Retour sur la 9ème édition du festival Mal au Pixel, les 25 et 26 avril à la Gaîté lyrique à Paris,
La performance « Attack me please » de Benjamin Cadon, en ouverture du festival, sonifiait les ondes wifi qui nous environnent pour nous les rendre perceptibles. © Access Space
< 29'04'15 >
Mal au Pixel #9, l’art du réseau sans paillettes ni selfies
Sortir de l’événementiel pour revenir aux sources de la culture libre. La 9ème édition du festival Mal au Pixel, les 25 et 26 avril à la Gaîté lyrique à Paris, a cherché à repositionner la rencontre de l’art et des cultures open source, dans un contexte où hackerspaces et autres fablabs ont tendance à occuper le devant de la scène pour parfois faire le jeu des entreprises. Cette année donc, point d’exposition, mais une série de workshops qui ont couru sur 2014 et 2015, les Pixel Labs, dont le festival marque la sortie de résidence, et des performances en soirées, comme celle de Benjamin Cadon, « Attack me please », qui sonifiait les ondes wifi (photo ci-dessus) ou The Pirate Cinema de Nicolas Maigret, ici avec Brendan Howell dont la voix grave commentait l’historique des échanges Peer to Peer.
La spécificité de Mal au Pixel, c’est son inscription historique au sein du réseau international Pixelache. Ce réseau des réseaux de festivals et centres d’art nouveaux médias européens est ainsi l’occasion de coopérer sur la programmation et d’inviter plusieurs membres (Pixelache à Helsinki, Piksel à Bergen, Pikslaverk à Reykjavik, Access Space à Sheffield) à venir présenter leurs projets à Paris, ouvrant la scène française sur un panorama pointu de la création numérique. Pour Access Space, Suzanne Palzer, artiste, performeuse et chercheuse, a ainsi donné une conférence sur « OPEN PLATFORM/RAP(s)-TwT », série de performances basées sur la ré-interprétation du numérique par le corps. Partant du principe que la connectivité et la communication sont au cœur de tout système technologique, le projet propose de déplacer le langage numérique vers l’expression corporelle.
Par exemple, dans « Pure Data Dance », la chorégraphe Kate Sicchio, debout sur une petite plateforme en bois, est entourée de panneaux où sont écrites les principales fonctions du logiciel libre de création graphique et musicale Pure Data et reliés entre eux par des ficelles, reproduction low-tech de l’interface. L’artiste interprète en live, avec son corps, les différentes commandes. Le propos est de faciliter la compréhension du fonctionnement informatique et d’emmener à une réflexion par des stratégies simples et accessibles à tous.
Il faut préciser qu’Acces Space, basé à Sheffield en Grande-Bretagne, œuvre à l’intégration des populations en difficulté sociale via le partage des savoirs technologiques. L’humour en est l’un des accès, comme l’a montré la performance de son directeur artistique Jake Harries lors de la soirée d’ouverture. Armé de sa guitare, il a sélectionné des textes de spams et les a interprétés dans un one man show délirant sollicitant la participation du public qui s’est retrouvé bras levé, une montre en papier au poignet en train de scander un refrain idiot… Ou comment transformer l’absurdité de ces sollicitations quotidiennes en messes parodiques.
Remettre l’humain au centre des réflexions sur la technologie… Ces propositions incitent à réinvestir nos imaginaires. On retrouve ce propos dans les œuvres du collectif Dardex d’Aix-en-Provence. Quentin Destieu et Sylvain Huguet voient la créativité artistique comme un acte émancipateur. Dans « Refonte » (2014), ils extraient les métaux des déchets électroniques pour les fondre selon des méthodes ancestrales et les transformer en armes primitives. Avec ce geste simple, ils mettent en lumière la fragilité des outils numériques et des ressources électriques, retrouvent des savoir-faire perdus et imaginent les devenirs potentiels de nos sociétés. Dans « Gold Revolution », l’or extrait chimiquement des rebuts reforme des pépites. Le procédé évoque les dangers auxquels sont exposés un grand nombre d’Africains qui traitent massivement les déchets électroniques pour récupérer les richesses que contiennent leur propre sol et dont ils ne bénéficient pas.
La question du recyclage de l’or est aussi au cœur de l’atelier Gold Diggers. Sous le prétexte d’une chasse au trésor dans les composants informatiques, Albert Laine démonte de vieilles tours et commente les systèmes, l’évolution de la fabrication des différents éléments, de plus en plus fragiles, et fait la preuve de l’obsolescence programmée. Il incite les participants à « mettre les mains dans le moteur » et à intervenir auprès des fabricants pour des produits plus solides et durables, un propos engagé et accessible à tous –mais qui a malheureusement manqué de public. Au passage, la satisfaction éprouvée à détruire des processeurs pour en retirer les picots a un petit quelque chose de thérapeutique.
Ce dont il est question plus généralement, c’est l’aliénation à la machine. Les systèmes devenus autonomes, actifs, intelligents, deviennent les interfaces qui décident pour nous. Inke Arns en fait le thème central de sa prochaine exposition au HMKV, le Hartware MedienKunstVerein (HMKV) de Dortmund (Allemagne), qui confronte artistes et entreprises utilisant les nouvelles technologies pour repousser les limites entre fiction et réalité et tenter de comprendre qui est réellement aux commandes.
C’est aussi le propos de « World Brain » , entre film et archivage web. Ce projet transmédia pose l’hypothèse d’un cerveau mondial dont les datacenters seraient les mémoires et les interconnexions le système nerveux. L’homme, exclu par la vitesse et l’aseptisation du milieu, devient extérieur à la société qu’il a créée. À cette partie documentaire basée sur la récupération de vidéos sur Internet, commentées et dramatisées par la musique, répond une fiction où chercheurs et artistes se regroupent en forêt, sans ressources à l’exception d’une connexion au Web qui leur est indispensable pour chercher comment faire un feu, construire un brancard, etc. Prenant entre autres pour référence le Whole Earth Catalogue, ce vaste fourre-tout de la cyberculture flamboyante des années 1960 aux Etats-Unis, ils tentent d’imaginer un autre rapport à la nature, au réseau et à l’individu.
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