« Matangi/Maya/M.I.A. », un film de Steve Loveridge, en compétition au F.A.M.E, Film & Music Experience, le festival de films musicaux de la Gaîté lyrique du 13 au 17 février, samedi 16 février à 19h45 (COMPLET !!!), grande salle, 7€-5€ (adhérent) (ou 15€ le pass 3 projections, 30€ le pass 6 projections).
La sortie en salles de « Matangi/Maya/M.I.A. » est prévue le 22 mars 2019.
M.I.A. fait son cinoche en première française au F.A.M.E.
C’est un festival de cinéma différent. Pas parce qu’il s’intéresserait à un genre de récit (type cinéma du réel, étrange festival…) ou même un genre tout court (comme Chéries Chéris, le festival du film LGBTQ), mais parce qu’il est dédié aux films qui ont pour objet la musique. C’est sa 5ème édition et le festival F.A.M.E., qu’on affectionne parce qu’il se cherche et invente (et que Benoît Hické, l’un de ses deux directeurs artistiques, officia longtemps sur ce site, ce qui crée des liens…), paraît avoir trouvé une sorte de ligne de crête, embrassant toutes les narrations autour de la musique.
La petite touche singulière
On y retrouve les « recettes » classiques du festival de cinéma : sa compétition (8 long-métrages en première française), son jury classieux (dont Barbara Carlotti ou Philippe Vasset), ses performances mixant projection et musique (on recommande celle de Krikor, le 16/2 à 19h), ses tables rondes et à-côtés discursifs (synthé en famille, cinéma permanent…). Avec cette petite touche de « festival singulier » que défendent ses directeurs artistiques, Olivier Forest et Benoît Hické, qui dressent pour l’édition 2019 un large panorama sur les « vibrations de la planète », du folk au métal, du voguing à la bossa nova, de la pop aux musiques du monde.
Y a-t-il un genre « film musical » ? La programmation de F.A.M.E. semble dire exactement le contraire, grâce à la diversité de ses propositions, entre classique portrait de label (« Rudeboy, the story of Trojan Records », de Nicolas Jack Davis, le 16/2 à 17h15), plongée documentaire limite glauque dans la vie d’un looser de la country américaine, Peter Grudzien, auteur d’un seul et unique album (« The Unicorn », d’Isabelle Dupuy et Tim Geraghty, le 16/2 à 14h15) ou carnet intime de l’artiste Emmanuelle Antille sur les traces de la folkeuse Karen Dalton (« A bright light : Karen and the process », le 16/2 à 18h45).
M.I.A. popstar non conforme
On a choisi dans cette programmation le film incarnant au mieux cette idée que la musique est un sujet à part entière de l’image cinématographique. « Matangi / Maya / M.I.A. », de Steve Loveridge, pourrait aussi bien être programmé dans un festival rap que dans une manifestation d’art expérimental, tendance nouvelles narrations. C’est un objet cinématographique étrange, hors norme, sur une artiste elle-même assez peu conforme, M.I.A., la pop star anglaise d’origine tamoule qui croise star système et expression politique, déclenche des polémiques à l’échelle internationale (son joli doigt d’honneur pendant le Super Bowl américain en 2012, que la Madonna des années 1980, avec qui elle performe alors, aurait pu assumer, mais que cette éternelle réfugiée à la double culture a bien davantage incarné).
« Matangi / Maya / M.I.A. », de Steve Loveridge (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Sri Lanka, 2018, 95mn), bande-annonce :
Le documentaire mélange savamment les séquences d’autofilmage pour des documentaires d’art qu’elle n’a pas réalisés, les archives filmées au fil d’une vingtaine d’années par son ex-boyfriend et toujours ami Steve Loveridge, rencontré aux beaux-arts à Londres (à la Central Saint Martins College of Art and Design), comme s’il s’agissait du film d’un artiste qui aurait pris pour sujet d’études la personnalité fragile et flamboyante de Matangi Arulpragasm (Maya pour ses proches, M.I.A. pour le star système, un surnom qui joue sur l’acronyme Missing in Action). Sauf que le réalisateur et son sujet se mélangent, deux artistes sont aux manettes d’un film où la jeune fille se cherche, dans son identité (elle retrouve son père, l’un des fondateurs du mouvement de résistance tamoule, après des années de clandestinité), dans sa sincérité aussi.
Médecine musique
D’emblée, deux minutes à peine après le début du film, la voilà qui finit façon bad girl la question de Steve Loveridge « – pourquoi est-ce que tu es une popstar à problèmes ? Pourquoi est-ce que tu… » d’un « – pourquoi je ferme pas ma gueule ? ». Parce que la musique a été sa « médecine », dit-elle, et qu’elle a appris à en faire une force pour ne pas virer « accro à la drogue ». Parce que la musique est son terrain d’expression, de libération, et d’émancipation tout à la fois.
Le film, qui a obtenu un prix spécial du jury au festival de Sundance 2018, dresse en creux le portrait d’une intégration forcée. « La première part d’identité occidentale que j’ai acquise, c’est la musique », dit-elle. Celle qui se rêvait artiste vidéo a cherché à se construire dans une société raciste. « Je devais faire avec le fait que j’étais différente. Un jour au Sri Lanka, je me suis fait tirer dessus parce que j’étais Tamoule. Puis je suis arrivée en Angleterre où on me crachait dessus parce que j’avais une tête de Paki. »
Tout au long du film, le fil narratif oscille entre un autofilmage pour se sortir des situations difficiles, comme si parler face caméra était sa seule issue (au début des années 2000, on la voit ainsi se libérer de la tension accumulée sur une tournée du groupe de britpop punk Elastica qu’elle suit comme documentariste) des extraits de ses performances, un tournage monumental de clip en Inde, sa rencontre avec Spike Jonze (qu’elle entraîne chez un de ses amis MC période Myspace, Afrikan Boy), ou la polémique qui a suivi le clip « Born Free », qui montre un génocide de roux, tourné par un certain Romain Gavras (oui, le même qui s’était fait repérer avec « Stress » de Justice)…
« Born Free », M.I.A., réalisation Romain Gavras, 2010 :
Aujourd’hui largement installée dans la notoriété, M.I.A. flirte encore avec la controverse, défendant la cause tamoule, ce qui lui vaut un sulfureux parfum de terroriste, affirmant une conscience exogène à la domination occidentale. Ni vraiment brit, ni complètement tamoule (on la voit lors d’un voyage au Sri Lanka tenter de renouer avec les membres de sa famille qui rechignent à parler politique voire lui reprochent de ne rien savoir de la guerre civile), à cheval entre deux cultures, M.I.A. a trouvé sa place sur la planète musique. En pensant créer des chansons pour Elastica sur son séquenceur Roland, elle trouve le succès dès son premier EP, en 2005. Mais c’est une autre histoire, que ne raconte qu’à demi-mots « Matangi / Maya / M.I.A. ». De Coachella au Super Bowl, de la couverture du « New York Times » (qu’elle accepte parce que ce sera la première Tamoule en Une de ce journal…), le film évoque la vie publique, la carrière et la méga-visibilité de M.I.A., mais se tient à distance de l’hagiographie comme du biopic lisse. Trouvant lui aussi une voie singulière.