Clermont 2011, c’est presque fini : cet après-midi au Forum des images, le Festival international du court métrage propose le palmarès de ses trois sections, le Labo (à 16h), l’internationale (à 18h30) et la nationale (à 21h). L’occasion de revenir en détail sur le dixième Labo, à la hauteur de sa réputation (voire la programmation spéciale anniversaire, dont poptronics s’est largement fait écho). Alors que d’autres festivals ont épuisé le filon des « nouvelles images », le Labo de Clermont, au contraire, a gagné en cohérence : en prenant le parti de ne pas privilégier une technique (le motion graphic design, l’animation, le stop-motion…), le Labo a anticipé ou pressenti le bain d’images remixant joyeusement et/ou rageusement le vrai et le faux, le réel et le virtuel, le noir et blanc et les couleurs primaires, l’anticipation et le passé…
Les 40 films de l’édition 2011 dessinent un paysage morcelé, composite et fragmenté de la réalité. Comme si, à l’heure où les manipulations visuelles les plus débridées sont devenues la norme, ne restait plus qu’une échappatoire : l’interzone, le jeu sur les limites des genres, le flou entre deux réalités. Certains jouent l’onirisme (« Magia », de Gérard Cairashi), d’autres préfèrent le trash, tel le décapant « Il était une fois l’huile », de Vincent Paronnaud alias Winshluss, l’auteur de la BD « Pinocchio », ou encore l’humour -noir de préférence, mention spéciale à « The External World », de David O’Reilly.
« The External World », David O’Reilly (Allemagne, 2010) :
La vie « augmentée » de ce don d’ubiquité que nous confèrent nos portables et autres smarphones est passée par là. Impossible de ne pas voir dans le Labo 2011 les traces de cette réalité mixte, entre réseau et monde physique. Les auteurs du Labo 2011 en témoignent à leur manière. Ainsi du « Chant des particules » de Benoît Bourreau, film poétique en diable et pourtant très réaliste : sur la voix off de Michaël Lonsdale, une variation autour du texte « Vague but exciting » du poète Olivier Cadiot, glissent les images à la précision scientifique du LHC de Genève, le très grand accélérateur de particules. Quinze minutes pour s’interroger sur les origines de l’univers et montrer de façon quasi-clinique la science à l’œuvre… Même théma mais tout autre style chez le graffiti artiste italien Blu, qui déroule sa vision du Big Bang en 9’55’’, sans autres moyens que ses pinceaux, quelques objets de récup’, sable, papiers froissés, détritus… Un prix du public 2011 largement mérité...
« Big Bang Big Boom », Blu (Italie, 2010), grand prix du public :
Autre limite, celle entre la fiction et le réel, qu’explore Jonas Odell notamment dans « Tussilago » : la voix off témoigne sur des images dessinées, trafiquées et parfois édulcorées, de l’histoire tragique d’une femme, petite amie d’un terroriste dans la Suède des années 70. A l’image, des superpositions de trames de pixels évoquent les années Flower Power, les dessins en sépia superposés aux prises de vue réelles jouent de l’effet souvenir.
Les frontières du documentaire sont elles aussi des plus floues dans « Ønskebørn (Out of Love) », des portraits d’enfants des rues à Pristina, Kosovo, dix ans après la fin de la guerre, qui chuchotent face caméra. Façon de taire l’horreur de la situation.
De même, la fascination pour le monde animal, l’infiniment petit, passe par des images troublantes, dont on ne sait plus vraiment si elle sont plus vraies que vraies ou totalement fausses. C’est le cas du très plastique « Loom » (2010), réalisé par des étudiants de la Filmakademie du Baden-Wurttemberg, Jan Bitzer, Ilija Brunck et Csaba Letay, un cauchemar éveillé pour tous ceux que les araignées effraient.
« Loom », Jan Bitzer, Ilija Brunck et Csaba Letay (Allemagne, 2010), extrait :
Le documentaire d’animation est une de ces nouveautés qu’a su très vite repérer le Labo. Les fresques dessinées du Chinois Sun Xun lui ajoutent une dimension de manifeste poético-politique qui ne détonne pas en ce printemps arabe 2011. Dans « Beyond–ism », Sun Xun prend prétexte d’une légende chinoise (le premier empereur de la dynastie Qin envoya Xufu et 3000 enfants explorer les terres magiques de l’Orient pour trouver le secret de la vie éternelle) pour digresser sur la liberté et le pouvoir, avec une maestria graphique complètement lyrique…
Politique-fiction, documentaire fictif, pellicule artificiellement vieillie… Les jeux de mise en doute du réel se multiplient. Le constat n’est pas toujours cynique ou pessimiste. Le très beau « Synchronisation », du Lituanien Rimas Sakalauskas, qui fait s’envoler des vestiges architecturaux de la Guerre froide et transforme des tours de télévision en toupies de l’espace, est tout simplement bluffant.
« Synchronisation », Rimas Sakalauskas, 2010 :
« Get Real ! » d’Evert de Beijer (Pays-Bas, 2010) résume idéalement cette métaphore d’un monde de réalités superposées. L’adolescent boutonneux qui bastonne les superméchants des nuits entières dans un jeu vidéo se retrouve confronté à la même problématique dans sa vraie vie : sauver la fille de ses rêves. Dans un mix de couleurs RVB (clin d’œil aux premiers jeux vidéo), les deux mondes se mélangent…
Enfin, autre façon de brouiller définitivement toutes les pistes, celle de Jonathan Caouette. Caouette, c’est cet Américain désespéré dont le « Tarnation », long docu d’autofiction barrée, avait secoué les esprits en 2004. Caouette donc, retrouve le cinéma en forme courte, pour un joyeux (pas tant que ça…) mélange des genres, entre série B et fantastique des années cinquante revisité, au prétexte d’un scénario hirsute autour des gens aux yeux rouges. Lui-même le revendique : « L’idée était de rassembler plusieurs rêves ou cauchemars que j’ai pu faire dans un film expérimental à la narration un peu décousue. » Chloé Sévigny joue à se faire peur et nous fait peur, tout comme l’enfant et le vieux, vrai grand-père de Caouette. L’ensemble rappelle furieusement « Tarnation », avec ces effets spéciaux mal léchés et ces aller-retours permanents du passé au présent.
« All flowers in Time », Jonathan Caouette (Canada, Québec, Etats-Unis), 2010 :
Et puis, deux autres films de ce Labo 2011 qui ne rentrent dans aucune case mais qu’il serait dommage de ne pas nommer. D’abord le joli tour de passe-passe pré-techno de l’Autrichien Clemens Kogler, qui invente carrément une forme filmique performative nouvelle, la « phonovidéo », sur le principe du bon vieux disque : l’histoire se déroule à la surface des disques vinyles et, précise le réalisateur, le film a été « enregistré live sans aucune post-production ni même un ordinateur ». Un ovni réjouissant dont on pourrait reparler, tout comme le film du Croate Marko Mestrovic, « No Sleep Won’t Kill You (Nespavanje ne ubija) ». Ça commence en film amateur Super 8 des années soixante, ça enchaîne en flipbook à dessins brassant hybrides à cornes et catcheurs à tête de rhino… Lesquels sortent du cadre du carnet de dessins pour s’émanciper à l’échelle de la ville… Le tout assaisonné d’une bande son de folie. Echevelé, fantasmatique et incarné… Tout ce qu’on aime au Labo, quoi.
« Stuck in a Groove », Clemens Kogler, Autriche, 2011 :
« Nespavanje ne ubija (No Sleep won’t kill you) », Marko Mestrovic (Croatie, 2010) :