Après-coup sur la 23e édition du Festival international du documentaire (FIDMarseille), qui s’est tenu du 4 au 9 juillet à Marseille
Après-coup sur la 23e édition du Festival international du documentaire (FIDMarseille), qui s’est tenu du 4 au 9 juillet à Marseille
Tsai Ming Liang suit un moine à Taïwan et transforme son parcours en installation cinéma. Un bon exemple du cinéma présenté au FID de Marseille. © DR
< 20'07'12 >
Docu : le fond de l’air est FID
Marseille, envoyé spécial
Le Festival international du documentaire (FID) de Marseille s’est transformé récemment en « festival international de cinéma », sous la houlette de son délégué général Jean-Pierre Rehm. Une mue qui peut s’expliquer par un positionnement assez singulier dans l’univers des festivals français : là où le Cinéma du Réel ou les Rencontres de Lussas creusent inlassablement le sillon du documentaire sociétal voire engagé, le FID, loin de négliger ces aspects, élargit sa palette pour évoquer le réel, le prisme qu’il constitue et les manières de l’aborder. Le documentaire stricto sensu y côtoie des esthétiques nettement moins balisées, qui unissent la famille du cinéma « plasticien » le plus aventureux et des films qui ne renoncent pas à la narration, mais se situent à la lisière de l’anthropologie ou du collage. Chaque année, on peut ainsi y prendre le pouls de la création contemporaine, loin de l’orthodoxie du docu, et découvrir un nombre croissant d’artistes peu soucieux des taxinomies. Petit tour des pépites de saison. Fukushima en pire Un homme, vêtu d’une combinaison blanche et d’un masque hermétique, pointe du doigt la caméra et donc le spectateur (accusé d’être là ?), face à l’écran, alors que la catastrophe s’est déjà produite et qu’on pressent qu’elle peut se produire de nouveau. « 4 bâtiments face à la mer » (mention de la compétition internationale), énigmatique film de Philippe Rouy, déjà réalisateur de nombreuses pièces courtes qu’on ne saurait réduire au libellé « cinéma expérimental », nous amène sur le site de Fukushima, filmé trois mois après la catastrophe nucléaire par une caméra dont le flux est diffusé sur une page officielle comme gage supplémentaire de la transparence des opérations de sécurisation du site. Le réalisateur a sélectionné 47 minutes de ces images de surveillance parmi des milliers d’heures de rushes pour façonner un montage à proprement parler apocalyptique : on y voit des hommes s’activer sur le site, le parcourir jusqu’à l’hypnose, l’œil électronique captant froidement ce ballet qui se répète jusqu’à l’intervention de cet homme isolé, au cœur du film. La tentative du panoptique échoue face à cette performance en temps réel, dont on ne saisit pas vraiment la nature (révolte d’un employé de Tepco ?) mais qui grippe le mécanisme de surveillance et restitue son humanité à une catastrophe comme déréalisée par le prisme médiatique. Surveiller la surveillance Surveiller et punir, surveiller et soigner, surveiller pour le bien de l’Homme, autant de problématiques qui traversent « Low Definition Control », le film-somme de Michael Palm (sélection Ecrans parallèles, baptisée « les fils du pouvoir »). En montant des images sans qualité issues de banques d’images de vidéosurveillance (tentative de suicide dans le métro, rues, couloirs, foules, etc), soutenues par le dialogue en voix-off auxquels se livrent des neurologues, des théologiens, des sociologues…, le réalisateur autrichien livre une analyse froide et sans espoir de nos sociétés dites développées mais qui ne rêvent que d’une seule chose : nous mettre en capsule pour mieux nous protéger, par une mécanisation à la fois de l’espace public mais aussi de la médecine qui, fait étonnant, anticipe souvent cette tendance du tout sécuritaire « intégré ». Bande-annonce de « Low Definition Control » : Autre film, autre dispositif de surveillance, décidément une tendance lourde de ce FID 2012 : « El Jurado » signé Virginia Garcia del Pino (compétition internationale). L’image là aussi est pauvre, le plan fixe, cadrant en plongée le visage d’une jeune femme attentive, expressive. Le titre du film nous indique qu’elle fait partie d’un jury et on comprend qu’elle assiste à un procès, sans qu’à aucun moment le plan ne déroge à la règle de départ. Contrechamp en toute justice Etonnant renversement des points de vue et vraie leçon de cinéma, qu’il soit documentaire ou plasticien : au fil des exposés des avocats, des précisions du procureur, il s’agit pour le spectateur de juger une jurée qui est elle-même contrainte à une écoute active des événements. Il y a là, dans ce temps qui se dévide, la création d’une matière cinématographique inédite, qui prend un relief et une force proches des grands films de procès. Les jurés se succèdent ainsi dans cette chorégraphie des regards et des mimiques et, coincés dans son fauteuil, à la fois témoins, juges et jurés, on se prend à se passionner pour l’enjeu esthétique de ce formidable billard à trois bandes. Un condamné à mort rêve-t-il ? Werner Herzog, lui, situe sa série (en avant-première française dans la section Ecrans parallèles, « Les fils du pouvoir ») un cran après le procès et avant l’éventuelle peine capitale. « Death Row » (« Le couloir de la mort ») est une série de portraits de condamnés à mort américains, quatre au total, qui constituent autant de nouveaux opus herzogiens à part entière tant la matière qu’ils déploient brasse des thèmes déjà présents dans l’œuvre du cinéaste allemand. Bande-annonce de « Death Row » (2012) : Questionnement sur la mort et le sens de l’existence, passion pour les détails les plus macabres, passion/répulsion pour ses personnages (Herzog, lors de ses entretiens avec les détenus, leur indique d’emblée