Agnès de Cayeux, artiste, a visité pour Poptronics l’exposition inaugurale de La Panacée Centre de Culture Contemporaine-Montpellier, “Conversations électriques”.
A voir du 22/6 au 15/12, les mercredi et jeudi 12h-20h, les vendredi et samedi 12h-22h, le dimanche 10h-18h, au 14, rue de l’École de Pharmacie, Montpellier, entrée libre.
A Montpellier, La Panacée a ouvert fin juin avec pour vocation de faire se rencontrer étudiants, artistes, et public autour d’expositions dédiées aux nouvelles écritures des arts visuels et du numérique. © Brice Pelleschi
< 23'08'13 >
Sur le sentier de La Panacée, à Montpellier

La Panacée” est “LE” nouvel équipement culturel de la ville de Montpellier ouvert au début de l’été, sis sur le site de l’ancienne école de pharmacie (et ancien Collège royal de médecine), qui accueille des étudiants en résidence universitaire, des artistes en résidence artistique, un café, des expositions, des expérimentations…

Le tout, selon Franck Bauchard, qui en a dessiné le concept artistique (et dirige le lieu), afin “d’encourager la création contemporaine dans les champs des arts visuels, des nouvelles écritures et du numérique”. Poptronics ne pouvait qu’aller voir ça de plus près !

Pour sa première “Saison 2013-2014”, la Panacée s’est choisi pour thème “Vous avez un message”, ou, plus prosaïquement, “le téléphone et l’influence des évolutions des techniques de transmission”. Première exposition d’une série de quatre qui constitueront ladite saison : “Conversations électriques”. Avant, cet hiver, “Art by Telephone… Recalled”, la version réactivée au Cneai à l’automne 2012 de la mythique exposition de 1969 à Chicago réunissant les grands noms du minimalisme américain, de Fluxus et du pop-art.

Le récit, électrique lui aussi, d’Agnès de Cayeux.

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(Montpellier, correspondance)

C’est souvent en marchant de longues heures sur des routes désertes, des chemins interminables, des trottoirs pluvieux, que notre esprit se libère et laisse libre cours à nos rêveries. Quel homme suis-je sur ce sentier aux mille et une Techniques ? Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre ? Que reste-t-il de mes données ? Und so weiter...

En 1948 et à propos de la Conférence mondiale des télécommunications qui a réuni pendant cinq mois, à Atlantic City, un millier de délégués, techniciens et diplomates de soixante-dix-sept nations, Pierre Schaeffer, Claude Mercier et Henri Anglès d’Auriac écrivent dans la revue “Esprit” une longue réflexion sur “la science passant comme inaperçue et laissée à une élite de spécialistes”, évoquent ce “piétinement désordonné de l’actualité” et regrettent ce questionnement “éloigné de la nature humaine dès l’origine du signe T” (pour Technique) (1).
“Aussi l’honnête homme du XXe siècle, aussi bien que le documenté qui tend à le remplacer, comme l’homme de la rue et comme le responsable des destins de la nation, l’ignorent-ils plus ou moins.”

Il faut prendre le sentier de La Panacée et marcher de longues heures, en toute solitude, d’un territoire de la pensée à un autre, pour comprendre que les artistes présents se sont engagés dans une écriture singulière, nouvelle peut-être, celle d’une mémoire vivante de la Technique. Alors qui suis-je sur ce chemin étroit ? l’homme documenté des ondes électromagnétiques ? l’homme connecté des réseaux informatiques ? l’homme augmenté des pouvoirs biologiques ?


“Hole in Space” (1980) Sherrie Rabinowitz et Kit Galloway

L’exposition est dédiée à Sherrie Rabinowitz, décédée au printemps 2013. Trois soirs de novembre 1980, trois performances, un satellite, un centre commercial, un centre d’art, d’Ouest en Est du continent américain. Citoyens consommateurs de marchandises, citoyens consommateurs d’œuvres s’interpellent à distance d’une image à l’autre, d’une rue à l’autre, sans l’écran de TV, sans le combiné du téléphone, sans se connaître et sans pressentir que c’est ainsi qu’ils parcourront le monde et les visages quinze années plus tard en ce piétinement désordonné de nos relations à distance. Et surtout, sans s’imaginer une seule seconde qu’ils composent l’esquisse de l’homme connecté.

