Jean-Luc Moulène au Carré d’art de Nîmes, jusqu’au 3 mai, place de la Maison Carrée, Nîmes (30).
« Jean-Luc Moulène », catalogue monographique bilingue (français/anglais), textes de Jean-Pierre Criqui, Yve-Alain Bois et un entretien de l’artiste avec Briony Fer.
"Sphinx" (2003), la danseuse Julia Cima, enceinte, à quelques semaines de son accouchement/Courtesy de l’artiste & Galerie Chantal Crousel © ADAGP, Paris 2009
< 11'02'09 >
Jean-Luc Moulène, l’art de déplacer le regard

(Nîmes, envoyée spéciale)

La tâche n’est pas simple : quand il ne s’agit pas de faire découvrir un artiste inconnu du grand public, le musée d’Art contemporain de Nîmes présente ceux dont le travail nécessite de tenir le visiteur par la main. C’est ce que nous offre cet événement à caractère rétrospectif (de 1977 à 2008 en 77 pièces, photographies, dessins, volumes et une vidéo) autour de Jean-Luc Moulène. De son expérience professionnelle dans les domaines de la communication et du design en tant que conseiller artistique, publicitaire puis enseignant, l’artiste a accumulé des preuves de l’ambiguïté de l’image, de sa polysémie. Et s’il travaille essentiellement la photographie, c’est pour poser la question de la représentation et de notre attitude de regardeurs. A question usée, Moulène répond par une scénographie pointue, à décrypter patiemment.

Inutile de parcourir l’exposition à grands pas, on passerait à côté. Alors qu’ici, tout invite à prendre son temps. A commencer par le petit livret édité pour l’occasion. Contrairement aux grands formats à déplier que l‘on nous remettait jusqu’à présent, ce livret, par ses proportions et sa mise en page, donne envie d’être lu, posément, au fil des salles. A chacune correspond une page où un court texte et une photo suffisent à donner des pistes de réflexions sur ce travail conceptuel. Enfin, des œuvres accrochent littéralement le regard -quand ce ne sont pas les pieds !- par leur emplacement en décalage avec l’architecture, suspendues ou, au contraire, à même le sol.

Alors prendre son temps : accepter d’être en équilibre comme le grouillot de la sculpture « Théâtre » placé au centre du hall de l’exposition. Ce bonhomme, standard de la figure humaine utilisé dans les dessins et maquettes d’architecture, en indique l’échelle et nous donne, ici, celle de l’exposition. Stabilisée entre deux espaces apparemment identiques (les White cube du musée ?), cette silhouette nous propose de franchir la limite, de mettre en danger notre équilibre. C’est notre position de visiteur qui est mise en jeu. Il va falloir « se déplacer ».

D’abord, déplacer le regard au-delà des limites intimes avec le volume photographique « Cristal Sex » (2006), assemblage de sexes de femmes ouverts pris en plans serrés qui nous happe dès l’entrée. Ensuite, déplacer le regard au-delà des limites architecturales en rendant poreuses les distinctions faites entre l’étage de la collection permanente et celui de l’exposition temporaire. Il faut se pencher afin de surplomber l’installation « Yellow Stones » (2004) et descendre dans la collection, pour l’appréhender de près. Enfin, déplacer ce regard au-delà des limites de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, de l’intérieur et de l’extérieur… tout décloisonner et perdre ses repères afin de toujours mettre en question ce que l’on perçoit.

Et même ce que l’on voit avec évidence comme ces deux grandes photographies de nus, frontaux, sur fond neutre, desquels le regard ne peut se détacher, ne rien faire d’autre que les parcourir. Est-ce bien la nudité qui est ici en jeu ? N’est-ce pas plutôt notre embarras face à ces personnes ? La situation n’est-elle pas quelque peu désarmante, troublante ? N’est-ce pas cela que nous montre Jean-Luc Moulène avec ces portraits : deux attitudes face à l’embarras ? Celle de l’écrivain Manuel Joseph (2006), mal à l’aise, et qui, bien que face à nous, semble déjà esquisser un mouvement de repli. Ou ce grand éclat de rire de la comédienne Jeanne Balibar s’avançant sur le fond jaune vitaminé, « Nuquirit » (2004), autre remède à la gêne. N’est-ce pas un peu nous-mêmes ces deux grands nus qui se donnent à voir ? Nous-mêmes en train de les regarder ?

corine girieud 

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< 3 > commentaires
écrit le < 12'02'09 > par < catherinedupire-art c2D orange.fr >
La prose de Corine Girieud a le mérite de mettre en évidence l’expression de l’artiste - Elle ne s’écoute pas écrire mais tente de se glisser dans le peau du faiseur pour éclairer la lanterne des regardeurs -
écrit le < 12'02'09 > par < catherinedupire-art aYh orange.fr >
Le commentaire de Corine GIRIEUD donne vraiment envie de voir les oeuvres de Jean-Luc Moulène !on ressent d’après son commentaire toute la tension que soulèvent les oeuvres exposées , toute cette pudeur mise en danger ou non - Ce rapport à notre intime affiché en plein midi au grand soleil -
écrit le < 13'04'09 > par < alexia.michel ddc hotmail.fr >
http://articlephotoexpo.canalblog.com/ ... impressions et relais.