie qu’ils sont ses fantasmes de CERFA. Ils poussent à regarder autrement les formulaires vides, leur graphisme à nu, autant de traces d’une mémoire de l’imprimé en train de disparaître (puisqu’aujourd’hui, on remplit directement en ligne, sans passer par la case imprimé) !
Le déplacement du regard, le questionnement de la norme sont les leitmotivs pour « Formes Générales », la micro-édition qu’il anime avec Pierre Ponant. À voir sur leur stand, les réalisations des énervés du NSK, du regretté Lulu Larsen, et une très belle relecture de fait divers par Manuel Joseph. Attention, relève tigrée
Dans le fait main, on a craqué pour les réalisations colorées et fresh de Paper ! Tiger ! ! Sur deux jeux de cartes postales sont imprimées des captures d’écran avec sous-titres, séparées en questions et réponses. On a tout de suite envie de faire dialoguer ces instantanés absurdes. À côté, les aventures de Blake et Mortimer sont passées au filtre féministe, toutes les cases sont noircies à l’exception des figures féminines, soit 2%… humour, efficacité et finesse.
Traces et disparitions Sur le stand des éditions bruxelloises La Houle, le magnifique « Haḍḍa (Stolen Afghan Items – Sculptures / Heads) » de Dieudonné Cartier, recueil de photos d’Interpol des statues volées d’Hadda, en Afghanistan, là où Al-Qaida a bâti un camp d’entraînement. L’artiste a sélectionné les plus monstrueuses d’entre elles, n’ajoutant qu’un filtre vert pour unifier dans une épaisseur de temps ces traces des conflits à l’origine de leur disparition. Oubliées dans une vase symbolique où se rencontrent archéologues explorateurs des temps anciens et fanatiques actuels.
Art sonore vinyle et papier Les éditions AH AH AH, qui portent les initiales des fondateurs Franck Ancel et Baptiste Houssin, gravent sur vinyle « le bruit et le silence de la conversation » (LBDLC >< et LSDLC, une face textuelle et l’autre sonore). À l’occasion de MAD, elles présentent deux nouveaux vinyles. Côté « bruit », Franck Ancel poursuit son travail sur la frontière Portbou-Cerbère où disparut Walter Benjamin en lisant un texte d’Enrique Vila-Matas évoquant sa rencontre avec Marcel Duchamp dans ce même lieu. Marcel Duchamp dont l’œuvre disparue, « Le Rayon Vert », frontière entre le ciel et la mer, orne la pochette. Côté « silence », Vincent Epplay capte des sons sur place et signe sur l’autre face « Tornato », spirale sonore puissante et noire. Une façon de faire résonner les jeux d’analogies entre espaces réel et rêvé.
Éditeur d’art sonore depuis 19 ans, Optical Sound publie sa revue annuelle depuis 4 ans. Le graphisme élégant et monochrome de Nicolas Ledoux se décline en couleurs sur la version Ipad. On y lit des artistes et philosophes actuels, des entretiens ; on y découvre des projets tel Acoustic Cameras, où des musiciens illustrent le flux de webcams de leur choix. La proposition éditoriale est exigeante, chose assez rare pour être appréciée. Optical Sound fête ses 20 ans l’an prochain avec un double vinyle best-of. Anarchive, mémoire active de l’art Un an de plus pour Anarchive, maison d’édition d’archives numériques monographiques. En 21 ans, seulement six opus (dont Michael Snow ou Muntadas), mais tous dessinent une représentation active régénératrice de l’archive. Dernière publication, la monographie de Masaki Fujihata est composée de 17 livrets rassemblés dans un classeur, fruit de trois ans de collaboration étroite entre l’artiste, la maison et toute une équipe de développeurs.
Une grande partie des photos, passées au filtre d’une tablette ou d’un smartphone, déclenchent soit des vidéos, soit des mises en situation, et même des créations originales. Les archives deviennent une œuvre à part entière, en réalité augmentée. Et puis à la fin, c’est « Postindustrial Animism » La rencontre la plus insolite, c’est Éric Angenot et son « Postindustrial Animism ». Qui appelle en nous l’homme et la femme sauvages pour ré-enchanter notre rapport à la nature. L’artiste initie des actions collectives déguisées et édite de petites formes, dont l’indispensable manuel « Pisser dehors » pour ritualiser nos échanges chimiques avec la nature. On adhère !
L’icône Susan Kare
Cybernétique en papillotes Poptronics, 10 ans de cultures hacktives du Web au papier |