Dialector, le programme conçu par Chris Marker en Basic pour Apple II aux débuts de l’informatique personnelle, se proposait de discuter d’égal à égal avec la machine. © DR
< 18'03'13 >
Chris Marker, identification d’un geek
Chris Marker n’a jamais rien fait comme tout le monde. Cinéaste, poète, geek avant l’heure, ami des chats et des chouettes (et de Poptronics où son alter ego félin, Guillaume-en-Egypte, a longtemps officié en tant que chat-pigiste, griffant l’actualité d’un coup de patte de maître), Chris Marker est mort au creux de l’été, histoire de passer le plus inaperçu possible, lui qui détestait l’exposition médiatique et les aléas de la peopolisation.
Après un hommage en mode quasi-confidentiel à la Cinémathèque cet automne et quelques projections dédiées à ce grand témoin de l’histoire ici et là, c’est donc au centre Pompidou de lui dédier une séance spéciale du cycle Vidéo et après, ce 18 mars. Artistes, proches, architectes des mondes virtuels et autres personnalités satellites embarquées dans les aventures défricheuses de cet arpenteur de la culture numérique devraient offrir un aperçu plutôt inédit de celui qu’on a souvent résumé, à tort, comme le réalisateur de « la Jetée » – certes, un chef d’œuvre de photo-roman.
Clarisse Hahn, Young-Hae Chang Heavy Industries, Matthieu Laurette ou encore Pierre Leguillon évoqueront en images ou en mots la figure de Chris, chacun à sa façon : Matthieu Laurette s’intéresse aux groupes Medvedkine, dont Chris Marker fut l’un des instigateurs, le duo de Young-Hae Chang zoome sur la figure de la Coréenne dans le cinéma de Chris Marker…
L’équipe nouveaux médias du centre Pompidou s’est attachée à faire la lumière sur les facettes méconnues de l’œuvre markérienne, comme la collection « Petite Planète » dont il était directeur, ses incursions du côté de la musique de film, comme sur la plate-forme 3D Second Life, où il s’est fait bâtir un musée à la Möbius, tout en volutes et en chimères animales, qui aujourd’hui a migré dans le monde de l’open source.
Ce qui est formidable avec Chris Marker, c’est qu’il a planté tout un tas de graines (subversives, drolatiques, artistiques) au cours de son existence, que d’autres jardiniers que lui, amis et défenseurs de ses façons de voir le monde, perpétuent aujourd’hui. C’est ainsi que l’Autrichien Max Moswitzer, architecte des mondes virtuels, ira faire un tour dans l’Ouvroir (ce musée qui n’en est pas un où Guillaume est toujours présent, où les loups et les baleines vous invitent à pénétrer dans le panthéon personnel de l’artiste).
C’est ainsi que je me suis embarquée dans l’aventure de « Dialector », une enquête archéo-numérique en cours avec Agnès de Cayeux et André Lozano dit Loz. « Dialector », c’est un programme conversationnel écrit par Chris Marker en 1985 dans la droite ligne de l’intelligence artificielle des débuts de la cybernétique. C’est l’histoire d’une disquette désuète que Chris Marker nous avait confiée, sur laquelle était stockée, espérait-il, le code écrit (composé, pourrait-on dire), par lui sur un Apple II, le premier ordinateur personnel d’Apple qui laissait la possibilité à ses utilisateurs d’en écrire le programme. En Basic, un langage de programmation aujourd’hui abandonné, « Dialector » a connu plusieurs versions, jusqu’à ce que la firme à la pomme décide en 1988 de refermer cette fenêtre. Dès lors, pour le proto-geek Chris Marker, la messe était dite. « Dialector » allait connaître des mises à jour qui ne feraient que l’édulcorer.
Cette disquette qu’il nous avait confiée pour en récupérer le code, nous l’avons pour l’instant à moitié récupérée : ce soir au centre Pompidou, nous ne ferons qu’en montrer une version lissée, un ersatz du programme émulé en Basic pour nos machines actuelles. Cet émulateur présente une conversation type enregistrée par Chris avec son programme. Pour la petite histoire, il l’avait sous-titré « The Second Self »...
Nous n’en sommes qu’au début d’une enquête dont nous présenterons régulièrement sur Poptronics les étapes. Depuis que Chris est mort, cette enquête archéo-numérique s’est en effet compliquée de questions d’héritage et de succession – pour l’instant, personne ne peut accéder aux différentes archives de Chris Marker. Sur la vidéo présentée ce soir au centre Pompidou, le son d’une voix amie, celle de Paul Lafonta, l’un des pionniers du monde Apple en France, spécialiste des questions techniques les plus pointues, et ami de Chris.
C’est lui qui aida Chris Marker à s’équiper en informatique, à gérer sa mémoire numérique comme à envisager des développements visionnaires (interfaces tactiles, lunettes-caméra…). Un témoin privilégié de l’incroyable intuition visionnaire de Chris Marker en matière de culture numérique. C’est en tout cas cette hypothèse que nous tenterons de creuser au fil de l’enquête, avec Agnès de Cayeux, artiste qui passa de longues séances à discuter online de l’intelligence des machines avec Chris, et André Lozano, agitateur artistique rétrogeek (les ordinausores sont sa marotte).
annick rivoire
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