« La place de la concorde », exposition de Valérie Mréjen du 15/04 au 15/06 au Jeu de Paume, 1, place de la Concorde, Paris 8e.
« Ping-Pong », livre-DVD-catalogue (Allia), en librairie le 17/04, 160 p. 20 mn de film (19€).
« Chamonix » (2002), face à la caméra, des comédiens racontent un souvenir, confondant vérité de la confession et jeu. © Laura Henno/ADAGP 2008
< 17'04'08 >
Valérie Mréjen, l’art de rien, c’est tout

Dès l’entrée de sa rétrospective au Jeu de Paume, Valérie Mréjen accueille les visiteurs par ce qui semble être un pas grand-chose : « Alors, quoi de neuf ? », « Qu’est-ce que tu racontes ? », « Tu n’as rien d’intéressant à dire ? » (« Bouvet », une des perles vidéo de l’artiste, qui date de 1997). Une forme d’introduction à une exposition qui (et ce n’est pas qu’un clin d’œil à la géographie) se nomme « La place de la concorde » : préparez-vous à entrer dans un flux de circulation d’images quasi déjà vues, de sons évoquant des situations déjà vécues et de textes à l’apparente banalité. Mine de rien, Valérie Mréjen (plasticienne, vidéaste, écrivain, née en 1969 à Paris) s’efface du champ pour ne laisser voir que ses œuvres, dont cinq conçues pour l’occasion, disposées dans un dédale de boîtes grises anthracites. Elle en a pourtant des choses à dire visuellement, mais ne les verbalise pas toutes. Le plus souvent, la clef de ses vidéos se trouve précisément dans l’absence, le creux, les silences entre deux réponses, et dans la forme brève aussi.

Emotions auscultées

« Capri » (2008), sa dernière production créée pour le Jeu de Paume, pousse l’esthétique chabrolienne à son extrême. Affligeante de banalité, cette courte séquence mime une scène de rupture entre un homme et une femme, où apparaissent quelques incongruités : la femme change de prénom et le doute s’installe. Filmée de la façon la plus classique et sobre possible, dans un décor petit-bourgeois, la vidéo ne cède rien aux sirènes des effets, laissant le temps au spectateur de se rendre compte de la supercherie. Cette vidéo n’est pas une énième scène de séparation, elle est « LA » scène de rupture par excellence, synthétisant en quelques minutes toutes les pulsions qui lui sont liées, comme une métaphore qui jouerait toute la palette des potentialités liées à la situation, révolte, indifférence, pleurs, désir de mort...

De la souffrance ainsi décortiquée, Valérie Mréjen a fait sa source littéraire, abordant les thèmes de l’angoisse, de la sexualité et du couple dans ses livres (« Mon grand-père » en 1999, « La Liste rose » et « L’Agrume » en 2001), et dans ses vidéos (« Anne et Manuel » et « Jocelyne » en 1998, « Titi ou les kiwis » et « Des Larmes de sang » en 2000). Ainsi, dans « Ils respirent » (2008), la voix off donne la distance au jeu des expressions d’acteurs plongés dans leurs pensées. Comme si la figure de l’absorption si chère à Michael Fried se déplaçait de la peinture au cinéma.

Sous la simplicité des plans fixes, les thématiques s’avèrent complexes et subtiles. Dans « Ping Pong »(2008), le livre-catalogue-DVD qui accompagne l’exposition, elle dévoile son panthéon cinématographique : « La Maman et La Putain » de Jean Eustache (1973), « Le fantôme de la Liberté » de Luis Bunuel (1974), « Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce 1980 Bruxelles » de Chantal Ackerman (1975). Trois films qui éclairent et aident à percevoir son œuvre. La force de ses pièces vidéo et littéraires s’éprouve dans cette même résistance à ne jamais tomber du côté de la psychologie, de la simple description des petites névroses ou du pathos. Toujours sur un fil… film !

Répéter pour mieux jouer

On pourrait facilement cataloguer ses œuvres en distinguant pièces documentaires et travail sur l’absurde, dans la lignée de Robert Pinget et Samuel Beckett, comme dans « Le Projet » (1999), où trois comédiennes réunies évoquent un hypothétique plan dont le spectateur ne connaîtra rien. Mais ce serait oublier la répétition et le décalage dans l’ensemble de son travail : les mots et les dialogues paraissent sans fin, se répètent même de vidéo en vidéo. Son œuvre fonctionne comme un palimpseste. Dans « Hors saison » (2008), qui ressemble à un diaporama, la narration fonctionne à partir de cartes postales d’hôtels et restaurants, qui campent des décors génériques. Dans son roman « Eau Sauvage », les séjours à l’étranger rythment les phrases du parent, cet anti-héros. Dans l’exposition, deux extraits donnent naissance à une pièce sonore.

Lorsqu’elle esquisse le portrait d’une génération dans « Voilà c’est tout » (2008), sa caméra quasiment statique enregistre inlassablement les défaillances de la voix, les peurs, parfois même l’exaltation ou simplement les visages. Les lycéens interrogés sur leurs modèles, leurs perceptions de l’avenir, leurs souvenirs, paraissent sincères et tendres à la fois, candides en tout cas. C’est qu’elle filme l’essentiel, eux et non pas l’image, ni même les stéréotypes médiatiques. Au moment où Valérie Mréjen leur demande d’évoquer leurs envies, les mâchoires se crispent, les regards se détournent de la caméra, les réponses se font évasives… Comme un écho, et placés dans l’exposition dos-à-dos, écran contre écran, « les Portraits filmés » (2002), où des proches racontent un souvenir. Certains sont comiques, d’autres plus tristes ou cyniques. C’est le ton neutre qui déroute et dérange, et pousse, une fois le film terminé, à s’interroger sur son propre passé.

Extrait de « Chamonix », 2002 :

Extrait de « La Défaite du rouge-gorge » (inspiré de « L’Agrume ») (2001) :

cyril thomas 

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