« La Chambre secrète », d’Alain Robbe-Grillet, pièce radiophonique de l’Atelier de Création Radiophonique (1980), le 9/03 à 22h30, sur France Culture.
Alain Robbe-Grillet, père du Nouveau Roman, est décédé le 18 février dernier, France Culture lui rend hommage via l’atelier de création radio. © DR
< 09'03'08 >
Robbe-Grillet, le son de l’hommage

Alain Robbe-Grillet, mort le 18 février 2008, vous manque ? L’Atelier de Création Radiophonique de France Culture a choisi de rediffuser ce dimanche une pièce radiophonique de 20 minutes, tirée d’un texte du « pape » du Nouveau Roman, ce mouvement né en 1957, l’année de la parution de « La Jalousie » et d’une nouvelle édition de « Tropismes » de Nathalie Sarraute.

« La chambre secrète », court texte de 1962 particulièrement dense et subtil, est le matériau de la création radio réalisée en 1980, avec pour lecteur Michael Lonsdale, sur une musique de Michel Fano. Fano et Lonsdale sont des familiers de Robbe-Grillet  : l’un a réalisé la musique de trois de ses films (« Trans-Europe Express », 1966, « L’homme qui ment » et « L’Eden et après », 1967 et 1969), l’autre joue dans « Glissements progressifs du plaisir ».

Et c’est bien à l’univers cinématographique de Robbe-Grillet que renvoie directement la pièce, dans son rythme et ses constructions labyrinthiques (cf. « L’année dernière à Marienbad »). Condensé de son imaginaire baroque de la femme et du crime, très présent notamment dans son dernier film, « Gradiva », le texte est dédié au peintre symboliste Gustave Moreau. Et on croit vraiment à une description de tableau. En réalité, c’est une toile inventée, dans un style très visuel et fantasmé : impossible de reconstituer la scène. Au centre, une « femme sacrifiée » dans un lieu indéfinissable avec colonnes, tapis persans, fumée montant en torsades d’un brûle-parfum, et un homme qui s’enfuit, gravissant un escalier... Plusieurs zooms sur le corps de la femme, d’abord sur la « tache rouge », puis sur son « corps laiteux », enfin sur la « toison noire » et les chaînes à ses pieds. Scène mythologique ? Peut-être, sauf que chez Moreau, ce ne sont pas les hommes mais les femmes qui tuent, Salomé ou Dalila... Peu importe. Chez Robbe-Grillet, les périodes se télescopent, le temps et l’espace se dilatent.

Extrait du texte « la Chambre secrète » :

« C’est d’abord une tache rouge, d’un rouge vif, brillant, mais sombre, aux ombres presque noires. Elle forme une rosace irrégulière, aux contours nets, qui s’étend de plusieurs côtés en larges coulées de longueurs inégales, se divisant et s’amenuisant ensuite jusqu’à devenir de simples filets sinueux. L’ensemble se détache sur la pâleur d’une surface lisse, arrondie, mate et comme nacrée à la fois, un demi-globe raccordé par des courbes douces à une étendue de même teinte pâle – blancheur atténuée par l’ombre du lieu : cachot, salle basse ou cathédrale – resplendissant d’un éclat diffus dans la pénombre. [...] Tout ce décor est vide, escaliers et colonnades. Seul, au premier plan, luit faiblement le corps étendu, sur lequel s’étale la tache rouge – un corps blanc dont se devine la matière pleine et souple, fragile sans doute, vulnérable. A côté du demi-globe ensanglanté, une autre rondeur identique, intacte celle-là, se présente au regard sous un angle à peine différent ; mais la pointe auréolée qui le couronne, de teinte plus foncée, est ici tout à fait reconnaissable, alors que la première est presque entièrement détruite, ou masquée du moins par la blessure. »

marion daniel 

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