« Anna Politkovskaïa : non rééducable », mise en scène et interprétation Mireille Perrier, jusqu’au 12/05, suivie de « rencontres autour de “Non rééducable”, de la liberté d’expression, de la liberté de la presse et du théâtre engagé », Maison des métallos,, du mardi au vendredi à 20h, résas : 01.47.00.25.20. 94 rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11e, 9 et 13€. Clôture festive le 12/05, musique, petite restauration, découverte des cultures caucasiennes, à 19h, entrée libre.
Mireille Perrier, bouleversante dans « Anna Politkovskaïa : non rééducable », ainsi que la nommait l’état-major russe. © Julie Durand
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Anna Politkovskaïa revit sur scène

Vite vite, parce qu’il ne reste que deux soirs pour faire un pied de nez démocratique à l’année de la Russie en France. Deux soirées pour plonger cœur en premier dans l’histoire d’Anna Politkovskaïa, la journaliste assassinée en 2006 pour avoir fait son métier (informer) sur le conflit sanglant en Tchétchénie. Dans « Anna Politkovskaïa : non rééducable », Mireille Perrier est seule en scène, une heure durant, pour faire revivre l’obstination, le courage et la tranquille détermination de celle qui était devenue la bête noire de Poutine.

Première guerre en Tchétchénie (1994-1995), déjà Anna couvre le conflit d’un des multiples confettis de l’ex-URSS. Deuxième conflit en Tchétchénie (1999-2000), ses récits sont systématiquement dénoncés par le pouvoir. En 2001, elle est même détenue plusieurs jours par l’armée russe. En 2004, prise d’otages de Beslan, elle est appelée pour négocier, et subit dans l’avion une tentative d’empoisonnement. Le 7 octobre 2006, elle meurt sous les balles dans le hall de son immeuble à Moscou, le jour de l’anniversaire de Vladimir Poutine… Aujourd’hui, la vérité sur son assassinat n’est toujours pas faite.

Un manteau et un foulard pour seuls décor, une mise en scène plus qu’épurée signée Mireille Perrier, cette leçon de théâtre est une leçon de choses. Celle qui a joué chez Leos Carax, Claire Denis, Jaco Van Dormael, Philippe Garrel ou Amos Gitaï le dit d’ailleurs dans un entretien avec Lembit Peterson, le responsable du Teatrum de Tallin : « Maintenant que les politiques font du spectacle, que reste-t-il à ceux dont le spectacle fut le métier, sinon tenter de faire apparaître la réalité ? » Ce quotidien d’Anna Politkovskaïa que joue Mireille Perrier (le texte de Stefano Massini mélange et remixe extraits de ses articles et livres) n’est pas si lointain, ni totalement hors champ. Il est celui de ceux qui défendent la liberté de la presse. La liberté d’informer sur des guerres civiles, sur les bombes et l’absurdité des conflits et leur barbarisme. « Monter “Non rééducable” signifie poursuivre sa lutte pour la liberté et faire entendre sa voix lucide, porteuse d’espérance et d’avenir », explique à la presse Mireille Perrier. Au public, venu nombreux pour l’écouter, elle dit après le spectacle, au cours des rencontres organisées autour de la liberté d’expression et de la presse, par Amnesty International et le British Council : « Nous sommes matraqués par l’information dite au ton du journal télévisé, au point que nous finissons par ne plus rien nous représenter et même ne plus nous émouvoir. »

Ce soir-là, c’est Gisèle Khoury, une journaliste télé libanaise, qui est venue témoigner et raconter les similitudes entre la Russie sous Poutine et le Liban sous domination syrienne. Elle est la femme de Samir Kassir, tué le 2 juin 2005 dans un attentat à la voiture piégée : « Les journalistes et les penseurs sont toujours assassinés par des régimes militaires. » Côté vérité, elle non plus n’a pas toutes les réponses…

Anna Politkovskaïa est la figure idéale pour réenchanter le journalisme. Elle travaillait pour l’un des rares magazines indépendants en Russie (et disponible en ligne seulement), « Novaïa Gazeta ». Elle n’a jamais cédé aux menaces de mort. Et n’a jamais cessé de dénoncer les violations des droits de l’homme en Tchétchénie. Si menue et si femme, Mireille Perrier réussit à toucher quand le flot d’images sanglantes ne parvient plus à émouvoir. Elle s’engage pendant le spectacle et après, au cours de cette heure de discussion entre elle, ses invités (journalistes ingouches ou russes, écrivains et avocats) et le public. Un moment rare de théâtre-action.

annick rivoire 

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