Wendy Delorme en signature au Salon du livre au stand M63 des éditions Au Diable Vauvert pour « Insurrections ! En territoire sexuel », 2009, 15€, le 17/03 de 18h à 22h, Porte de Versailles, Paris 15e.
Nuit Cabaret Punk-Paillettes, le 4/04 à partir de 20h30, à La Suite, 27 rue de la Glacière, Paris 13e, 5€.
Wendy Delorme joue avec les codes du genre, l’ultraféminité retournée aussi bien à la communauté lesbienne qu’au grand public hétéro. © Emilie Jouvet
< 03'08'09 >
Wendy Delorme : « C’est mes tripes et je tricote avec »

(Pop’archive). « Vous avez toutes les deux mal aux seins aujourd’hui. Toi pour les faire pigeonner, elle pour les faire disparaître. » Ce condensé d’écriture de Wendy Delorme, à la septième page d’« Insurrections ! En territoire sexuel », résume le choix marqué au corps de nos identités, masculine ou féminine.

Performeuse, comédienne, activiste du corps et enseignante de 29 ans, Wendy Delorme, qui se dit « attirée par des personnes au genre assez masculin mais pas forcément des hommes », a pris le parti de l’ultraféminité : « A la naissance, les docteurs ont dit "c’est une fille" et tu es tombée tellement d’accord avec cette sentence que tu n’as cessé d’en rajouter depuis. (…) Tu es Fem. Tu t’es amputée de la seconde moitié du terme pour ne pas qu’on te confonde avec ton sexe. » Une fem qui choisit sa féminité, pour mieux en prendre le contrôle et la déjouer à l’envi, qui bouscule le langage au pas de charge pour le plier au désir (qui dit « j’ai une bite » et « je bande »).

Dans ses livres, Wendy parle de lutte, d’amour et de sexe. Des rapports sexuels et sexués, de ces relations entre les genres, de leurs transgressions, de leurs interstices et de toutes les traversées de frontières, là où se déconstruisent et se réinventent les apparences. Pendant littéraire des « gender studies » et des théories queer, Wendy Delorme incarne dans sa chair et ses mots le fameux « trouble dans le genre » cher à Judith Butler. Comédienne, lors de shows burlesques sur scène et de films porno queer, Wendy Delorme sort du circuit communautaire et alternatif en choisissant de « gros » éditeurs. C’est au lendemain du lancement d’« Insurrections ! », son deuxième livre, un manifeste de « sexpolitique » en forme de vingt microfictions, qu’elle défend ce soir au Salon du livre, que poptronics est allé à sa rencontre.

Quelle est la genèse d’« Insurrections ! » ?
On m’a commandé un essai et j’ai écrit le premier texte « Une Fem-me » dans une veine d’abord lyrique. Difficile de qualifier ce livre : ce n’est pas un roman, ni un essai, ni des poèmes, peut-être des fictions politiques. J’ai écrit « Une Fem-me » sous le coup de la colère, parce que marcher dans la rue en étant une femme peut me mettre dans cet état. Chaque texte naît d’une émotion (colère, amour)… « Au feu » raconte mon arrivée à Paris, une petite provinciale souriante qui se prend la ville dans la gueule comme une grande claque. Le harcèlement, la dureté des rapports humains, c’est une expérience que plein de filles ont vécue. Sur une vitre du métro, j’ai vu un graff, Insurrections !, immédiatement j’ai su que c’était le titre. Chaque texte est une réaction instinctive, à fleur de peau. C’est mes tripes et je tricote avec.

Comment as-tu découvert la théorie du genre ?
Le mouvement fem/butch date des années 50 aux Etats-Unis. Il a été remis en cause par la vague féministe qui pensait qu’un couple avec une fille féminine et une fille masculine ne faisait que reproduire le modèle hétéro, avant de revenir dans les années 70, surtout à San Francisco où les fems se sont affirmées. Plein de fems écrivent (Leslea Newman, Michelle Tea, mon auteure préférée), font des shows (la troupe burlesque The Velvet Hammer). J’ai découvert toute cette histoire par des rencontres amoureuses, amicales, en France et à San Francisco, avec des gens qui avaient fait des transitions ou qui étaient dans des identités de genres plus complexes que homme ou femme. J’ai milité pendant deux ans avec les Panthères Roses (groupe mixte trans, gouine, pédé). C’est beaucoup dans les groupes militants que la théorie queer se diffuse, se réfléchit. Les rencontres, le militantisme et mon sujet de thèse sur les stéréotypes des minorités sexuelles dans la publicité ont été autant de façons d’entrer dans ces réflexions.

