Un selfie en VR : David Guez équipé du casque Merge. © DR
< 26'11'14 >
David Guez lance le VRLAB parce que « la VR est révolutionnaire »
David Guez est un artiste pionnier des nouveaux médias, qu’il aime critiquer, décortiquer, dépiauter même pour en saisir toutes les potentialités. Très proche de Poptronics (il a participé à la conception du projet, a été le premier à investir le pop’lab, a écrit de nombreuses chroniques ici-même), David est aujourd’hui plongé dans une nouvelle aventure, le VRLAB, un collectif qu’il a initié autour de la réalité virtuelle (VR pour les intimes). Cette nouvelle technologie qui ne l’est pas tant que ça, à la faveur de l’attention médiatique portée aux Oculus Rift notamment, revient sur le devant de la scène. Et David Guez, donc, enthousiaste et exalté comme aux premières heures du réseau des réseaux, lance le VRLAB ce vendredi à la Gaîté lyrique autour d’un plateau média (avec artistes, chercheurs et journalistes critiques, dont l’auteur de ces quelques lignes...). Nous l’avons au préalable soumis à la question…
Tu n’es pas un « bleu » côté nouvelles technologies, tu as même plutôt été un pionnier, tu crois sérieusement à la nouvelle vague de réalité virtuelle ?
Oui, je crois qu’il y a une conjonction entre plusieurs facteurs (technologique, économique, sociétal) et une attente qui tient au fait qu’il a toujours manqué au Web une interface 3D digne de ce nom qui puisse immerger complètement le regard des utilisateurs dans une nouvelle dimension.
Je suis très critique des nouvelles technologies mais lorsque j’ai essayé l’Oculus Rift en avril dernier dans une exposition d’art contemporain, j’ai compris qu’il y avait de véritables enjeux esthétiques qui dépassaient le simple gadget électronique.
Quant à la nouveauté, la premiere VR a une trentaine d’années. Elle n’était pas du tout au point et réservée à une élite. Aujourd’hui, en faisant une veille intense sur ce qui se passe dans ce domaine, je vois à quel point ce phénomène est en train de prendre. Notamment dans la culture, avec de plus en plus de projets liés au cinéma, au documentaire, à l’architecture, à la visite de musée. Dernier en date, l’Institut du monde arabe qui organise en ce moment une expo sur la visite d’ateliers d’artistes marocains à partir de casques VR installés dans le musée à Paris.
C’est un non sens absolu, ces critiques qui disent “ça n’a pas marché il y a 30 ans et donc, ça ne marchera pas aujourd’hui”. Si on l’appliquait à d’autres médiums (pour rester dans le domaine de l’art), cela signifierait que la peinture aurait dû s’arrêter au paléolithique ! Plus sérieusement, je crois que la VR est ce qu’a été le Web à ses débuts : un champ exploratoire fabuleux, que d’ailleurs les artistes ont déjà commencé à explorer.
C’est quoi le but de VRLAB ?
Quand j’ai commençé à réfléchir à des projets liés à la VR, j’ai constaté que le monde de la VR en est encore à ses débuts. En France, peu d’acteurs de la scène artistique ont défriché ce terrain. J’avais envie de créer un laboratoire, mais pas au sens classique du terme, depuis longtemps. VRLAB s’est imposé comme une évidence. Pour faire de la veille sur les domaines de la réalité virtuelle et des réalités alternatives, pour faire le lien entre l’art et ces domaines, pour mettre en place des événements (conférences, démonstrations, expositions…) qui participent à créer une dynamique de réflexion et de production, mais aussi pour créer et produire des projets, des initiatives d’expositions collectives, de performances, d’installations, enfin établir des partenariats avec des laboratoires scientifiques, universitaires, des structures de productions, des centres d’arts et des espaces d’expositions, et les entreprises des domaines concernés. VRLAB, c’est un collectif au sens ouvert du terme. Je veux réunir toutes les personnes et structures liées à l’art et qui s’intéressent à la VR pour déclencher le plus de dynamiques possibles.
« Immersio », installation interactive du collectif éponyme, sera présentée ce vendredi au VRLAB meetup. © DR
Ce premier “meetup” sur le plateau média de la Gaîté vendredi 28 novembre a pour but de mettre en route le VRLAB ?
Oui, ce premier évènement VRLAB présente le projet de collectif mais est aussi l’occasion d’inviter des artistes qui utilisent la VR ainsi que des acteurs du monde de l’art (écrivain, journalistes, critiques) pour ouvrir le débat sur ce qu’est ce nouveau médium (ou cette nouvelle VR). J’ai pris soin avant le lancement de consulter beaucoup de monde et d’initier plusieurs formes de partenariats qui, je l’espère, vont permettre à terme de produire, produire et encore produire. Ma réflexion porte aussi sur les moyens de production et sur une éventuelle redéfinition du droit d’auteur.
