« life.turns », un court-métrage et une installation participatives réalisés par la plate-forme de blog photo écossaise Blopfoto.
La fabrique à zootrope mise en place par la plateforme de blog photo Blipfoto à Edimbourg, cet été. © Blipfoto
< 15'09'10 >
Zootrope 2.0

Participatif, communautaire et revisitant l’histoire des débuts de l’image animée : « life.turns » réunit tous ces ingrédients comme un instantané de net culture des années 2010. Né en Ecosse, ce film porté par Blifoto, une plateforme montante de blog image, composé de plus d’un millier de photos en provenance d’une douzaine de pays, a été réalisé au creux de l’été, en quarante petits jours. Loin des grosses machines de la culture numérique (on n’a eu que des échos de l’Ars Electronica Festival qui vient de s’achever à Linz, encore plus giga-géant que l’an passé, avec ses 90.227 visiteurs…), ce projet écossais a quelque chose de frais, d’enfantin presque, de ludique en tout cas.

Le festival des arts d’Edinburgh a invité Blifoto à occuper l’espace d’Inspace, le lieu dédié à New Media Scotland, pour en faire ce que, pompeusement, on pourrait appeler un espace de réalité mixte, et qu’ils ont plus modestement nommé la première fabrique de zootropes, ces jouets du milieu du XIXème, ancêtres du cinéma. A l’intérieur du cylindre qu’on faisait tourner comme une toupie, des images s’animaient en faisant la danse, jouant de la persistance rétinienne. Les passants et visiteurs d’Edimbourg pouvaient participer au film coopératif inspiré de la technique pré-cinématographique pendant que les internautes continuaient à poster leurs contributions, en suivant le « Guide pour life.turns » et ses instructions très précises. Les huit figures de la marche décomposées par Muybridge en son temps constituaient le canevas de départ de la proposition. A chacun de choisir sa position, de prendre sa photo et de l’envoyer ensuite à Blipfoto pour enrichir le film.

A la toute fin de l’été, après quarante jours d’appel à participation, le film de 3 minutes et 21 secondes a été mis en ligne et diffusé à Edimbourg sur grand écran et en version zootropique, en clôture du festival écossais, avec ses 1205 photos venant de 12 pays (sur une bande-son pas franchement terrible, signée du rock star écossais Travis). On y voit marcher des centaines de gens pourtant pris en photo à l’arrêt, superposés les uns aux autres, composant une figure hybride, mélange d’animation mécanique (via le zootrope géant installé à Inspace) et numérique.

« life.turns », réalisation collective Blipfoto, 2010 :

Ce bel hommage aux premières images animées fait évidemment référence aux travaux de Eadweard Muybridge, auquel la Tate Britain à Londres consacre cet automne une exposition. Si le zootrope a été inventé par l’Anglais William George Horner (1786-1837) et l’Autrichien Stampfer à Vienne en 1834 (mais l’objet n’aura pas la destinée de la photographie ou du cinéma et restera au rayon des jouets), la décomposition du mouvement est à mettre au crédit (quasi simultané) de l’Anglais Muybridge et du Français Etienne-Jules Marey. Le chantre de la chronophotographie avait affirmé qu’un cheval au galop avait les quatre fers en l’air pendant sa course. Muybridge prouva l’intuition de Marey grâce au zoopraxiscope, un projecteur qui recomposait le mouvement (procédé qu’il met au point en 1881). Dans « The Human Figure in Motion », en 1901, Muybridge s’attaque à la marche humaine, soit… 109 ans avant le film de Blipfoto.

Ces deux figures sont plus que jamais des sources d’inspiration pour les créateurs numériques d’aujourd’hui. Blipfoto donne une seconde vie au zootrope, en l’humanisant de l’expérience partagée. Il faut dire que l’histoire même de cette plateforme de photoblog est emblématique de la net culture. A l’origine, en 2004, un homme, Joe Tree, qui développe son média à lui, minimaliste, pour publier une photo par jour, à la manière d’un journal. Sobre, graphiquement réussi (il est webdesigner), et avec un œil certain pour la belle image, le blog de Joe Tree marche si bien que ses internautes aficionados finissent par lui demander eux aussi de participer. C’est ainsi qu’est né Blipfoto, sur le modèle gratuit premium (les vrais accros paient des services supplémentaires). Le projet perso se fait communautaire et rencontre un succès grandissant : plus de 500.000 images online, 100.000 visiteurs uniques par mois de 150 pays, plus adultes que la moyenne des internautes. Il faut dire que les partis pris graphiques et de navigation ne poussent pas au commentaire posté à la va-vite, que l’interface en noir et blanc et le principe d’une forme contrainte (une image légendée et datée du jour de sa mise en ligne), attirent plutôt les plus de 35 ans. Les récompenses ont suivi : un Bafta (British Academy of Film and Television Arts) en 2009 et le prix Alt-W en 2010 (qui soutient la création numérique en Ecosse).

L’épisode « life.turns » est donc le dernier avatar de cette communauté visuelle. Comme le dit Joe Tree, le fondateur de Blipfoto : « Blip est le fruit de milliers de vies et d’histoires individuelles mais le meilleur arrive quand la communauté fait quelque chose collectivement. “Life.turns” est l’occasion de faire que des communautés virtuelles viennent dans un espace physique réel et que les “vrais” gens viennent aux projets numériques. » Ce n’est pas Anne Madelen Kos qui le contredira… Cette très jeune photographe suédoise a été repérée grâce à Blipfoto pour ses autoportraits plutôt très décapants (elle a commencé à 17 ans, on la compare à Cindy Sherman…). Pour Graham Maclachlan (Blipfoto), le film « life.turns » n’est en effet qu’un début : « Nous prévoyons de faire tourner l’installation comme de l’art crowdsourcé, tout en développant des séries de nouveaux thèmes. Pour être honnêtes, nous n’avons guère eu le temps d’imaginer les étapes suivantes mais nous avons d’ores et déjà de nombreuses demandes pour des installations futures… »

annick rivoire 

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