Cette identité, c’est une construction ?
La féminité c’est le genre dans lequel je me sens le plus à l’aise. Est-ce le résultat du formatage de la société ? Peu importe. Le genre, c’est une démarche : je n’ai pas toujours été quelqu’un d’hyperféminin qui faisait des shows avec des faux cils et des paillettes. Dans le milieu lesbien parisien à l’époque où j’ai fait mon coming out, il n’y avait pas beaucoup de filles très féminines, ou très masculines, c’était l’androgynie streetwear qui dominait. La première fois que je suis allée dans un bar de filles en talons hauts, jupe, maquillée et cheveux longs, on m’a demandé ce que je faisais là. Je me suis dé-féminisée, me suis rasée la tête puis j’ai rencontré un garçon trans, des butchs qui m’aimaient dans ma féminité. Se rendre visible dans ces minorités-là, c’était une des raisons pour lesquelles j’ai fait des performances.

Comment cette affirmation a-t-elle été perçue ?
Il y a quatre ans, pour ma première performance burlesque dans une soirée lesbienne avec le Drag King Fem Show avec corset, maquillage, plumes, paillettes… la réaction, c’était : « C’est quoi ces filles hétéros qui viennent se faire du fric sur le dos des lesbiennes ? » J’ai écrit un long texte pour dire : « Je fais partie de vous, mon choix est politique. » Aujourd’hui toutes les soirées de filles ont leur performance burlesque... Entre les deux, il y a eu mon premier livre (« Quatrième génération », en 2007), les performances de Louise de Ville, des programmations sur les fems au festival gay et lesbien de Paris (avec notamment le documentaire américain « Female To Femme »), des papiers dans la presse, etc. Il y a différentes identités, être fem c’est sexy, être butch c’est sexy, on peut avoir une pluralité d’expressions de genre, ça commence à être acquis.

Quelles formes prennent ces performances ?
Ado, je voulais être comédienne. Mes rêves d’enfants m’ont rattrapée quand j’ai rencontré les Kisses Cause Trouble, une troupe burlesque créée par Delphine Clairet. Le burlesque est né aux Etats-Unis pendant la prohibition, c’est l’art de l’effeuillage sans trop en montrer. On fait des numéros avec du travestissement, du dévoilement, de la nudité, et du grand Guignol, du faux sang, des paillettes, des faux cils, des morts. Aujourd’hui, sur les cinq filles de la troupe, on est presque toutes tatouées, avec une pluralité de corps féminins (deux filles sont très rondes). Ce qu’on fait est de l’ordre de la performance artistique, le but n’est pas d’exciter le public dans sa libido mais dans son cerveau. J’ai plein de numéros où mon déshabillage n’est pas sexy. Les 23 et 25 avril, aboutissement de quatre ans de travail, on se produit en off du printemps de Bourges (au Kabaret foutraque d’Emmetrop). Je fais aussi des performances sous mon nom avec Emilie Jouvet et Shu Lea Cheang, deux artistes multimédias, avec Louise de Ville, comédienne burlesque et performeuse ou Judy Minx, actrice X et performeuse.

Kisses Cause Trouble, bande annonce :



L’ironie et la distance sont très présentes sur scène…
Le burlesque tel qu’on le conçoit s’inspire de l’humour des féministes et des drag queens, cette hyperbole de féminité tellement outrée qu’elle en devient une dénonciation. Il y a eu une grande entreprise de décrédibilisation du mouvement féministe, les gens pensent que féminisme=chiant. Mais il suffit de regarder les slogans « Je suis pas mal baisée, je suis féministe », « Une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette ». Dans « Kisses Cause Trouble », je joue Wendy Baby Bitch, une blonde nymphomane hystérique, idiote, suicidaire, j’incarne les pires stéréotypes qu’on applique aux femmes. J’essaie de me suicider quatre fois dans le spectacle, dès qu’il y a un truc qui ne va pas, je casse mon talon, je me suicide et je me rate. Mon personnage est tellement ridicule que les gens captent que j’ai un discours sur le stéréotype de la blonde qui a les nerfs en vrac, qui ne sait pas prendre soin d’elle-même et qui n’a aucun pouvoir dans la société.

Tu milites pour un certain hédonisme, une vision déculpabilisée du désir ?
Quand t’es queer, sexworker, fem, tu n’as pas toutes les conditions réunies pour vivre de façon heureuse. Je ne veux pas de victimisation, pas de misérabilisme. J’aime les gens qui avancent avec de la joie, c’est aussi comme ça qu’on fait bouger les choses. Dans « Fantasmes », je décris des fantasmes de gang bang, de soumission. Comme on est formaté à être objet de désir, si tu te mets à fantasmer que tu es objet de désir, tu peux vite te culpabiliser, te considérer comme le produit victime de cette société. La première chose à faire en tant que féministe : ne pas culpabiliser d’avoir des désirs et vivre dans le plaisir.

