« Paranoïa », exposition d’œuvres numériques, jusqu’au 20/03 dans le cadre du festival Exit, Maison des arts, place Salvador Allende, Créteil. Résas : 01.45.13.19.19. et http://www.maccreteil.com, 3-5€, en semaine de 18h à minuit, samedi de 14h à minuit et dimanche de 14h à 19h.
Du 24/03 au 3/04, dans le cadre du festival Via, espace Sculfort, avenue Jean-Jaurès, route de Valenciennes, Maubeuge. Résas : 03.27.65.65.40. et http://www.lemanege.com, 3€.
Du 13/04 au 14/08, dans le cadre de Lille3000, gare Saint-Sauveur, Lille, boulevard Jean-Baptiste Lebas, Lille, entrée libre, du mercredi au dimanche de 12h à 19h.
« Holistic Strata », la création cinétique d’Hiroaki Umeda, transforme l’espace en mouvement. © DR
< 19'03'11 >
Paranoïa, l’expo qui (dé)colle au réel

Ce n’est sûrement pas la partie la plus ouvertement « people » de la programmation d’Exit qui nous fait retrouver chaque année le chemin de la Maison des arts de Créteil. Ni Starck l’année dernière et son mégalo-délire « Le son de nous », ni Castelbajac cette année (en spectacle ce soir, le couturier revisite les 80’s, son ami et peintre Robert Malaval, avec les popeux proprets de Nouvelle vague) ne réussiront à nous gâcher la fête. Car Exit, le festival des formes inclassables de la Mac, creuse la veine bricolo-art-tech des multimédias, explorant les genres, de la performance au théâtre en passant par la danse, et mixant plus ou moins savamment installations, dispositifs artistiques et œuvres d’art (29 cette année) dans les méandres, les couloirs et les coulisses de son théâtre.

Est-ce l’ancienneté de la manifestation qui lui fait gagner en cohérence ? Ou bien, plus prosaïquement, un supplément financier que doivent lui envier d’autres structures culturelles (une aide des conseils régionaux d’Île de France et du Nord-Pas-de-Calais de 120.000 euros) ? Exit a en tout cas su anticiper le grand bouleversement (pour ne pas dire le grand tsunami…) du financement de la culture. Didier Fusillier, directeur de la Mac et de la scène de Maubeuge, est aussi le grand organisateur des festivités de Lille3000. Sa présence ubiquitaire permet, depuis longtemps déjà, une mutualisation des moyens entre structures, et, grâce à son entregent politique, une implication régionale forte. Cette année donc, non seulement l’exposition Paranoïa voyagera comme d’habitude à Maubeuge, dans le cadre du festival Via, mais elle sera également présentée de la mi-avril à la mi-août gare Saint-Sauveur à Lille.

On peut critiquer le côté trop ludique de telle installation ou s’étonner d’un choix de thématique fourre-tout (la paranoïa, donc)… N’empêche que l’équipe d’Exit parvient à concilier rencontre avec le public et qualité des propositions. Cent mille visiteurs ont vu l’an passé l’exposition Monstres. C’est un des plaisirs d’Exit (et Via) de voir ces hordes de lycéens de la banlieue parisienne et du nord venir se frotter à des propositions parfois radicales et/ou dérangeantes.

Quelle Paranoïa ? « Aujourd’hui, face à l’accélération de l’histoire, nous assistons à une fièvre anxiogène, sociale et politique, liée au développement des technologies. Cette paranoïa assez palpable nous a paru un sujet assez intéressant pour en faire le thème transversal de l’exposition », justifie Charles Carcopino, commissaire de Paranoïa. Ce ne sont pas les secousses post-tsunami et la catastrophe nucléaire de Fukushima qui viendront contredire cette vision du monde. Même si l’actualité vient cruellement abonder au credo du commissaire, il est conseillé de ne pas trop s’arrêter sur un intitulé parfois réducteur : la « Vigilance 1.0 » (2001) désormais classique de Martin Le Chevallier (un remake de « Sim City » orienté surveillance) illustre à merveille cette forme de paranoïa participative que dérouleraient les artistes. Tout comme la pièce minimaliste « Psychic » (2004) d’Antoine Schmitt (une machine à écrire projetées sur le mur des toilettes détecte la présence des nouveaux entrants, décrit leur attitude, les observe…) : toujours aussi efficace.

Plus anecdotiques, le tourniquet sécuritaire du Néerlandais Marnix De Nijs, « Physionomic Scrutinizer » (l’analyse faciale biométrique inspirée des systèmes de sécurité des banques, aéroports et autres poste-frontière vous rapproche d’un des 250 personnages, violeurs, assassins, prostitués etc., entrés dans la base de données) ou le mur de « Genpets » d’Adam Brandejs. Ces mini-aliens aux diodes lumineuses préfigurant la prochaine génération de ces gadgets biotechs du futur ont tout l’air d’être vrais, mais sont un peu trop littéralesk conçues pour choquer plutôt que pour faire réfléchir.

Parano, schizo, rigolo… En revanche, des pièces produites ou « clonées » pour l’occasion (soit sept créations et trois nouvelles versions), on retiendra l’installation légère comme un coup de rideau de Niklas Roy, « My little Peace of Privacy » : un pan de rideau glisse le long d’une fenêtre en suivant les déplacements des passants, découvrant le reste de la pièce, ne protégeant en rien l’intérieur, au contraire surexposé par ces aller-retours intempestifs du rideau. C’est drôle et ça dit bien notre rapport schizophrène à la question des données privées (qui le sont de moins en moins).