qu’il s’accorde le droit de ne pas les aimer et qu’il refusera toute instrumentalisation), attention portée aux conditions de détention (les prisonniers rêvent-ils ?) et à cette mort qui rode, toujours. Le portrait le plus marquant est celui de James Barnes, un tueur de femmes multirécidiviste dont le détachement – à peine troublé lorsque Herzog lui raconte avoir rencontré son père – et l’intelligence font frémir. Là aussi, le contrechamp est incessant : nous sommes dehors, ils sont dedans, mais est-ce aussi simple ? Est-ce que le cinéma ne serait pas lui aussi une porte de fer qui nous condamnerait à la cécité, si l’on n’y prend garde, en interférant avec le réel ? Tirons maintenant la lourde porte de fer, quittons les suburbs américains et pénétrons dans la prison des Baumettes (Marseille) pour suivre le travail des femmes psychiatres du Service médico-psychologique régional. Souffrance carcérale aux Baumettes Régis Sauder, auteur de « Nous, princesse de Clèves » l’an dernier, a patiemment introduit ses caméras dans l’enceinte de la prison et pose un constat qu’on pourrait transformer en interrogation : « Être là » (compétition française). Voilà un autre grand film de contrechamp et de paroles : on n’y voit que les visages de ces femmes dialoguant avec les détenus, dialogue souvent interrompu par une situation d’urgence à régler dans les étages, créant une tension aux effets télévisuels parfois inutiles. Cela dit, la matière documentaire est tellement emplie de potentialités fictionnelles qu’on reste rivé à ces paroles, paradoxales, qui ont pour fonction de rendre la potion moins amère pour des individus incarcérés et en proie à des troubles psychologiques (là où la parole prélevée par Herzog était glaciale) tout en creusant le fossé entre le « dedans » et le « dehors ». Une autre modalité du panoptique ? Les histoires défilent, l’empathie n’est jamais très loin mais le corps médical se raidit régulièrement, affirme sa neutralité face à des souffrances qui continueront à se débattre entre quatre murs. L’hygiénisme à la limite du vertige De souffrance, il est étrangement bien peu question dans « Donauspital – SMZ OST », documentaire à la limite du vertige de l’Autrichien Nikolaus Geyrhalter. Le réalisateur avait déjà éprouvé avec « Notre pain quotidien » son esthétique qu’on pourrait qualifier de « millimétriste » tant ses plans, au cordeau, balayaient les moindres détails du réel (celui de l’industrie alimentaire) pour l’ausculter froidement. Il pose aujourd’hui sa caméra dans le plus grand hôpital d’Europe, bardé de technologies. Le film encapsule ce petit monde et en restitue les mécaniques quotidiennes, les processus à l’œuvre (nettoyage, réunions, repas, opérations chirurgicales). Geyrhalter enregistre les gestes du personnel de l’hôpital, parfois ses paroles, mais il prend un malin plaisir à les mettre à distance, à les transformer en bruits de fonds, au même niveau que le bruit des machines. Une approche documentaire glaçante et passionnante, dont la neutralité crée un miroir grossissant à un hygiénisme tout à fait contemporain. Bande-annonce de « Donauspital – SMZ OST » : Le FID est aussi l’écrin naturel d’esthétiques hybrides, qui n’échappent pas toujours au travers du film d’installation requalifié en quelque sorte par une projection en salle, dans un esprit asez proche du Labo clermontois, la radicalité plasticienne en plus. C’est le cas par exemple du « film » (à ce point d’abstraction, on en perd son latin) de Tsai Ming Liang : inspiré par un classique de la littérature chinoise (« Voyage vers l’Ouest », écrit durant l’ère Ming), « No Form » était initialement un projet de long métrage, que l’auteur de « The Hole » a redécoupé en un format compact. Le Taïwan en rouge moine de Tsai Ming Liang On y voit un moine marcher lentement à travers la foule de Taipei, en direction de l’Ouest (le roman amenait le moine Xuanzang vers l’Inde, où il espérait trouver des textes sacrés). Tsai Ming Liang façonne un film qui tord le temps et l’espace, en transformant la quête solitaire du moine vêtu d’habits rouges en un geste esthétique émouvant, la couleur vive tranchant avec la neutralité de l’espace urbain taïwanais. L’impassibilité le dispute à une sorte d’héroïsme et d’absurdité, et on reste longtemps marqué par cet objet conçu pour être montré sous forme d’installation mais qui, projeté, prend une vie bien palpable. La vie et le mouvement innervent également l’œuvre de Philippe Grandrieux. L’auteur de « Sombre » n’a pas perdu de sa radicalité formelle, mais, après s’être parfois égaré dans un maniérisme proche du carton rouge (« La Vie nouvelle »), il revient depuis quelques films à un cinéma du questionnement des images et des corps, un travail physique qui tranche à vif dans l’âme et dans les corps, au lieu d’être fasciné par l’équivocité de la violence. Chorégraphie macabre Conçu lui aussi d’emblée comme une pièce d’installation dans le cadre d’un projet en triptyque (« Unrest »), « White Epilepsy » n’épargne ni les acteurs ni le public, qui assiste pendant 68 minutes à une fort macabre chorégraphie : on y perçoit un, puis deux corps qui se tournent autour, se télescopent, lentement, grondent comme deux animaux (mention spéciale au travail sonore de Corinne Thévenon) et finissent par s’entredévorer. Le film se conclut comme dans un flash surexposé et violent en effet proche de l’épilepsie, qui le place sur un terrain bien éloigné du cinéma et le rapproche de la peinture d’un Bacon qui aurait viré SM. Pour aller plus loin : Le dossier coordonné par Mathilde Villeneuve dans la revue « Zéro Deux » fait le point sur le docu dans tous ses états.
Ah ça IA, ça IA, ça IA
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