Arnaud Michniak nouvel album « Poing perdu » (Ici d’ailleurs) et DVD : « Appel ça comme tu veux » (Ici d’ailleurs). En concert le 31 octobre à Paris (Point éphémère) et en tournée en novembre.
Extrait du DVD pénible de Michniak, « Appel ça comme tu veux ». © DR
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Arnaud Michniak à « Poing » sonné

(Pop’archive). Arnaud Michniak est un peu le mouton noir du rock français. Ses thuriféraires révèrent un génie, sorte de Léo Ferré converti à l’electro, quand ses détracteurs dénoncent sa prétention sans bornes et en font la plus grosse tête à claques du secteur. Et ce n’est pas la double sortie d’un remarquable album, « Poing perdu », et d’un dvd pénible et donneur de leçons, « Appel ça comme tu veux » (sic), qui devrait arranger les choses. Le hiatus date de plus de quinze ans, quand Michniak œuvrait au sein du collectif Diabologum. Venu de Toulouse, ce groupe de rock tendance arty-politique se revendiquait de l’éthique situationniste jusqu’à la caricature (sur scène, ils réfutaient le moindre applaudissement d’un « c’est pas la peine, on a déjà été payés »). Dissout au bord de la récupération après « #3 », album « à (re)découvrir absolument », Diabologum, souvent irritant, est réputé culte, notamment pour sa mise en musique du monologue de Françoise Lebrun dans « la Maman et la Putain » de Jean Eustache.

Michniak a enfoncé le clou avec son projet suivant, Programme, duo jusqu’au-boutiste malaxant electro, hip hop et rock, responsable d’une poignée de disques foudroyants sortis chez le regretté Lithium (« Mon cerveau dans ma bouche », « L’Enfer tiède », ou encore « Bogue », réalisé pour l’Atelier de création radiophonique de France Culture).

Silencieux depuis trois ans, le Toulousain a voulu prendre du recul dans son fief, en marge d’une époque qu’il abhorre, songeant à abandonner la musique (il a suivi une formation de réalisateur à l’Ecole supérieure d’audiovisuel de Toulouse). Et revient donc doublement, un goût de sang dans la bouche. Boursouflé et ampoulé, le dvd « Appel ça comme tu veux » (distribué par le curateur d’art Mathieu Copeland) suit quatre potes revenus de tout, dissertant des problèmes du monde (mais des portes de sorties, nada). Ça s’ennuie ferme, fume des pétards et se biture devant la télé. Le quatuor (Michniak et sa bande) multiplie les provocs à deux balles, convaincu d’être de sa fibre révolutionnaire : on montre son cul dans une église, on joue trop les rebelles face à un pauvre conseiller Anpe bombardé représentant du « système »… A l’image, des plans vides pour faire pénétré et des cadrages hasardeux pour faire bullshit ; en bande son, des silences et le degré zéro de la réflexion idéologique : les gens sont tous des cons, des veaux. Rideau.

Ce ratage presque total (dans la deuxième partie, une séquence motorisée rattrape un peu les errements inauguraux) est d’autant plus étonnant que le premier album solo de Michniak, « Poing perdu », sorti concomitamment, sonne justement comme une critique au scalpel du cul de sac idéologique dans lequel s’est enfermée l’ultragauche. « Très tôt, je suis devenu soldat mais je ne savais pas dans quelle armée ni quel combat, lance-t-il dans « Poing perdu I ». Je n’ai pas trouvé le moyen de me sentir utile. » Plus loin il précise : « Ça me paraît de plus en plus difficile de croire qu’en pensant je vais atteindre quelque chose. Les théories sont des compromis entre les mots et nous. (…) La peur et l’individualisme m’ont détruit moi aussi. »

« Poing perdu » reprend les choses où les avait laissées Programme. Michniak parle depuis les mêmes friches désolées, dans un halo electro rachitique, marchant sur des tessons de verre échappés de la guitare de R (du groupe hip hop Nonstop). « Un jour, je volerai mieux que dans mes rêves mais d’ici là je dois rester calme », annonce-t-il d’emblée. « Personne ne m’arrêtera, personne me voit : je ferme la marche. Personne ne m’arrêtera, puisque je vais nulle part. » Ces huit titres dépressifs caressent le fil du rasoir, jamais loin du grandiloquent mais jamais souffreteux non plus. L’introspection, douloureuse, se fait sans voyeurisme : pas l’ombre d’un affect malgré un je omniprésent. Michniak se veut clinique et lucide dans son constat d’échec (« Mes mots n’ont pas le poids que j’espère »). Isolée dans une zone indéterminée, aux frontières du collectif vindicatif et de l’individualisme forcené, l’autocritique de Michniak fait froid dans le dos (« J’ai mal vécu mais je l’ai fait sérieusement »). Comme un militant qui se rend compte qu’on l’a floué (on pense aux maos abandonnés) : « Ce coma, c’est un peu comme si c’était mon meilleur ami qui y était, comme si chaque jour j’allais à l’hôpital pour essayer de le réveiller, en lui passant des vieux disques, en lui rappelant une vieille histoire, en cherchant une bonne raison de sortir du noir que je ne trouve pas. Sauf que ce n’est pas mon ami qui est dans ce coma, c’est moi. »

Forcément, à l’heure du sarkozysme triomphant et des nouvelles destructions sociales qui s’annoncent, difficile de ne pas avoir une lecture politique des textes de Michniak, qu’on pourrait citer à l’envi : « Les formules n’ont pas changé le monde, elles ont lavé les mots », « c’est interdit d’écrire sur les murs, et les publicitaires qu’est-ce qu’ils font ? s’ils veulent les murs, qu’ils prennent avec la prison », ou encore « aujourd’hui, ça doit être vrai puisque tout le monde le dit : mieux vaut mourir idiot ». Restent les questions, salement difficiles : comment survivre au rouleau compresseur libéral, à l’atomisation sociale, à la bêtise généralisée ? Disque de cendres et de ruines, neurasthénique et oppressant, « Poing perdu » erre dans l’envers du décor.

Cet article a été publié la première fois le 22 août 2007.

matthieu recarte 

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