“Hole in Space”, co-créée avec Kit Galloway, provoque un choc. Comme une image d’enfance qui resurgit. Cette seconde précise de l’image avant l’accident. Nous étions nous aussi à Los Angeles et à New York, insouciants, un soir de novembre 1980, criant notre joie immense, agitant notre surprise insensée de pouvoir rencontrer l’autre éloigné, de lui parler, de chanter et de danser pour lui, de l’aimer à l’envi. En ce mois de novembre 1980, ce mois des morts, nous jouions à “Space Invaders” sur des bornes d’arcade, sans pressentir une seule seconde qu’en 2013, nous pourrions nous passer de nos doigts, de nos objets, de nos corps.


“Listening Post” (2001) Mark Hansen et Ben Rubin

Sur ce sentier de La Panacée, il s’agit aussi de se reposer devant ce vaste paysage, celui de milliers d’individus et de bots écrivant ça et là. Et si l’un d’entre eux venait à se foutre en l’air à la seconde où ses derniers mots se diffusent sur l’un des 231 écrans de diodes électroluminescentes, qu’en saurions-nous ? La machine-réseau se fout pas mal de l’art de mourir. C’est une machine merveilleuse qui remplace un homme par un autre, sans que nous puissions une seconde nous en apercevoir.

Listening Post” est une œuvre fondatrice. Nous l’avions aperçue en 2004, dans le hall de la Grande Halle à Paris et dans ce cadre de “Villette Numérique”, lorsque nos institutions s’intéressaient à ces formes singulières de l’écriture, à cette mémoire vivante de la Technique. C’est émouvant d’être là sur ce sentier étroit, de contempler ce paysage, c’est un sentiment particulier de se dire qu’il se passera 10 années encore avant de revoir cette œuvre et sa possibilité d’une île. Comme une aurore digitale.

“Radio kom.post” (2013) Laurie Bellanca, Camille Louis, Caroline Masini, Vincent Cavaroc

Quelques kilomètres plus loin, nous nous perdons dans les conversations de la radio pirate et sa fréquence 107.9, casque à l’appui. C’est assez charmant de traverser une nouvelle fois ce sentier de La Panacée munis de sa radio et son antenne fragiles à la main. Disons que la perception est autre. Disons que la nostalgie débarque à grand galop, Carbone 14 et les années 80... Disons qu’il s’agit de ne pas pleurer sur son passé. C’est une fréquence fragile.

SMS Type” (2002) Thomas Weyres

Et sur ce sentier de La Panacée, comme sur chaque chemin, tu vois des signes et tu ne comprends rien. Tu ramasses une coquille de noix, mais il n’existe aucun noyer à des centaines de mètres. C’est un alphabet, une mémoire digitale, je textote je t’aime sur mon clavier de téléphone, d’ordinateur, de réfrigérateur et mes doigts se souviennent du chemin tracé. Oui, la touche espace entre les mots est à la base, oui la lettre A est placée en haut à gauche sur ce clavier AZERTY, et mon cerveau le sait. Et oui, j’ai la mémoire digitale des milliers de SMS transmis et si je ferme les yeux, mes doigts savent dessiner cette langue des signes, mon amour.

Transmetteur Polyphonique de Rêves” (2002) Francesco Finizio

La route est longue et il faut savoir s’assoupir. Se laisser aller aux rêves et en oublier la majuscule du T de la technique. Etrange conduit bleuté et passeur de récits endormis. Téléphone-moi 04.34.88.79.84

Sur ce sentier de La Panacée et cette longue marche solitaire, j’ai adoré regarder en boucle le film d’Andreas Bunte (2007), “La fée électricité”. J’ai aimé percevoir ce rétro-musée (2013) de Magali Desbazeille et son “VMAM, VMATP, VMAN, VMAC”. Je suis restée des heures entières avec les gosses de Montpellier devant cet incroyable “Grimpant” (2013) de Teri Rueb et Alan Price.



Et puis, je me suis assise sur les annuaires de Célia Picard, et cette œuvre indicible, Gradin (2013, image ci-dessus).

Et naturellement, j’avais envie de souffler sur un pissenlit et de m’allonger sur ce sol frais de La Panacée. Je n’ai pas osé.

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(1) “La Civilisation des ondes ou de la fusion électro-magnétique des souverainetés”, par Henri Anglès d’Auriac, Claude Mercier et Pierre Schaeffer, revue “Esprit”, septembre 1948.

agnès de cayeux 

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