Le tryptique du Japonais Ryoichi Kurokawa prend une dimension encore plus tragique depuis une semaine et les catastrophes plus ou moins naturelles qui se sont abattues sur l’archipel nippon. Travaillant à partir des archives d’un journaliste reporter d’images de guerre et d’événements qui ont fait l’ouverture des journaux télé, celui qu’on avait (sans doute un peu trop vite…) catalogué rayon très belles images vides et abstraites (de performances de musique AV) a produit un moment plastique de réflexion sur la nature humaine : les images fondues enchaînées, travaillées à la palette graphique, font oublier l’horreur pour faire le point (les points, serait-on tenté de dire) sur l’humanité. On pense aux images des sinistrés que passent en boucle les écrans du monde entier. S’ajoute au traitement visuel une double couche sonore, extraits de fields recordings et musique ambiante, qui opère une forme d’immersion hypnotique.

Dérangeante comme une séance d’hypnose collective, « Holistic Strata », la nouvelle création du Japonais Hiroaki Umeda, elle aussi fascine et secoue tout à la fois. En version spectacle, « Holistic Strata » enveloppe le danseur (Umeda) d’une théorie de pixels dansants, comme une nuée de lucioles qu’il manipule (ses mouvements font bouger le fond de scène et le plancher comme autant de vagues électroniques) et qui le manipulent en retour. La nuée de points se concentre par moments sur son corps devenu surface, à d’autres, il disparaît dans cette comogonie numérique, composant un tableau vivant plutôt qu’une chorégraphie (ses gestes sont minimalistes). « Mon souhait est de transmettre des sensations au public plus que des messages, explique Hiroaki Umeda. Donc, pas de thème conceptuel dans mes spectacles que je vide de tout ce qui fait sens. » Du sens, pourtant, « Holistic Strata » en dégage à plein tubes, en repoussant les limites de la danse, en exportant le mouvement jusqu’aux murs et au plafond, faisant de la scène un espace tridimensionnel mouvant, comme si le corps du danseur n’était plus qu’un connecteur, point d’entrée d’un mouvement sonore quasi cosmique. « La lumière n’existe pas pour montrer la danse mais pour créer un espace, dit aussi Umeda. Je veux la travailler comme je travaille le son et l’image, en créant des changements d’état… »

« Holistic Strata », spectacle d’Hiroaki Umeda, bande annonce :

En version installation, « Holistic Strata », bien moins impressionnante, se laisse apprivoiser par les visiteurs qui improvisent sous l’effet de l’interactivité (certains se couchent, d’autres se penchent, ouvrant large les bras). Derrière les « strates » d’informations numériques se joue un rapport au monde revisité, dans lequel l’homme agirait « en fonction » de son environnement plutôt que « sur » cet environnement. Une vision éminemment asiatique, à l’heure où le monde entier admire l’apparente sérénité des Japonais.

« Holistic Strata », installation d’Hiroaki Umeda à Créteil :

La fonction « alerte » des artistes présentés dans cette Paranoïa 2011 fonctionne d’autant plus subtilement qu’elle crée un espace entre le spectateur et le spectacle du monde, comme un effet de loupe inversé qui ferait comprendre au plus énergivore des visiteurs à quel point sa façon de vivre est anachronique, déplacée elle aussi. On en veut pour preuve les deux installations du Néerlandais Christian Zwanikken, qui hybride éléments naturels (plumes, terre, bois, sable) et robotronique (des mécanismes simples qui réagissent à votre présence). « Frantic Diggers » occupe toute une salle de la Mac, c’est, comme le décrit le cartel, « un paysage interactif post-apocalyptique » où 200 mécanismes animés déclenchent vibrations et micro-éruptions plus que véridiques (la première version avait été montrée au musée Tinguely en 2004).

« Frantic Diggers » (2004), de Christian Zwanikken :


Comme en surimpression imaginaire, les images post-tsunami se superposent à ce land art augmenté, où, après la catastrophe, ne subsisteraient plus que de rares et désuètes machines… Sauf qu’on a appris ces jours-ci qu’y compris la technologie (hélicos, robots, appareils photo…) se trouvait déréglée par les radiations… Christian Zwanikken n’a sans doute pas anticipé la catastrophe nucléaire, puisque les minerais et métaux utilisés dans sa pièce sont issus d’une mise de cuivre abandonnée. La métaphore qu’il tisse est plus globale, effrayante et singulière, faisant de nous les spectateurs touristes d’une planète morte…

Son autre pièce présentée à Créteil, « Le bon, la brute et le truand », est au premier abord plus légère : trois animaux-robots archaïques rejouent avec leurs voix de synthèse les dialogues du western mythique. Effet comique garanti. En y regardant de plus près, ces bio-robots post-Robocop dessinent un monde hybride guère ragoûtant.

annick rivoire 

votre email :

email du destinataire :

message :

< 1 > commentaire
écrit le < 27'04'11 > par < canellemingo dHS gmail.com >
Bonjour, J’ai travaillé au festival Exit en tant que médiatrice. Les propos de cet article me semblent très pertinents. Cela dit, je voudrais juste signaler quelques erreurs (pas très importantes mais qui renforcent l’exactitude du propos) :
- En 2010, le festival s’intitulait "Dancing Machine" et non pas "Monstre". Par contre en 2009,"Nouveaux monstres" était le thème du festival.
- L’installation de Christiaan Swaanikken s’appelait "Scroched Earth" et non pas "Frantic diggers" Merci de votre attention et bonne continuation. Canelle MINGO