« L’instant n’en finit pas », exposition avec Patrick Neu (en partenariat avec le Centre européen d’actions artistiques contemporaines de Strasbourg), Jean-Christophe Norman, Paul Kos, Eric Poitevin, Hiroshi Sugimoto, jusqu’au 9/03/08 au 49 Nord 6 Est – Fonds régional d’art contemporain de Lorraine, 1 bis, rue des Trinitaires, Metz (57). Entrée libre.
Paul Kos « Sand Piece », 1971 (collection du Frac Lorraine). © Marjorie Micucci-Zaguedoun
< 21'12'07 >
A Metz, l’art suspend le temps

(Metz, envoyée spéciale)

« Que voyez-vous ? (…) L’image de l’insaisissable fantôme de la vie (…). » Herman Melville, « Moby Dick ».

Il se produit toujours au 49 Nord 6 Est, à Metz, ou, dit de façon moins topographique et plus correctement institutionnelle, au Fonds régional d’art contemporain de Lorraine, des « expériences » d’expositions perturbantes, subversives, provocatrices, poétiques, intelligentes, irréversibles. Bref, après cet épuisement de qualificatifs non exhaustifs, le visiteur/se est prévenu(e). Celui ou celle qui pousse la porte de l’Hôtel Saint-Livier – le Frac est sédentaire en ces murs datant du XIIe siècle depuis le printemps 2004 – ne doit pas s’attendre à une classique exposition d’art contemporain avec sa liste de noms d’artistes, ou son accumulation d’œuvres tous médiums confondus, ou avec sa sage présentation des dernières acquisitions de l’année. Il ou elle ne doit pas non plus escompter en ressortir indemne.

Le 49 Nord 6 Est engage, à chacune de ses expositions, une fiction/proposition critique où le sensible le dispute au théorique, et inversement. Engage un récit/concept dont le visiteur devient à la fois le lecteur désorienté et le voyant privilégié. A lui de jouer avec les œuvres (pour la plupart conceptuelles, pour la plupart œuvres d’artistes femmes). A lui de s’y confronter. A lui de les détourner. A lui de les vivre. A lui d’en prendre le risque.

La possibilité d’une éternité

Le 7 décembre dernier, donc, une nouvelle exposition, qui tient toutes ses promesses de perturbations, a été inaugurée : « L’instant n’en finit pas ». Titre poétique, certes. Titre couperet s’il en est. Titre enjeu d’une exposition qui interroge les temporalités et les finitudes de toutes choses (œuvres comprises), et qui pourrait nous faire toucher du doigt, un instant, la possibilité d’une éternité. Tous les temps sont ici convoqués pour notre exploration et notre contemplation : temps intimes, infinis, creux, arrêtés, collectifs, fragiles, éphémères, disparus. Temps humain, le nôtre, capté, saisi par l’œuvre, temps écrit, tracé, temps néant. Mais aussi temps propre des œuvres, temps présent/absent de l’artiste, temps aléatoire du visiteur, temps réglé de l’exposition (de celle-là, mais de toutes les autres possibles), temps historique d’un bâtiment, temps incertain d’une institution, temps inconnu d’une vie… et leur inexorable contrepoint : la disparition.

Parcours oxymore. Il y a un suprême commencement à cet instant qui n’en finit pas : une pièce de 1971 de l’artiste conceptuel californien Paul Kos (dès les années 60-70, il se pose la question du matériau en relation avec le concept), « Sand Piece ». Une tonne 200 kilos de sable et un tube de laiton de 2 millimètres… et le bâtiment même du Frac est métamorphosé en un immense sablier. L’œuvre brise les espaces, injecte le temps dans ses murs, en propose la possible destruction. Concrètement, le sable s’écoule d’un espace d’exposition (1er étage) à l’autre (espace du rez-de-chassée). Le plafond ou le sol, selon la situation où l’on se trouve, a été percé. Un écoulement qui marque et enregistre le temps de l’exposition. Un grain de sable peut soudain mettre en état de fragilité et de perte un lieu inscrit dans l’histoire, une architecture qui semblait avoir traversé les siècles. Si le haut du sablier est en regard avec le mur des « écritures de temps » de l’artiste Jean-Christophe Norman (qui fut en résidence au Frac Lorraine en 2006), le bas, avec la vision fascinante de l’écoulement du mince filet de sable, est encerclé d’une série photographique d’Eric Poitevin. Une série réalisée en 1993-1995 à partir des crânes de l’ossuaire Saint-Hilaire de Marville (Meuse). Eric Poitevin fait surgir des formes indéfinissables, innommables, puis l’idée vient au visiteur… ce sont des crânes posés dans le néant photographique. Vanités contemporaines. Le passage du temps nous a saisi. Nous sommes fragiles, nous sommes mortels.

Tout au long du parcours, les « écritures du temps » de Jean-Christophe Norman vont nous rappeler que nous n’échappons pas à la durée, que nous en sommes constitutifs. Que ce soit sur une entière paroi, où l’artiste, seul (il ne s’agit en aucun cas d’une performance en public, mais d’une « action » en solitaire, réactivée, que le visiteur expérimentera plus tard, dans un autre temps), a écrit au marqueur noir, jour, mois, année, heure, minute, seconde, ou sur une surface papier. Jean-Christophe Norman est un marcheur et un écrivain de temps. La ligne est sa mesure, le temps écrit ou tracé devient ligne et abstraction. Nous lisons ce temps qui fut, avant, le temps de l’artiste dans l’effort physique de cette écriture répétée. Un temps avec les accrocs de la fatigue, les ratures, les imperfections du support. Ce temps que s’approprie le visiteur devient multiple et infini. Un temps qui a tout moment peut s’effacer, sera effacé.

