Exposition « Flowers Of Our Lives » jusqu’au 31/10 au Centre d’art contemporain de Torun (Pologne).
Julian Rosefeldt, Installation « Asylum » (2001-2002), © DR
< 30'10'08 >
Voyage en Pologne, ou l’art de monter une collection...

(Torun, Pologne, envoyé spécial)

C’est à l’occasion d’un colloque sur « la collection, les collections » qu’on découvre le tout nouveau Centre d’art contemporain de Torun, en Pologne. A quoi ressemble la fabrication d’une collection dans ce pays qui a priori a d’autres priorités que l’art du moment ? Petite visite guidée.

Torun vous connaissez ? Si vous répondez oui, c’est que vous êtes soit un fin connaisseur en pains d’épices, la spécialité locale, soit le biographe de Nicolas Copernic, où il est né, soit enfin un expert en géographie polonaise. Pour tous les néophytes, Torun est une ville universitaire à quelque 250 km de Varsovie. Le nouveau centre d’art contemporain de Torun, dont les portes se sont ouvertes en juin 2008, est un lieu anachronique dans l’espace urbain. Les briques rouges et les grandes baies vitrées font presque oublier l’architecture soviétique de la ville, et abritent de bonnes surprises à l’intérieur.

Dans l’intimité de Janina Turek

Le premier étage, où sont présentés l’ensemble des carnets composés par Janina Turek (1921-2000), de l’âge de 13 ans jusqu’à sa disparition en 2000, plonge dans une sorte d’effroi et de perplexité. D’abord parce qu’ils ont peu de chose à voir avec des carnets d’artistes ou des cahiers d’esquisses. Présentés sous vitrine, ils ont tendance à se parer d’une aura muséale, les bonnes pages sont ouvertes, les plus belles couvertures sont présentées, bref toute l’artillerie scénographique pour présenter des livres ou des brouillons d’écrivains est de sortie. Etaient-ils réellement destinés à être vus par d’autres ? Ceux écrits dans sa jeunesse s’apparentent à de simples journaux intimes mais Janina Turek n’en reste pas à ce simple plaisir d’écrire. Le plus surprenant réside dans la découverte d’un système autonome d’écriture. Des chiffres, une sorte de code, viennent barrer, ou biffer la liste de ses rencontres sur l’un de ses albums ou la liste de ses repas sur un autre. Un commentaire crypté ? Nul ne le sait encore aujourd’hui. Dispositif dont elle seule connaissait la ou les clefs car rien n’indique qu’avec les années, elle n’a pas pu opérer plusieurs changements. Démarche compulsive, obsessionnelle mais calculée, un ou deux thèmes par an, ni plus ni moins, qui s’étalent parfois sur plusieurs carnets. Puis, à chaque fin d’année, d’étranges statistiques en sont tirées avant de passer aux suivants.

Une vie en carnets

Des milliers de carnets à déchiffrer, à tenter de classer par thèmes, au sein desquels les habitudes, l’ennui, la solitude, la vieillesse transparaissent. Durant l’année 1943, elle note scrupuleusement tous les films qu’elle a vus, puis tous les appels reçus, une autre année, elle se cantonne à retranscrire toutes ses balades, tous les cadeaux reçus et offerts. Quelques années plus tard en 1969, elle dressera la liste de toutes ses visites…

Une vie en carnet, une vie d’écriture composée de pages et de pages griffonnées, mais une vie thématisée et par moments déshumanisée. Une vie vécue sur un mode impersonnel. Un cartel nous apprend que son mari est envoyé à Auschwitz. Il en reviendra vivant mais, jusqu’ici, aucune trace n’a été relevée dans ses carnets. On constate simplement que l’absence de cet être que l’on suppose aimé, a déclenché une autre pratique : en parallèle à l’écriture, elle commence à s’envoyer des cartes postales comportant une ou deux lignes. Message de réconfort, message d’espoir, vivre l’absence de l’autre via l’artefact d’un courrier que l’on sait factice… Janina Turek construit son monde, avec ses codes prédéfinis, sans état d’âme ou presque, sans fioriture aussi. Lister, classer, thématiser, s’occuper… Une masse d’écrits qui fait biographie.

Collection cleptomane

Quelques salles plus loin, une vitrine renferme la « Private Collection » d’Anetta Mona Chisa et Lucia Tkacova, c’est-à-dire une collection d’objets volés. Ces deux plasticiennes, repérées l’an passé lors de l’exposition « L’Europe en devenir » au Centre culturel suisse à Paris, se transforment en cleptomanes. Elles chapardent de petits objets dans diverses galeries d’art à travers le monde. Leur butin exposé, stylos, cendriers, cartons d’invitations et autres babioles forment un ensemble sculptural hétéroclite, précaire et ironique. En attendant que la collection s’agrandisse, on est curieux de savoir si une institution publique serait prête à acheter cette œuvre ou si un collectionneur serait assez « couillu » pour proposer aux deux voleuses quelques endroits à dévaliser…

Beau travail

Autre vision ironique ou distancée de notre société, l’exposition collective « The Way Things Are » met en parallèle plusieurs dialectiques sur le travail. On ne boude pas son plaisir à revoir les productions d’Allan Sekula (dont poptronics vous a déjà parlé) issues de sa série « Fish Story » présentée à la Documenta 11 en 2002. Le cargo, emblème du marché global, sert ici au plasticien de pivot pour théoriser la globalisation et se focaliser sur l’entraide entre les travailleurs du monde entier. L’œuvre de Sekula dépasse les carcans des médiums et des disciplines : sa sociologie se fait politique et poétique.

Dans un style plus esthétisant, les deux propositions sculpturales de Los Carpinteros, « Frio Estudio del desastre » (2005) et « Espejos de Agua » (2001). Los Carpinteros (les charpentiers en espagnol) sont un trio d’origine cubaine, composé de Dagoberto Rodriguez Sanchez, d’Alexandre Arrechea Zambrano et de Marco Castillo Valdes. Leur première installation consiste en un simple arrêt du temps ! Une pause avant la catastrophe, le mur percé, soufflé, les morceaux suspendus dans les airs… Etrange arrêt sur image qui évoque aussi bien la ruine que l’effondrement des tours jumelles du World Trade Center. Pour « Espejos de Agua », plusieurs tables, éclairées fortement par plusieurs lampes d’architectes… exposent de l’eau qui font apparaître et se mouvoir des formes avant de disparaître, dès que l’eau s’évapore…

Autre très bonne découverte, « Asylum » (2001-2002), installation en neuf écrans de Julian Rosefeldt, dont on a pu apercevoir quelques tirages à la Fiac. Le vidéaste pointe avec une extrême finesse la routine des travailleurs, la répétition des mêmes gestes, des mêmes trajets dans des univers tous emprunts d’un spectaculaire onirisme. Enfermés, prisonniers, ces personnages balayent, comptent, recomptent, nettoient à l’infini les même pièces, les déplacent, les replacent… Autant d’écrans que de lieux, autant d’entreprises, de réserves, d’usines, en intérieurs ou extérieurs qui englobent une bonne part des espaces dédiés aux travailleurs manuels. La caméra les scrute au plus près, les corps forment un ballet silencieux que la musique vient rythmer, puis l’épuisement s’accroche au cadre, les personnages se tassent, les traits des visages se creusent… Ultime collection d’attitudes et de travaux entre vie et survie.

Si le colloque faisait la part belle à toutes les formes de collections et de collectionneurs, même les plus enclins à la polémique, comme Saatchi, ce nouveau centre d’art contemporain fait le choix résolu d’une collection atypique.

cyril thomas 

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