Correspondance d’un Français en direct des Etats-Unis pour une double soirée spéciale élections : le vote pour le président et le référendum californien sur l’interdiction du mariage gay et lesbien.
Soirée électorale dans la liesse. Comme le titre ce matin le "Canard Enchaîné", "L’Amérique n’a plus peur du noir". © DR
< 14'08'09 >
Election d’Obama, chronique d’une nuit américaine

(Pop’archive). Correspondance très particulière pour poptronics, en ce jour historique de victoire de Barack Obama pour la présidentielle américaine, nous avons demandé à un Français de Berkeley la rouge, sur la côte Ouest des Etats-Unis, de faire la chronique d’une nuit électorale vue de là-bas. Il ne vit pas aux Etats-Unis, mais y séjourne régulièrement, pour y retrouver son ami. Comme pour toute la communauté gay en Californie, l’enjeu du scrutin était historiquement double : non seulement les Américains pouvaient pour la première fois de leur histoire élire un Noir à la tête de leur pays, mais les Californiens devaient se prononcer par référendum sur l’interdiction du mariage gay et lesbien. Résultat des courses : Obama élu et mariage gay rejeté... Retour sur une nuit agitée.

(Californie, correspondance)

17h, Annah est amoureuse

Ma copine Annah n’est pas une sentimentale. Mais depuis toute petite, elle a une conscience politique très forte et elle en est fière. Cela remonte sans doute à l’époque des années 50 quand, enfant, elle voyait régulièrement débarquer le FBI venu interroger ces dangereux juifs communistes qu’étaient ses parents. Drôle d’Américaine qui allait en vacances en Bulgarie dans les années 60 et pour qui le socialisme n’est pas un gros mot. Mais pas question de faire dans le sentimentalisme. Il suffit de voir le regard sévère qu’elle a jeté l’autre soir à son avocat de mari quand il a raconté le premier mariage gay auquel il a assisté le mois dernier et qui lui a tiré quelques larmes. Pour Annah, seule la lutte pour l’égalité des droits et la justice compte. Les robes blanches et la « Mélodie du bonheur », c’est pas son truc. Bref, Annah est tout sauf une rêveuse...

Et pourtant, hier, en prenant un café avec elle, je l’ai senti vaciller. Quand je lui ai demandé si elle était amoureuse de Barack Obama, je l’ai vu hésiter. Dire « oui » va à l’encontre de sa façon de faire de la politique. Mais le charisme de cet homme a la force d’un tsunami. Annah s’est alors mise à parler de ces centaines de volontaires qu’elle rejoint chaque jour pour appeler des électeurs dans les « swing states » et qui se déchaînent au téléphone, de cette effervescence qu’elle n’a jamais ressentie en quarante ans d’implication politique. Annah a tenté de se ressaisir en parlant de Michelle Obama qu’elle trouve très belle et très courageuse, mais comme Annah n’est pas lesbienne, j’ai bien vu que ce n’était qu’une vaine tentative pour éviter la question initiale.

Quant à moi, pas la peine d’y réfléchir à deux fois. Si Barack me demande de l’épouser demain, je dis « oui » tout de suite. Encore faut-il que les Californiens disent « non » à la proposition 8, le référendum d’initiative populaire lancé par les organisations familiales catholiques et qui vise à retirer aux gays et lesbiennes le droit au mariage que leur a accordé la Cour Suprême de Californie il y a six mois. Les deux camps ont dépensé 80 millions de dollars pour cette campagne-là. Le « non » au référendum serait historique : pour la première fois un Etat, par référendum populaire, reconnaîtrait définitivement aux gays et aux lesbiennes le droit de se marier.

22h, Sharon est en larmes

Soirée électorale chez une lesbienne mariée à un homme depuis quelques années -c’est tendance paraît-il... Je ne connais pas Sharon, mais je vois tout de suite qu’elle est tendue. La nourriture est prête, les assiettes en carton aussi. Une cuillère de riz complet, une de chili végétarien, une part de « meatloaf » (sorte de pain à la viande), un verre de vin rouge et c’est parti pour une soirée devant CNN. Les résultats de la côte Est commencent à tomber. Très vite, Barack a 105 grands électeurs pour lui quand McCain en a 35. Pour chauffer la salle, Sharon parle de « Will.i.am », sorte d’hologramme qui hante les plateaux télé pour parler de son amour pour Barack. Puis elle nous montre la chanson « Yes we can ».