Des œuvres fragiles

L’effacement… Patrick Neu, artiste des plus intimes et des plus discrets, travaillant et vivant à Enchenberg, en Moselle, pratique des matériaux et des supports voués à une dissolution plus ou moins rapide, voués à la cassure ou au déchirement : coquilles d’œufs, os, bois, cendres, cire d’abeille, ailes de papillon, noir de fumée.

Ses pièces « dominent » l’exposition, elles lui donnent son tempo. Des petits napperons de pâtisserie carbonisés où sont tracées à l’aiguille des reproductions des gravures des maîtres anciens aux verres en cristal qui abritent dans leur ballon aux formes jamais identiques le dessin d’un tableau célèbre, nous sommes dans la perception visuelle et physique de la fragilité : tout peut disparaître par le geste de l’artiste ou par l’inadvertance du visiteur. L’œuvre n’est pas éternelle, non plus. Il faut souligner l’incroyable minutie et précision de ce travail, qui relève de la tradition de la miniature et des cabinets de curiosités du XVIe-XVIIe siècles. Il y a là une totale disparition des frontières entre savoir-faire technique et art. Que l’on retrouve plus haut dans l’exposition avec des dessins d’angelots à l’encre de Chine sur des ailes bleutées de papillons du Pérou. Le dessin est réalisé à même les interstices des membranes des ailes. « Gravures » étranges, promptes à s’envoler, éphémères, qui ignorent les deux armures de cristal (1995-1998 et 1995-2007) posées au sol de la même salle. Étrangeté aussi de ces gisants transparents faits d’une carapace qui ne protège de rien. Y a-t-il jamais eu de corps charnel sous ces armures de néant ? C’est juste magnifique et troublant. La fragmentation, les trouées de vide. Un couple d’hommes ? Un couple de Don Quichotte de l’inutile ? Un couple indifférencié ? Nul ne le saura. Des anges peut-être…

Puisque dans la dernière salle de cette exposition oxymore, superbement lourdes, en état de chute, sont accrochées les énormes ailes de cire d’un ange disparu. Toujours Patrick Neu. Et, in fine, un autre gisant de cristal, pas voulu par l’artiste. Au sol, les restes de cristal de ce qui devait être une colonne composée de verres cristallins enfermant un personnage dessiné au noir de fumée. Seulement, voilà, quelques jours avant l’ouverture de « L’instant n’en finit pas », le personnage décide de se libérer, de s’enfuir, la colonne, une nuit, s’est effondrée. Ne demeurent que les éclats d’une œuvre qui décide de ne pas exister, ou d’être autre. Souffle ou chute de l’ange. Reflet de nos brisures, de nos fragilités… le temps, le temps : saisissement impossible, quête inextinguible, impalpable.

« L’instant n’en finit pas » engage une extrême fragilité et une extrême violence faite au visiteur. Cette exposition-là fait de nous des voyants, éphémères et imparfaits. Voir le temps en toutes ses œuvres ! Une dernière chose : par ces instants alarmants de disparition programmée de politiques culturelles publiques, où l’on joue l’hypocrisie de confondre exigence et élitisme bourgeois, où démocratisation culturelle devient synonyme de populisme et d’art événementiel, le travail entrepris depuis des années par le Frac Lorraine, sous la conduite de sa directrice Béatrice Josse, est des plus essentiels à préserver. Ces expositions-là sont des actes de réflexion et de résistance. De subversion dans cette société libérale qui exalte une « éternelle jeunesse » et ne redoute rien moins que le travail du temps.

marjorie micucci-zaguedoun 

votre email :

email du destinataire :

message :

< 2 > commentaires
écrit le < 21'12'07 > par < lozano e4q provisoire.com >

Désolé, j’ai trouvé cette exposition très maniériste, à l’image d’un art contemporain désuet marqué par les créations de la fin des années 70 (arte povera, art conceptuel, installations in situ), encore un mini remake de l’exposition "quand les attitudes deviennent forme" (1969), il faut croire que depuis cette exposition "le coeur de l’esthétique s’est arrété" pour certains.

C’est simple, pendant un instant, en visitant l’exposition du FRAC, j’ai ressenti une véritable sensation (psychologique) de "déjà vu", il n’y a pas d’explication c’est juste un signe...

écrit le < 21'01'08 > par < colclaudine ugP free.fr >

L’effet papillon "désigne le fait qu’une petite cause peut causer de grands effets". (Wikipedia). Brève nouvelle. Texto : "Pas sûr d’être là samedi, je suis grippé. Jm". Je l’appelle. Lui : et bien voilà, je ne suis pas amoureux de toi. Il passe d’un état à l’autre, il est d’abord grippé puis pas amoureux en un seul battement d’ailes à l’image de "La volonté des courants d’air" de Franck David. Sur ça, je ferme le clapet du mobile, d’abord agitée, je papillonne. Et puis mon regard se pose sur un carton d’invitation au vernissage de l’exposition de Sébastien Gouju à la galerie Lillebonne*. L’image au recto "Papillon/ Taillures de crayons, sous cadre" représente une nature morte composée de taillures de crayon épinglées telle "Les papillons" d’Eric Poitevin. Allez Go ! Ris. "L’instant n’en finit pas"*, là encore, les ailes bleues des papillons de Patrick Neu*, celles en cire d’un ange déchu, font s’envoler les papillons que j’ai au compteur.

colclaudine

* Sébastien Gouju. Galerie Lillebonne à Nancy du 18 janvier au 16 février 2008. * "L’instant n’en finit pas" FRAC Lorraine jusqu’au 09 mars 2008.