Quel est l’héritage musical du maître de la musique contemporaine Karlheinz Stockhausen, disparu la semaine dernière ? Retour sur la carrière d’un démiurge.
Disparition le 5 décembre de Karlheinz Stockhausen à l’âge de 79 ans (ici en 1969). © DR
< 10'12'07 >
Stockhausen, la voie de son maître
Karlheinz Stockhausen est mort, et c’est une montagne de la musique contemporaine qui disparaît. Démiurge tout puissant de l’électronique, son œuvre, immense, lui survit bien au-delà du sérail des musiques savantes. Le compositeur allemand vient de mourir à 79 ans avec plus de 300 pièces à son actif, dont certaines ont modifié en profondeur formes, écritures et perceptions de la musique, toutes les musiques. Il est de toutes les expériences, sérielle, électronique, aléatoire… Malgré sa radicalité, ou peut-être grâce à elle, il réussit à pénétrer les univers populaires, et dès les années 60, Stockhausen est une icône, 10 ans après ses débuts au studio école de Cologne. Preuve irréfutable, il apparaît en 1967 sur la plus célèbre pochette de disque de tous les temps : le Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles (5e à gauche du dernier rang). Quant à l’art de Stockhausen, il force avec fracas l’univers musical des Beatles dans le mythique « Revolution 9 » sur leur double album blanc qui paraît un an plus tard, livrant aux oreilles du public profane huit minutes quinze secondes d’art sonore réalisées à partir de sons fixés sur bandes montés-démontés et inversés. De l’aveu de John Lennon, « Revolution 9 » est influencé par la structure de « Hymnen », une œuvre fondamentale dans l’histoire de l’électronique et du copier/coller qui mixe au travers de structures harmoniques complexes, les hymnes nationaux de différents pays. Dans le clan des admirateurs de l’époque, le who’s who de la contre-culture se bouscule. Frank Zappa lui rend hommage en 1967 dans son premier disque symphonique, « Lumpy Gravy », mais aussi Miles Davis et même des figures de la littérature américaine torturée comme Philip K. Dick et Thomas Pynchon qui lui, narre dans « Vente à la criée du lot 49 » l’incroyable décor sonore d’un bar nourri exclusivement de musique électronique, où Stockhausen est considéré comme un DJ roi ! Nous sommes en 1966. Stockhausen est aussi un maître au sens premier du terme, donnant l’impulsion à des élèves émérites comme Maryanne Amacher, Jean-Yves Bosseur, Cornelius Cardew, Hugh Davies, La Monte Young et encore Holger Czukay fondateur de Can, en Allemagne. Czukay, devenu un confident un maître, offre, dans ce précieux témoignage, une image d’un être bien plus fragile et humain que ce qu’on lui prête d’ordinaire. Car oui, l’hégémonie de Stockhausen en fâchait certains. Qui a oublié cette réflexion énorme, au lendemain des attentats du 11 septembre : « La plus grande œuvre d’art jamais conçue », estime-t-il… Sublime vision, mais aussi provocation insoutenable qui a conduit son génial auteur, peut-être pour l’unique fois de sa carrière, à faire marche arrière. Et plus tard de préciser que dans son contexte original, sa réflexion faisait allusion à la toute puissance de Lucifer ( !?). Mystique, illuminé, Stockhausen avouait il y a peu son admiration pour le pape Benoît XVI. Pour tout cela, les mauvaises langues disaient que Stockhausen était mort bien avant de trépasser. Pourtant, qu’on soit du camp des pour ou des contre, Stockhausen reste une voie essentielle. Pour mémoire, en 1995, la BBC se livre avec lui à une expérience passionnante. Face à un package de productions de nouveaux artistes électroniques, incluant Aphex Twin, Plastikman, Scanner et Daniel Pemberton, le compositeur est chargé d’écouter et d’en faire le commentaire. Voici le verdict du maître avec recommandations des œuvres qu’il a composées et que les sus-cités devraient selon lui écouter. Scanner : « Le plus intéressant et le plus expérimental, parce qu’il est à la recherche de sons qui ne sont pas habituellement utilisés dans la musique. Mais il devrait davantage transformer ce qu’il utilise. C’est trop laissé à l’état brut. Il doit écouter “Hymnen” : même s’il crée de belles atmosphères, il devrait plus transformer les sons dont il dispose. » Daniel Pemberton : « Trop de boucles, et une notion d’harmonie très faible. Il devrait écouter “Kontakte” , qui, parmi toutes mes œuvres, est celle qui travaille le plus sur l’harmonie. » Aphex Twin (Richard James) : « Il devrait changer plus les tempi et les rythmes et écouter “Gesang der Jünglinge”. » Plastikman (Richie Hawtin) : « Trop de rythmes répétés. On dirait qu’il bégaye tout le temps. Il devrait écouter “Zyklus”. » Tout le monde en prend pour son grade, et le compositeur poursuit sur ce mode pour tout un chacun, avec une leçon en paroles et images de 1972. Enfin, cette interview-documentaire qui part mal, mais en dit beaucoup sur le bonhomme.
PopAntivirus#5 Grrrls in le son !
Sonic Protest, la preuve par neuf PopAntivirus#8 Resistencia (2) ou la musique libérée Ikeda en “Superposition” à Marseille, une expérience quantique Empreintes Numériques, copier c’est jouer Nîmes, deux jeunes artistes à revers « Ultima », l’expo plein jeux à Nantes PopAntivirus#7 Déconfinée ou déconfite, la culture ? Photos à l’article de la mort |