Jean-Philippe Renoult, artiste sonore et pop’chroniqueur, a tenu son journal de résidence au parc de la Poudrerie (Ile-de-France), dans le cadre de Bande Originale, exploration artistique du canal de l’Ourcq (12 juillet-10 août), dont il est l’un des artistes invités.

En amont des week-ends orchestrés par le collectif MU, les artistes ont enregistré des sons de terrain pour composer des « bulles sonores » pour les audiobalades de « SoundWays » (application gratuite).

Bande Originale, jusqu’au 10/08, programme sur le site de BO et sur le blog (poptronics-isé) AuFilDeLaBO.

Jean-Philippe Renoult en exploration sonore dans le parc de la Poudrerie. © DR
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Bande Originale : journal de bord d’un chasseur sonore (1/2)

Jean-Philippe Renoult, adepte de field recording, a choisi le parc de la Poudrerie au nord de Paris pour une résidence un peu spéciale dans le cadre de Bande Originale, le parcours sonore orchestré par le collectif MU cet été tout autour du canal de l’Ourcq.

L’artiste sonore que les lecteurs de Poptronics connaissent pour ses expérimentations dans popsonics (entre autres…) a passé une paire d’aubes et de moments en solo avec les 130 espèces du parc de l’ancienne poudrerie royale, entre Sevran et Aulnay-sous-Bois. Notre « voleur de chants d’oiseaux » a tenu un journal de résidence que nous publions en deux parties, in extremis avant le tout dernier week-end de cette BO peu banale.

La première partie ci-dessous a été préalablement postée sur le blog « AuFilDeLaBO » –que l’équipe de Poptronics anime depuis début juillet et jusqu’à mi-août, pour accompagner Bande Originale. Elle sera suivie d’une deuxième (et dernière partie), exclusivement réservée aux lecteurs de Poptronics cette fois !

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23 mai, 6h, l’heure bleue

Qu’il est grand le parc de la Poudrerie. Je m’y sens tout petit. Le site de l’ancienne poudrerie royale s’étend sur 135 hectares à 30 kilomètres au nord-est de Paris sur les bordures du canal de l’Ourcq, à cheval sur les communes de Sevran, Livry-Gargan, Tremblay et Vaujours. Curieusement, il me fait penser à New York avec ses croisements à angle droit à la façon des rues et avenues de Manhattan. Ici c’est pareil ! Y a même une Broadway diagonale qui mène au pavillon Maurouard, le plus grand bâtiment du parc. Voilà, c’est ainsi, à part qu’à New York, ils sont des milliers à se partager 135 hectares… Ici, à l’aube, à 5 heures du matin, je suis seul. Enfin presque. Car des centaines de bruits m’entourent et je suis là pour les saisir.


Le pavillon Maurouard, dans le parc de la Poudrerie, dans le nord-est francilien. © JP Corre

Ce sont les premiers instants d’une heure bleue entre nuit et jour où les oiseaux se mettent à chanter avec une cohérence orchestrale bien plus manifeste que le jour. Je procède par petites prises de sons larges sur des moments courts, souvent moins de 3 minutes, au cours desquelles je capte des phrases gimmicks d’un dialogue animalier. Je répète l’expérience en plusieurs points. Evidemment, le sens de tous ces appels m’échappe, je suis incapable de nommer les oiseaux eux-mêmes, en tant que non-spécialiste. Même si l’on m’a appris que plus de 130 espèces d’oiseaux étaient présentes ici, et qu’on y trouve insectes, batraciens, reptiles et mammifères, dont des chauves-souris, des lapins et des écureuils en nombre, des renards, des fouines, des ragondins… et un preneur de son.

Pourtant, ce n’est pas tant la nature du parc qui m’impressionne que les reliquats de l’industrie qui le dessinent. Ses chemins rectilignes, pavés parfois, traversés de rails en métal, rappellent que tout ici est construction. Si on tend l’oreille vers un passé pas si lointain, on entend les wagonnets chargés de poudre traverser les arceaux des terrains tracés en quadrille. Dans le même temps, les bruits de l’industrie d’aujourd’hui sont bien réels. Circulation. Avions en descente vers l’aéroport de Roissy. RER qui traverse le parc en une percée parallèle au canal de l’Ourq. Impossible d’ignorer que nous sommes en zone inter-urbaine, une forme de zone franche et d’espace social reconquis où la nature reprendrait ses habitudes avec discipline.

