Le Printemps de Septembre à Toulouse, « Une forme pour toute action », 20e édition, du 24/09 au 17/10, aux Abattoirs, au bbb et dans plusieurs autres lieux toulousains.
"Xanadoudou" de la Compagnie du Zerep fait entrer le visiteur dans le décor fantôme des spectacles de Xavier Boussiron et Sophie Perez...
© Adrien Duquesnel, Le Printemps de Septembre
< 12'10'10 >
Printemps de septembre : une performance de natures mortes
(Toulouse, envoyée spéciale) Il faut bien avoir en tête le « titre » de cette 20e édition du Printemps de Septembre de Toulouse : « Une forme pour toute action ». Formule lapidaire mais qui engage une conception de l’exposition et de la monstration de la forme performance (dans sa présence et dans sa trace) qui ne manque pas d’induire un certain nombre de paradoxes. Ainsi, comment poser l’éphémère dans les contraintes de l’exposition, de son espace et de sa durée ? Comment matérialiser dans une temporalité plus ou moins longue l’immédiateté d’une action ou l’injonction d’un protocole ? Que sont et quels sont les statuts des « objets » d’une performance ? Que deviennent le corps et la présence (de l’artiste, du spectateur) ? Et les traces mémorielles (vidéos, photos, manuscrits, imprimés, flyers…) d’une performance faite en un lieu T en un temps T ? Le parti pris de la programmation faite par Éric Mangion, directeur de la manifestation toulousaine, permet de mesurer, au-delà d’un effet certain de mode (pas un vernissage ou une exposition aujourd’hui sans sa performance, ce qui relève davantage de l’animation culturelle que de l’acte artistique), et au travers des quelque trente expositions proposées, les déclinaisons, les possibilités incluses derrière un titre, et d’en dessiner les impasses esthétiques. La « confusion des genres » – vidéos, installations, performances, théâtres, spectacles vivants, « radio toute la nuit » – aurait pu donner naissance, dans un parcours particulièrement disséminé dans la ville rose, à des fulgurances visuelles, à des actes gestuels ou/et sonores perturbants, à des expériences poétiques (et politiques – dans le sens de la production d’une action soudaine dans le réel normé et étale), à des pauses contemplatives et réflexives, à cette participation/intervention du spectateur désormais « émancipé ». La greffe ne prend pas. Ni dans les expositions. Ni dans la tentative affichée de marier arts visuels et spectacles vivants. Dommage pour la programmation des Soirées Nomades, qui fut, du reste, assez conventionnelle et déjà-vu (« Duchesse » de Marie-Caroline Hominal et François Chaignaud qui « tourne » dans nombre lieux d’art). On fera exception pour le spectacle de danse de l’Equatorien Fabiàn Barba, « A Mary Wigman Dance Evening », qui, sur le mode nostalgique, fait revivre des solos chorégraphiés de Mary Wigman, danseuse pionnière dans la lignée de l’expressionnisme allemand. Le Printemps de septembre nous avait habitués à une programmation inventive, voire expérimentale, tant dans ses expositions d’art contemporain que dans ses spectacles... La 20e édition rate sa fête anniversaire, peut-être aussi l’écho de coupes financières ? Références mythiques et fétichisation Retour au titre… Et à l’acte/action définis dans le ressouvenir et (ex)posé(e)s. Deux références et le revival, donc, d’une forme facilement « médiatisable » (surtout lorsqu’elle est vidée de sa qualité politique et contestatrice des pratiques normées du monde de l’art), sous-tendent ce Printemps de septembre 2010. Une référence mythique dans l’histoire de l’exposition des quarante dernières années : « Quand les attitudes prennent forme », l’exposition d’Harald Szeemann, en 1969, à la Kunsthalle de Bern, qui modifia durablement le geste curatorial, le statut même de l’exposition, de ce qui s’expose et de comment on l’y expose. Plus récemment, l’exposition organisée par Éric Mangion lui-même à la Villa Arson en 2008 : « Ne pas jouer avec des choses mortes ». L’enjeu théorique étant, déjà, de mettre en exposition les « objets » des performances et d’en interroger sinon le statut, au moins la nature, dans l’espace d’accrochage, et leur inexorable « fétichisation ». Fantômes de performances À Toulouse, Éric Mangion démultiplie la proposition, ce qui laisse, au terme de la