Exposition « Shoji Ueda 1913-2000, une ligne subtile », jusqu’au 30/03 à la Maison européenne de la photographie, 5-7 rue de Fourcy, Paris 4e.
Sans titre, 1950. Shoji Ueda (1913-2000) : « Le monde en noir et blanc recèle quelque chose de mystérieux qui ne peut être décrit, et qui est formidablement séduisant. Est-ce faux de penser que cela touche nos cœurs d’autant plus fort que nous vivons à une époque où tout peut être photographié en couleur ? » © Shoji Ueda
< 28'01'08 >
Shoji Ueda, photographe de l’épure

Pas de geishas ni de buildings enchâssés dans un Tokyo futuriste, les œuvres de Shoji Ueda (1913-2000) nous transportent dans une esthétique très éloignée de tous les clichés japonais où le dépouillement appelle le regard. A l’opposé de la pratique de Nobuyoshi Araki, l’exposition « Shoji Ueda 1913-2000, une ligne subtile », à la Maison européenne de la photographie, démontre que certains photographes japonais savent être là où on ne les attend pas. Ses images traduisent à la fois un parcours singulier et démontrent qu’avec beaucoup de détermination et peu de concessions envers tous les « ismes » et autres tendances qui jalonnent le XXe siècle, un artiste fait œuvre et donc sens.

Shoji Ueda, ce nom croisé dans quelques expositions photographiques et dont les images intègrent les collections des plus grands musées (MOMA à New York, Centre Pompidou à Paris, etc.) est trop souvent réduit à sa série sur les dunes. Cette rétrospective permet aujourd’hui de découvrir l’ensemble de son œuvre.

En marge des genres classiques de la photographie, situation due, en partie, à l’histoire particulière de la photographie japonaise, Shoji Ueda développe ses propres mises en scènes et assimile d’une manière globale toutes les influences européennes et notamment l’ouvrage de Lazlo Moholy Nagy, « Malereï, Fotografie und Film » à la fin des années 20. Comme certains photogrammes présents dans l’exposition en témoignent, il fut l’un des premiers artistes japonais à tenter une nouvelle approche esthétique, plus personnelle, construite sur le modèle constructiviste et surréaliste.

Les formes sont épurées, les personnages et le paysage aussi. Dès 1951, il commence à photographier sa famille sur les dunes et il continuera jusqu’à la fin de sa vie. Kôtarô Lizawa nomma cette série « Le théâtre des Dunes ». Shoji Ueda utilise le médium photographique pour explorer le territoire d’un voyage quasiment immobile, où les corps et les architectures sont traversés par l’air et l’environnement. Toutes ses images sont des mises en scène précises, où chaque accessoire pourrait faire basculer la photographie vers le burlesque, mais non ! Il y a de la retenue, du calme, du temps, du réflexif et de l’humour (comme dans ses portraits avec Ken Domon, le Cartier-Bresson japonais) dans ses œuvres. Certains tirages paraissent étranges, en total décalage avec les productions de son époque. En effet, ses épreuves photographiques n’entraînent pas forcément le spectateur vers une fiction, ni même vers le documentaire, elles le placent plutôt face à des instants et à des attitudes qu’il s’efforcera de décrypter.

Ses images fixent un temps, celui des représentations. Méticuleusement, Shoji Ueda compose sa partition visuelle où les formes minérales et végétales affleurent sur le sol, où les dégradés de noir, de gris et de blanc viennent rythmer un entre-deux incertain. Pas de passé, ni de présent, ni de futur, tout est dans l’instant de l’image. Quelques-uns penseront à rattacher cette temporalité de l’image à la notion d’intervalle propre au Japon, appelée « Ma ». Soit ! Mais ces jeux de lumière subtils effaceraient presque la structure des éléments et la disposition d’ensemble. Les décadrages, l’abaissement de la ligne d’horizon, tout converge, non pas vers une dramatisation des lieux mais vers un système de variations fines de la perspective qui figent l’infixable : l’évanescence. Shoji Ueda est plus qu’un simple grand photographe, il reste le bâtisseur d’un imaginaire ouvert où résonne en écho la poésie occidentale et japonaise.

cyril thomas 

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