Nicole Eisenman, exposition auPlateau/Fonds Régional d’Art Contemporain d’Ile-de-France, jusqu’au 19 août, mercredi-samedi, rens. : +33 (0)1 53 19 84 10.
"Marxist Symbol of the Corruptive Influence of Capitalism", Nicole Eisenman, 2001. Huile sur toile imprimée. © DR
< 26'07'07 >
Nicole Eisenman, la peinture en puissance

Il y a un mot anglo-saxon, vraiment difficile à traduire et c’est celui d’empowerment ; habilitation, dit le dictionnaire, un peu bête. C’est beaucoup plus que ça, « empowerment », car il y a power (pouvoir) ; ce n’est pas non plus prendre le pouvoir, mais plutôt se sentir investi d’un pouvoir, la chose est plus réflexive. C’est être en puissance… En tout cas, l’empowerment, voilà ce que nous offre Nicole Eisenman dans son exposition qui s’étale sur l’intégralité du Plateau, à Paris, moins une salle. Mais de quelle puissance s’agit-il, sinon de celle qui revient à la peinture et à ceux qui, historiquement, ont détenu le pouvoir sur elle, c’est à dire la généalogie des hommes artistes ? Voilà ce qu’agite d’abord Nicole Eisenman. Ce pouvoir, elle s’en fout, elle en joue, elle nous le donne, largement, joyeusement, graveleusement. Heureusement.

L’exposition du Plateau (sa première exposition personnelle en France, est-il utile de préciser ?) présente un vaste ensemble de tableaux, plutôt récents, qui caricaturent allègrement (c’est très drôle) les styles, les fonds et les figures, quant à elles souvent apparentées à la rhétorique de la sexualité : gros cigares, gros pifs, lèvres baveuses et petit zizi portent ici la vulgarité joyeuse de « Little Britain », la série anglaise, appliquée aux mondes de l’art. On y voit « Wolfie considering himself » (huile sur carton, 2007) une sorte de Picasso, profil de boxeur, mains dans les poches et casquette haut sur le front, jouer à touche-touche avec un gros buste qui le regarde fixement (c’est sûr qu’une tête sur socle ne peut pas cligner de l’œil). Ou d’une femme furieusement Princesse d’Angleterre, avec ses cheveux et ses yeux en collages de journaux, un aspirateur de table à la place du pif, lequel semble avoir nettoyé quelques « lignes » de couleur sur la toile (« Dust Buster », 2001). On y voit encore l’affiche de l’exposition, la peinture de cette Hamlet femelle, empruntée sans vergogne aux Préraphaélites, portant épée et crâne au milieu de vigoureux coups de pinceau. Nicole Eisenman touche à tout, qu’il s’agisse dans ses aquarelles d’une resucée des « Baigneuses » de Cézanne, mais lavées de jus couleur sang, ou d’une allégorie du « Succès détourné de l’Ambition par une bande de salopes garces », d’un tableau pseudo-impressionniste, « Bier Garden », où deux grosses « butchs » boivent un coup, ou d’une vieille icône warholienne au nez rouge crevé et aux yeux louches… Ses références picturales, s’il faut les chercher, sont du côté du réalisme américain des années 1930, assez peu connu en France et, plutôt homosexuel : celui de Paul Cadmus ou de Charles Demuth, fabricants (trafiquants ?) d’images du désir hors la loi, qui datent de bien avant la sortie des gays du placard.

Il se trouve que Nicole Eisenman, née à Verdun en 1955 mais new-yorkaise jusqu’au bout des ongles (courts), a déjà eu son heure de gloire, plutôt à la fin du XXè siècle (la preuve avec cette vidéo d’archive de 1993). C’était le temps des Bad Girls, à New York et Londres, de Vraiment, Féminisme et art à Grenoble, d’un premier « packaging » de l’activisme artistique, version musées. Ce à quoi elle avait répondu :
« Lorsqu’on voit mon travail avant tout comme féministe, ça me pose problème. Je suis féministe sans y penser. C’est une deuxième nature. Je crois qu’on est tous féministes désormais. On sait que c’est bien. Mais je ne fais pas de “l’art féministe”, pas plus que je ne fais de “l’art lesbien” ; je veux dire que ces choses sont dans le boulot, parce qu’elles font partie de ma vie. Mais je prends plus de temps à regarder la télé tous les jours qu’à coucher avec ma copine. » (1996)

Et, si j’ai bien compris, elle avait arrêté.

Pourtant, le truc où elle a toujours excellé, c’est à foutre le souk, non seulement dans les représentations, mais d’abord dans celle du musée, d’une exposition « correcte ». D’où le côté vide-grenier qu’elle impose à ses installations (ici, une salle du Plateau) où il faut non seulement que ses dessins soient eux aussi à touche-touche, mais se chevauchent, voire plus, s’agrémentent de marshmallows moqueurs ou de dessins collés à même le cadre ou le verre de protection d’autres œuvres. C’est une façon à la fois désinvolte et carrément respectable de dire ce qu’est être artiste, accrocher tout le dérisoire de la consommation à la tentative, chevaleresque, qu’a tout artiste de sauver le monde.

elisabeth lebovici 

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