Sharon est borderline. Moi qui pleure devant le générique de « Sissi », je crois que j’ai trouvé ma maîtresse. La chanson commence à faire pleurer Sharon qui attend cette victoire depuis des mois. Elle-même le dit : « Je suis complètement addicted à Obama. » Un petit tour sur Fox, la télé des fascistes, et tout à coup, à 22 heures, heure californienne, la nouvelle tombe. « Obama is President ! »

Ma Sharon est en larmes, une vraie fontaine. Des cris de joie dans la rue, et un premier toast au champagne « To America ». Ce qui me fait penser que jamais en France, on ne porterait un toast à la Nation après une élection. Très vite, la torpeur nous envahit, comme si nous étions shootés et que personne ne réalisait ce qui se passe vraiment. Tout le monde est ému. Devant le speech d’Obama (j’attends toujours son appel pour le rejoindre et l’épouser), je m’accroche à mon siège pour cacher la pleureuse qui sommeille en moi devant un évènement aussi planétaire : un Noir président du pays le plus puissant de la planète. Ce même pays dont on croyait que tous les habitants étaient de vilains racistes réactionnaires. Quel pays fascinant décidément !

La suite n’est qu’une succession de verres de champagne et de cookies à la cannelle. Et virevoltant au milieu, Sharon, avec son T-shirt trop grand aux couleurs d’Obama, la goutte au nez, passe du rire aux larmes…

Au réveil, Christian a la gueule de bois

Alors oui, forcément, Obama, c’est un truc de dingue, c’est le « Dream » de Martin Luther King, c’est la page de l’esclavagisme qu’on tourne, ce sont ces connards de Républicains qu’on renvoie chez eux, et surtout le « W » au Texas, et « la Palin » en Alaska, en espérant qu’elle sera kidnappée par les Russes et que personne ne demandera jamais de rançon !

Mais quel affreux sentiment face au « Oui » de la Proposition 8... La Cour suprême de Californie avait reconnu il y a 6 mois que le refus de marier deux hommes ou deux femmes était discriminatoire et allait à l’encontre de la Constitution du pays... Le brave peuple californien, lui, a décidé hier que le mariage, ce n’était décidément qu’une histoire entre hétéros. C’est la première fois qu’un référendum aux Etats-Unis retire un droit fondamental préalablement accordé à une catégorie de la population. Le seul exemple qui me vienne à l’esprit, c’est Adolf retirant leurs droits aux Juifs. Je sais bien que les Californiens ne sont pas des nazis. Mais une fois de plus, les intégristes religieux ont gagné, et en premier lieu les cathos et les mormons, qui ont été les plus gros financeurs de la campagne en faveur du oui. Et que penser de ces chiffres : 80% des Afro-américains californiens ont voté « oui », contre 50% chez les Blancs, les Asiatiques et les Latinos... ? Comme si l’oppression subie ne suffisait pas à rendre plus sensible aux discriminations que d’autres vivent...

C’est pas tout ça mais j’ai du boulot. Faut que je trouve le moyen de devenir Hollandais, que je fasse quelque chose pour calmer mon mec qui fait la gueule depuis ce matin et veut retourner vivre en France (je lui parle de Sarkozy, mais il n’entend pas), que je console ma mère qui avait déjà prévu de venir l’an prochain au mariage de son fils adoré. Tout ça va sans doute finir par une séance de shopping à San Francisco. C’est aussi ça, l’Amérique !

Cet article a été publié le 16 octobre 2008.

christian boyer 

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< 1 > commentaire
écrit le < 17'11'08 >
Salut frangin, bravo pour ta chronique ! !!!! Ce qui m’étonne le plus dans ces élections américaines, ce sont les analyses qui font des référence permanentes aux origines ethniques ... n’est ce pas entretenir la discrimination, que d’interpréter les votes en fonction de ce critère ? Mi