Di Liu (Chine, né en 1985, Académie centrale des Beaux
Arts de Chine, Beijing),
"Règlementation animale n°4". © Di LIU
< 19'05'11 >
ReGeneration, le tour du monde en 80 photographes
Une enfant chinoise qui flotte dans les limbes, un panda géant qui écrase une banlieue indéterminée, le sol d’une station service disséqué et recomposé comme dans un Lego du réel, la vie rurale rêvée dans l’Appenzell… Ce n’est qu’un échantillon de la variété des sujets que balaie l’exposition « reGeneration2 ». Inutile de chercher un point commun visuel entre ces paysages fantomatiques, ces villes désincarnées, ces sans-abris new-yorkais dans leur abri tunnel, cette jeunesse péruvienne en plein « Simulacre »… si ce n’est l’outil commun : la photographie.
« ReGeneration2 » est organisée par le prestigieux musée de l’Elysée à Lausanne, qui, pour son 25e anniversaire, se paie cette tranche de réel et de création sans équivalent. En 2005, une première édition avait déjà fait le tour du monde, de l’Amérique du Nord à l’Europe jusqu’en Asie. « ReGeneration2 » ne faillit pas à la réputation d’excellence qui avait accompagné le premier opus. A l’issue d’un concours auprès de 120 écoles d’art et de photo dans le monde, est ainsi présentée la production de 80 (jeunes) photographes.
ReGeneration2 saisit l’état d’esprit d’une génération digitale qui n’a plus peur de donner son avis, qui décloisonne ses pratiques et engage sa présence jusque dans les images. Comme dans cette série d’autoportraits de la Hongroise Agnès Eva Molnar (Hongrie, née en 1980, MOME, Université d’art et de design Moholy-Nagy) : dans ces scènes de coulisses de défilé, la photographe s’est glissée dans l’image. Seul indice : elle tient son déclencheur en main.
Loin de la position mal assurée de « Six mois », le nouveau projet éditorial consacré « aux grands récits en photo » des Arènes (qui avait su lancer l’excellent « XXI », magazine à contre-courant tablant sur la longueur des formats, le temps passé sur les sujets, le reportage graphique…), la position du photographe en auteur subjectif est ici totalement assumée. De fait, le reporter photo, concurrencé par les prises de vue instantanées amateurs, n’occupe plus la même fonction de témoin premier, direct et immédiat du réel. La photo pro s’est fait « griller » par le numérique, de la même façon que le journaliste se fait régulièrement doubler sur Twitter…
En revanche, ces auteurs utilisent tous les moyens à leur disposition, reportage, composition, nature morte revisitée, portrait (le genre le plus globalement raté de cette « reGeneration2 »...) pour s’inscrire dans un réel pas systématiquement documentaire. Construire son image, recourir au flash en plein jour, mélanger vraies prises de vues et images de synthèse, élaguer le décor ou carrément le recomposer… Autant de moyens pour suggérer au spectateur qu’« un autre regard est possible ». Ainsi de Di Liu (Chine, né en 1985, Académie centrale des Beaux-Arts de Chine, Beijing), qui vient déposer un panda géant sur les toits d’une ville lambda. Lequel nous tourne le dos, comme pour rappeler que la prolifération urbaine a des conséquences sur la nature. C’est encore Richard Kolker (Angleterre, né en 1964, London College of Communication), qui imbrique images de synthèse et prises de vue réelles, introduisant le doute : ces décors réalistes, à moitié déserts de cafétérias et de stations-service la nuit, sont-ils ceux de Second Life ou d’un quotidien « vrai » ?
Quand ils se frottent au reportage, ces artistes, qu’ils soient chinois, russes, danois, français ou américains, ont déjà tous intégré la mondialisation et ses contraintes. Il n’y a qu’à croiser leur nom et l’école dont ils sont issus pour comprendre que certains ont déjà beaucoup voyagé. Et leur pratique témoigne de cette humanité à la fois disloquée et cohérente : Matthieu Gafsou (Suisse, né en 1981, CEPV, école de photographie de Vevey, Suisse) photographie un bâti surreprésenté : bâtiments surexposés, sans aucune présence humaine ni indication géographique. On pense à la Roumanie de Ceaucescu et ses palais mégalos. Mais l’omniprésence du ciel, la lumière violente rappellent le Sud (Tunisie). Le Serbe Benjamin Beker (né en 1976, Royal College of Art, Londres) évide et détoure les statues et monuments aux morts de son pays, les remet tous, gigantesques ou modestes, au même plan, sur fond gris, les rendant à la fois grotesques, pathétiques, et terriblement humains.
La série « Si tu pars assez loin, tu te retrouveras un jour sur le chemin du retour » (2008) emprunte aux codes de la peinture la plus classique pour recoposer le réel. Cadrés, posés, en situation (« Le Braconnier », « Le Bucheron »…), les personnages photographiés par Ueli Alder (Suisse, né en 1979, ZHdK, Zürcher Hochschule der Künste) incarnent la vie quotidienne dans la région d’Appenzell. Il y est né, et rend compte avec humour et distance de cette soi-disant authenticité devenue un argument touristique.
L’exposition dresse en creux le portrait d’une génération pas dupe des entourloupes du réel, des dures lois de la mondialisation, d’un monde étroitisé par l’accélération de l’information. On les remercie de soudain nous ouvrir les yeux sur… les tunnels d’autoroute ou le motif d’un canapé fleuri. L’architecture « brutaliste » est le sujet de Maxime Brygo (France, né en 1984, La Cambre, Bruxelles), qui shoote un tunnel monumental d’autoroute désert et pose la question de notre rapport au patrimoine : on s’extasie devant les vieilles usines sidérurgiques qu’on réhabilite en centres d’art, mais qui pour admirer les ouvrages d’art contemporains ? Claudia Hanimann (Suisse, née en 1984, ZHdK, Zürcher Hochschule der Künst, Zürich) compose des images où le sujet est secondaire. Ce qui compte, c’est l’agencement des motifs : le kaki d’une veste en contraste avec la moquette à fleurons orange, la raie des fesses en demi-lune blafarde encastrée dans un canapé bleu nuit…
Ces 80 artistes, issus de 30 pays, ont été sélectionnés par William A. Ewing et Nathalie Herschdorfer parmi 700 portfolios (voir ci-contre). Il ne vous reste que quelques jours pour découvrir à Paris, galerie Azzedine Alaïa, ce tour du monde de la photo contemporaine, déjà passé par le Musée de l’Elysée à Lausanne et les Rencontres d’Arles l’été dernier, par Milan cet hiver (Galleria Carla Sozzani) et New York au tout début 2011 (Aperture Foundation). Les non Parisiens se rabattront avec bonheur sur le livre éponyme paru chez Thames and Hudson.
annick rivoire
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