Dans « Métaphysique du vagin », ça vire quasi mystique...
Je raconte une performance faite à Berlin au Porn film festival. J’invitais les gens du public à mettre la main dans mon sexe (des gens présélectionnés quand même). En m’inspirant d’Annie Sprinkle, j’ai voulu pousser la logique de démystification de l’organe sexuel féminin autour duquel il y a plein de mystères : soit on l’idéalise, soit on pense qu’il est sale. J’ai voulu le montrer à tout le monde et inviter n’importe qui (filles ou trans mais avec un vagin, c’était le principe) à mettre sa main à l’intérieur, dans une sorte de rituel public. S’ouvrir à ce point-là demande une vraie confiance. La performance s’appellait « Fisting Club » : une parodie de « Fight Club » avec des femmes qui s’aiment... Chaque fois que quelqu’un mettait sa main à l’intérieur de moi, je décomptais avec mes doigts, un deux trois quatre, avec visuellement le poing tendu. Après j’étais épuisée physiquement, ça m’a coupé la libido pendant trois mois.

Ton apparence fait-elle de l’ombre à ton discours ?
Parfois elle joue contre moi. Pour mon premier livre j’ai accepté tous les médias, là je suis plus sélective. Ça peut être contre-productif, quand on garde plus mon sourire que mes propos. Quand Beth Ditto, la chanteuse de Gossip, pose nue sur une couverture de magazine, son corps débordant, c’est déjà un message politique. Si j’ai eu autant de sollicitations médiatiques, c’est parce que je suis une jeune femme blonde, blanche et féminine. C’est à force d’être mésinterprétée par le regard masculin que j’ai commencé à faire plus attention.

Ce qui ne t’empêche de vouloir toucher un large public ?
Pour le premier livre, si j’ai dit oui à Grasset, ce n’est pas seulement parce que l’avance était la meilleure (rires), mais parce que j’ai fait le choix très conscient de m’adresser au plus grand nombre. Je n’écris pas pour une minorité. Dans mes livres, j’ai plus d’espace et de possibilités pour m’exprimer auprès de gens qui ne sont pas de mon milieu. Plus je vais vendre de livres, plus je vais avoir de pouvoir et de crédibilité pour faire passer d’autres projets auprès des éditeurs. Je veux faire traduire des auteurs en français, Michelle Tea, « Stone Butch Blues » de Leslie Feinberg, « Godspeed », le livre de mon ami/e (sic), Lynn Breedlove, sur la communauté punk queer de San Fransisco.

Claude Guillon vient d’écrire « Je chante le corps critique » dans lequel il associe le mouvement queer au carnaval, qui le temps d’une perf, d’un show, d’une nuit, subvertit le système mais qui, le reste du temps, ne fait que conforter cette norme, ces gens retournant à la vie normale/normée.
Les gens qui se battent pour créer ces lieux de carnaval, ces poches d’expression et de résistance, mènent une action politique. Créer des espaces de liberté, où tu peux être, ne serait-ce que le temps d’une nuit, une drag queen, une folle perdue, inviter tout le monde à mettre sa main dans ton vagin, je ne vois pas en quoi ce serait renforcer la norme. Tout le monde ne peut pas vivre dans la subversion permanente. Par ailleurs, la pureté militante peut aussi devenir une norme.

Quels sont tes projets ?
J’écris un roman sur une histoire d’amour entre une comédienne et un metteur en scène, autour du mythe de la femme fatale, qui reprend les grands thèmes de la féminité. Je termine aussi un livre érotique pour J’ai Lu (pour 2010) pour leur collection d’inédits érotiques. Une sorte de « Club des 5 » en tournée, avec des aventures sexuelles, des scènes érotiques avec des sexualités différentes que j’aurais bien aimé lire ado.

Et du 15 juillet au 7 août, on part en tournée, Berlin, Copenhague, Malmö, Amsterdam, Bruxelles et Paris, avec cinq performeuses, une DJ’ette et la réalisatrice Emilie Jouvet pour Queer X Show, un projet avec deux films en ligne de mire : un documentaire d’artistes femmes performeuses en tournée et une version X alternative dans l’esprit du premier film d’Emilie, « One Night Stand ».

Cet article a été publié la première fois le 17 mars 2009.

julie girard 

votre email :

email du destinataire :

message :