Mark Lewis, galerie Cent8 Serge Le Borgne, 108 rue Vieille du Temple, 75003 Paris, tel. : 01.42.74.53.57, jusqu’au 6 octobre.
« Rear Projection (Molly Parker) » : une actrice, des paysages qui défilent. Illusion ? Artifice ? Du cinéma, tout simplement. © galerie serge le borgne
< 12'09'07 >
Mark Lewis, l’acharnement cinématographique

Dans le silence, des photos et trois films occupant chacun des pans de mur distincts, retiennent, à leur tour, le regard. Le premier film, dans l’ordre de la déambulation, est « Isosceles » (2007) : un lent travelling engage l’œil à tourner, presque à voler, autour d’un édicule, qu’une rue sépare d’un patchwork de constructions, lesquelles résument ensemble un large moment d’architecture urbaine sans qualités.

Plus loin, toujours muet, « Spadina : Reverse Dolly, Zoom, Nude » (2006) déshabille également le discours cinématographique en quelques minutes de boucle et quatre mouvements : un gros plan sur un arbre feuillu qui bouche tout l’horizon, un recul et un atterrissage laissant voir l’arbre dans toute son ampleur, un contournement de l’arbre pour arriver jusqu’à la vue d’un grand immeuble moderne de bureaux ou d’habitations, enfin un zoom aspirant l’œil vers la forme d’une femme nue sur son balcon. Entre « Blow-Up  », « Fenêtre sur Cour  » et « Wavelengh » (fim expérimental du canadien Michael Snow), la pulsion de voir est l’une des cordes sensibles dont joue Mark Lewis, artiste canadien né en 1957 et qui aime faire savoir que le personnage maniaque du « Voyeur », le film de Michael Powell, est un homonyme.

Tout l’art de Mark Lewis consiste à mettre le cinéma « in parts », en pièces comme il le dit : à le découper, à l’éparpiller comme à le piller. Se plaçant en amont du spectacle filmique, il en isole des éléments (le générique, la fin, les figurants, le genre, les mouvements de caméra..) pour les réarranger sous la forme d’une œuvre autonome (en 35 mm transférée sur DVD), destinée à des lieux d’art. Mis en boucle, projetés au mur sans siège pour s’asseoir, ses films revendiquent un spectateur ou une spectatrice décrochés du dispositif engourdissant de la salle obscure. Mark Lewis a pris acte de cette « sortie » du cinéma hors de ses conditions d’appréhension premières : l’avenir de cette illusion a vécu, mais dans le déplacement vers l’œuvre d’art, tout reste à faire.

Au début, on a un peu moins aimé le troisième film, où Mark Lewis a fait appel à une actrice professionnelle, Molly Parker, de la série télé Deadwood, pour superposer son image filmique contre un paysage projeté, comme on le faisait souvent dans les scènes prétendument en extérieur des films de studio à partir des années 1920 – un procédé repris dans les « Film-stills », une des plus célèbres séries de photos de Cindy Sherman. Cette technique complètement dépassée se trouve « exagérée » par le passage brutal du paysage canadien de l’hiver à l’automne, ou réciproquement (« Rear Projection (Molly Parker) ») (2006). Ce qui est passionnant, rétrospectivement, c’est lorsqu’on se met à penser aux tableaux de Manet, machines abstraites, détachées, livrées aux silences du visuel…

elisabeth lebovici 

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