C’est ainsi que je propose une nouvelle plateforme appelée Hubuh. Le principe est de faire le lien entre des artistes et des personnes dont les métiers et compétences participent à la production de projets artistiques. Conscient que la clef de la production des projets artistiques contemporains tient en la mise en place d’une équipe qui fasse appel à des compétences très diverses, HUBUH met en relation ces compétences. En général, une production classique passe par la médiation d’un centre d’art, d’une structure de production ou encore d’une production associée à une subvention publique ou privée. Dans le schéma HUBUH, l’artiste est l’auteur, il gère un budget de production qui aboutit à un objet qui sera ensuite exposé, montré, joué, distribué, vendu... Les personnes qui travaillent sur cet objet sont la plupart du temps mal rétribuées (parce que bien souvent, le budget est faible) et ne participent que très rarement à une distribution des résultats (c’est à dire qu’ils ne reçoivent quasi jamais une partie des droits des cachets d’exposition ou de vente de l’objet en question). Le HUBUH propose aussi une autre forme de collaboration sur la production des projets artistiques. Quand un artiste propose son projet sur le HUBUH, il détermine les besoins et les compétences nécessaires à sa réalisation. S’il n’y a pas de budget initial, toutes les personnes qui participent à la production deviennent “auteur” sur le principe d’un partage en pourcentage des droits d’auteurs. Ainsi le projet devient la propriété de l’artiste et des personnes qui ont participé à sa production, ses associés. L’œuvre est signée par l’auteur et ses associés. Tous les droits de monstration, de distribution, de vente... sont partagés selon le pourcentage défini au départ.
Comment entrevois-tu le rapport entre, d’un côté l’innovation, la recherche des labos sur la VR et, de l’autre, l’art (au sein de VRLAB d’abord, et plus largement dans le cadre de la réalité virtuelle) ?
Je veux travailler avec toutes les structures qui peuvent apporter des ressources (techno, financières, recherche) à la production et la diffusion des projets artistiques. Je crois que les modes de financements publics actuels ne permettent plus de réaliser un projet complètement. Il faut décloisonner tout en respectant les fonctions et les limites des uns et des autres. La question de l’innovation ne m’intéresse pas tant que ça : ce n’est pas une fin en soi pour l’art. Cependant, la découverte et la curiosité au sens large (qui incluent donc aussi l’innovation, la recherche scientifique, la philosophie...) sont de bons véhicules pour “la pensée artistique”. Dans le cas qui nous intéresse, celui de la réalité virtuelle, grâce à la recherche et à l’innovation, nous obtenons un nouveau médium aussi révolutionnaire que la peinture, l’électricité et le Web.
On te connaît (entre autres) pour tes projets qui ont anticipé les pratiques, comme par exemple quand tu faisais une Web-TV pour artistes bidouilleurs, bien avant Youtube. Est-ce que tu imagines aujourd’hui que le terrain de jeu de la réalité virtuelle avec les acteurs économiques majeurs de type Google, Samsung etc., est celui où vont s’inventer les nouvelles pratiques de demain ?
J’aime beaucoup lorsqu’un médium est grand public : il permet de proposer des projets qui touchent le plus grand nombre de spectateurs possible.
Cela signifie de facto qu’au sein de notre système économique, la bataille que se livrent les grands manitous des technologies va voir émerger assez rapidement un ou plusieurs casques VR grand public peu chers et de bonne qualité. Le domaine du jeu vidéo et celui de la téléphonie mobile (et donc du Web) seront inéluctablement les premiers. Il est toujours possible de fabriquer un casque DiY mais il est important à mon sens que ce phénomène se répande le plus possible dans les usages. A nous les artistes, ensuite, de percer, détourner, retourner, halluciner et créer l’espace critique autour de ces usages.
Quel est le rôle de l’art dans les processus d’innovation ? Plus précisément, n’y a-t-il pas un danger à courir après l’innovation (faire de la veille, tester les derniers outils, etc.) quand on est artiste ? Le danger de se retrouver sans réflexion ni recul sur ces processus, et, globalement d’être “mangé” par la course en avant technologique ?
Je ne crois pas que ce soit un danger, au contraire, c’est en connaissant parfaitement son médium et son milieu qu’on est à même de proposer des choses intéressantes. L’art n’a pas de rôle particulier dans l’innovation, la pub ou le marketing. L’artiste est le vecteur de sa propre imagination qui puise dans ses rêves, ses phobies, ses lubies et ses captations sensorielles du réel. Si son réel est très technologique, il en fera peut-être un jour une dalle en pierre avec des zéros et des uns et une autre fois, une machine à voyager dans le temps. N’oublions pas qu’à chaque époque, les artistes étaient très proches des considérations scientifiques et techniques. Cela n’a pas fondamentalement changé. Tout va plus vite et avec plus de bruit, c’est tout !
