« Whispering in distant voices », exposition de Maïder Fortuné jusqu’au 30/04 à la galerie Martine Aboucaya, 5 rue Sainte Anastase, Paris 3e.
« Once, forever » (2008), installation vidéo en forme de relecture de Dorian Gray. © Maïder Fortuné/Martine Aboucaya
< 23'04'08 >
Maïder Fortuné chasse les fantômes

Par ses deux bouts, si l’on peut ainsi qualifier les deux espaces les plus éloignés de l’entrée de la galerie Martine Aboucaya, l’exposition de Maïder Fortuné « brûle la chandelle » du personnage, notion qu’elle cultive avec une intensité mélancolique, qui force et qui retient l’attention.

D’un côté, il y a l’image arrêtée, refilmée et puis projetée de Dorian Gray (celui du film éponyme d’après Oscar Wilde), qui semble sans cesse se nettoyer et, de ce fait, renouveler son ambiguïté à fleur d’image (« Once Forever », 2008). De l’autre côté, dans une salle sombre, apparaissent en gros plan sur un écran des silhouettes, qui, l’une après l’autre, s’enfoncent et disparaissent dans le gris indéterminé du point de fuite. Ces silhouettes, façonnées par l’artiste, découpent à l’écran des personnages célèbres de dessins animés « tradi » (Bugs Bunny ou Mary Poppins par exemple) rendus à leur évocation minimale : celle d’un simple contour « readymade », sans couleurs, sans expression, sans psychologie, traits désormais superflus dans les limbes de la mémoire (« Curtain ! » 2007).

Quels sont les points, dans l’espace ou dans un texte, qui constituent une identité différente d’une autre ? Ainsi s’interroge Maïder Fortuné, jeune artiste (née en 1973), dont c’est ici la première expo personnelle (auparavant repérée là). Des moyens contemporains du « motion capture » (la capture du mouvement des visages par pointes lumineuses) aux répliques prononcées dans le théâtre classique, il s’agit moins de ce qu’on gagne, mais de ce qui se perd, à chaque fois, dans la constitution d’une identité, fût-elle imaginaire. Il s’agit ainsi de mélancolie ou, plus précisément, de ce qu’on entend dans la notion, énoncée par la philosophe américaine Judith Butler d’une « mélancolie de genre » : où ce qui se perd de l’identité ne peut être nommé et ne peut donc pas faire l’objet d’un travail de deuil. Ainsi, la perte inavouable d’un désir homosexuel dans la formation du sujet ; et l’on peut « comprendre tant la “masculinité” que la “féminité” comme étant formés et consolidés à travers des identifications qui relèvent en partie d’un deuil désavoué ».

Ce n’est pas un hasard si on cite ici Judith Butler, car elle s’est, elle aussi, penchée sur Antigone, personnage féminin, personnage de la rébellion féminine et du trouble dans la parenté, que Maïder Fortuné a inclus dans sa collection de « Characters » (2008) : des caractères sont emmagasinés sous verre, comme du sable dans un sablier, correspondant à l’exact volume de texte dit par un personnage de théâtre. Antigone, le modèle de l’énonciation féminine, celle qui « reprend les mots du pouvoir pour les retourner contre lui », a, constate-t-on ici, bien moins de « caractères » que les personnages masculins, tel Hamlet, qui, lui, remplit plus abondamment sa boîte de verre. On en reste toute attristée.

elisabeth lebovici 

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