vision des expositions, un goût mortifère marqué, comme si les spectateurs étaient invités à une rétrospective de natures mortes. Cela se vit très nettement aux Abattoirs où, d’espace en espace, après avoir lu les longs cartels décrivant une performance qui a eu lieu, le visiteur pénètre dans une installation de traces et d’objets qui donnent à voir des fantômes. Santiago Reyes propose une installation (« Les Passerelles de la rocade ») à partir d’une performance qu’il a réalisée du 29 juin au 13 juillet à Toulouse. Simple : l’artiste sud-américain a nettoyé chaque jour un pont de la ville, en a ramassé les détritus, les papiers, les poussières, les cannettes. Collecte d’objets de la vie ordinaire et routière. L’artiste a filmé son geste parfaitement dérisoire. Dans l’espace de l’exposition, viennent s’agencer les écrans de projection, comme des ponts, parfaitement ordonnés, les restes récoltés. La performance originelle n’existe que pour faire ensuite installation. Elle n’est que prétexte à une autre forme, parfaitement identifiable, enserrée dans la show box. Jouer avec les fantômes ou avec la mémoire de performances historiques, c’est la sculpture-installation mise en place par Éric Stephany : « One is such a lonely number ». Il convoque dans une structure minimale le souvenir de Vito Acconci, Bruce Nauman et Chris Burden. Le visiteur, après avoir passé une sorte de portique où ses pas sont enregistrés pour être rediffusés quelques minutes plus tard, se retrouve sur une plate-forme en déséquilibre dans une attente indécise… L’effet « nature morte » est à la fois pathétique et, au fond, très drôle avec les décors accumulés en une monstrueuse installation des spectacles de la Compagnie du Zerep. Donc « Xanadoudou », par lequel Sophie Perez et Xavier Boussiron laissent à terre canapés, objets baroques et sexuels. Le spectateur peut entrer, s’installer… reste (encore une fois), le souvenir des spectacles… Serions-nous dans une sorte de musée Grévin du spectacle vivant ? Ce qui semble évident, c’est que cette façon de faire exposition avec ce qui, par définition, ne s’expose pas, permet aussi, soudain, dans un acte ready-made, de rendre acquérable des éléments qui prennent statut non seulement de relique, mais d’objet d’œuvre. Nous sommes dans l’acte absolu du collectionneur, dans son obsession de possession et de fétichisation. Collectionneur privé ou institutions publiques. Quid de la performance au bout de cette manifestation ? On pourrait se souvenir de la pièce de Roman Ondak, « Measuring the Universe » (2007), performance à réactiver où le visiteur se fait mesurer par l’un des médiateurs, sa taille est marquée sur le mur de la salle du musée par l’inscription de son prénom. A la fin, on peut imaginer la pièce saturée de prénoms, illisibles, comme autant de traces de présences. On gardera surtout en souvenir le « cas Dora Garcia ». Non pas aux Abattoirs, mais en périphérie de Toulouse, au bbb, centre régional d’initiatives pour l’art contemporain. L’artiste espagnole, l’une des figures centrales de la performance depuis une bonne dizaine d’années, réactive dans un espace assez étroit des performances historiques, comme « Proxy/Coma » (2001), « Le Cahier de notes » (2004) ou « La Foule/L’Assemblée ». Présence corporelle du visiteur, puisque c’est par lui que la performance se joue, l’artiste n’en posant que le protocole. « Voir ce qui est là puis se tenir prêt à le voir disparaître » (Don DeLillo, « Point Oméga »). Toulouse exclut les paradoxes, les éphémères, les temporalités et les disparitions, tout comme les contraintes et les injonctions liées aux actes performés. La performance se collectionne et s’expose, et elle fait œuvre dans le musée ou le centre d’art. Ceux et celles qui ont eu l’occasion de vivre l’exposition « À l’ombre d’un doute », au printemps dernier, au Frac Lorraine, n’ont pas oublié cette performance de Nina Beier et Marie Lund, où les médiateurs proposaient au visiteur de leur raconter une œuvre que le commissaire d’exposition aurait pu ou aurait voulu mettre dans l’exposition. Performance achetée, performance jouée, performance exposée… Être dans la déstabilisation des normes ou dans leur retour…
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