« The Machine To Be Another », investigation artistique de BeAnotherLab (2014) :
L’artiste peut-il à lui tout seul imaginer les stratégies discursives, pas forcément critiques, mais en tout cas disruptives (comme le soulignent les éditions 2014 du festival Accè(s) intitulée « Disnovation » par ses commissaires Nicolas Maigret et Bertrand Grimault, ou le titre « L’obsolescence déprogrammée » d’une autre exposition organisée cet automne autour du jeu vidéo à Chevilly ?
Si ! Je n’ai fait que cela depuis cinq ans… enfin, depuis le pop’lab N°1 :) jusqu’au manifeste du monde ZEROUN.
En quoi la réalité virtuelle t’intéresse-t-elle ? Tu as déjà des idées d’œuvres, d’installations, de dispositifs ?
Ces nouvelles interfaces qui proposent la vision augmentée correspondent, d’un point de vue esthétique, à un véritable changement de paradigme quant à la notion de perspective. En testant les Google Glass et le casque de réalité virtuel Oculus Rift, la première idée qui m’est venue a été ce tableau de Giorgio Martini (« La Cité idéale (Urbino) », 1470) qui marque la découverte de la perspective en peinture. Je pense réellement que nous sommes à une époque technologiquement prête pour modifier complètement notre « regard » sur la notion de perspective. La question pourrait presque se résumer ainsi : que se passe-t-il si notre vision se retrouve dans des contextes où la réalité est parfaitement copiée, où des interfaces et capteurs nous font ressentir les mêmes sensations que dans le réel, où notre cerveau est complètement leurré par ces images ? Nous pourrions presque parler d’une perspective 4D. Cette dimension supplémentaire serait celle de l’immersion complète dans la 3D. Si l’on reprend le tableau de Giorgio, nous serions alors “dans le tableau”, devant la cité idéale à Urbino.
Évidemment, il ne s’agit pas ici de faire un bête copier-coller théorique entre perspective classique 3D et perspective augmentée, mais le champ de l’art s’est toujours interrogé sur l’image et sur notre rapport à l’image, et notre rapport aux passages esthétiques et sensibles entre le corps virtuel/abstrait et le corps réel/contemporain. Ces questions de corps virtuel, d’interfaces de captation et la notion d’interactivité homme/machine ne sont évidemment pas nouvelles dans le champ de l’art. Ce qui change fondamentalement aujourd’hui, c’est la conjonction possible entre une puissance technologique arrivée à maturité et un phénomène de masse et grand public avec l’imminente démocratisation des casques VR. Le casque VR va devenir la prochaine interface grand public qui relie les différents mondes que nous connaissons et offre une réelle “nouvelle vision du monde”.
Et oui, en effet, j’ai déjà quelques projets, dont un qui me tient à cœur et sera présenté à Beaubourg en février 2016, le projet « Levitation ». Je propose qu’une immersion dans le virtuel via les casques VR puisse changer le réel, changer nos capacités mentales et physiques, en modifiant les circuits neuronaux de certaines de nos fonctions. Je veux travailler avec des labos et des scientifiques pour réfléchir à la mise en place de dispositifs qui vont nous leurrer… mais dans le bon sens du terme. Je crois au final, non pas à l’idée du post-humain, mais plutôt à un humain qui progresse par l’apprentissage.
« Lévitation », un projet VR de David Guez. © DR
Justement, comment vois-tu la VR dans un futur proche ? Tu penses que les lunettes sont l’outil ultime de la réalité virtuelle ?
D’ici à deux ans, les lunettes, les écrans et les puissances de calcul des unités mobiles seront à même de proposer une VR quasi parfaite. L’outil ultime, ce serait une lentille qui puisse faire la même chose, avec un basculement réel/virtuel d’un simple clin d’œil. La VR continuera à évoluer avec le développement des interfaces haptiques et neurales. A terme, nous serons tous des voyageurs de multivers.
Pourquoi est-ce que la VR te fait autant kiffer ?
Je suis mes intuitions et celle-là est surpuissante et déterminante pour la suite des opérations. Sinon, pour le lancement de VRLAB à la Gaîté ce vendredi, c’est gratuit mais si vous vous inscrivez sur le site vrlab.fr, vous pouvez gagner des casques VR Homido et des Google Cardboard.
Recueilli par annick rivoire
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