7 mars, 9h, première reco’

Je prends l’habitude de me rendre au parc en vélo. C’est tout droit, du bassin de la Villette dans Paris intra-muros jusqu’à la Poudrerie. Un parcours au fil du canal de l’Ourcq sur trente kilomètres qui tracent une échappée longue et belle hors des murs de la capitale.

Pour ma première visite, je procède à un repérage des lieux avec les instances du parc. Arrivé sur place en avance, je m’oriente au pavillon Maurouard, immanquable édifice central où convergent plusieurs voies du parc. A 9 heures, j’y débusque une agora d’oiseaux. J’installe « un piège à sons », c’est-à-dire un dispositif léger embusqué dans des feuillages qui enregistre sans ma présence. Je laisse « tourner la bande » pendant que nous visitons le reste des lieux, en compagnie d’animateurs du parc. Bientôt, chemins, clairières, bois, mares, constructions, guérites, patios, jardins et fermes, murs et ponts, collines et talus me deviendront familiers.

23 mai, 5h, la clairière des pies

Elle n’a pas de nom, mais c’est ainsi que je la nomme, cette petite bande de verdure entre deux bosquets traversée par un chemin droit à proximité du poste des gardes. Les pies s’y donnent rendez-vous. Elles chantent et s’interpellent tôt le matin. Je ne semble pas les gêner outre mesure. Je peux être au plus près de leur chant… A la réserve près que lorsque je m’approche vraiment, elles arrêtent net de chanter… Mais ne s’enfuient pas. Elles restent là, silencieuses. Elles me font le coup plusieurs fois, les coquines. Pas voleuses, mais bien chipies, les dames pies. Mais le voleur, c’est moi. Voleur de sons, pilleur de chants. Mes amies pies seront tout de même à la fête dans mes compositions à venir.

15 avril, 10 h, le coucou n’a pas d’heure

Quelle idée d’en avoir fait un animal totem du pendule ! Il chante n’importe quand. Peut-être après avoir délogé une jeune nichée de son nid, et de surcroît l’avoir condamnée à une mort certaine. Car oui, il est comme ça le coucou, plutôt que faire son propre nid, il pique celui des autres et met les anciens propriétaires à la rue… Pas sympa le coucou. Pas étonnant que Neil Gaiman en ait fait un personnage malfaisant dans l’épisode de la série de comics “Sandman”, “Jouons à être toi”. J’enregistre quand même son chant caractéristique. L’onomatopée de son propre nom : “cou-cou… cou-cou”. Salut, coucou, à la revoyure.

15 avril , 14h, la mare, le canard et le micro canon

La mare aux canards se dessine comme un arc… « Coin-coin » fait le canard mais aussi un super « schussssssss » de surfeur aguerri quand il amerrit à la surface de l’eau, toutes pattes palmées en avant. Quel frisson ça doit être de faire le canard, un sport de glisse gratis. A quelques mètres du point d’eau, des jeunes gens font du vélo bicross et BMX sur une suite de bosses et talus… Je traque ses sons-là au micro canon, dit aussi « shotgun microphone ». C’est le micro avec lequel je pars en chasse, grâce auquel je m’embusque pour aller chercher loin et au plus précis des sons qui seraient fondus dans la masse d’un enregistrement d’ambiance grand angle classique.

Puis je vais jouer du micro canon… au pas de tir, l’ancien champ de tir de la Poudrerie royale, sur sa face nord… remettre le canon au canon en quelque sorte. Comme il ne se passe pas d’événement sonore particulier, je dirige le micro canon vers un point d’impact contre lequel je jette des cailloux. Drôle de mise en scène qui finit par attirer un pitbull que son maître rappelle… woof !

15 avril , 15h30, frottements de métal

Parfois mes micros sont encore moins ordinaires. Ainsi de simples micros de contact, dits micros piézoélectriques, me permettent d’enregistrer la vibration d’un matériau. Ils sont peu sensibles aux vibrations de l’air, donc aux bruits ambiants, je ne pensais pas les destiner à mon travail de collecte sur le parc… Mais il ne faut jamais dire jamais.

Sur le pont qui enjambe le canal de l’Ourcq et qui relie les parties nord et sud du parc, un vaste socle en métal creux. Il s’agit d’une sorte de bite d’amarrage probablement destinée aux péniches en cas de danger. En compagnie de Julie du collectif MU et de Charles Henry, de Radio Campus, qui m’ont rejoint pour une partie de l’après-midi, j’improvise des exercices de frottements et de percussions sur la matière résonnante de métal.

A cet instant, je ne prends même pas le soin de lancer un enregistrement, ne pensant pas utiliser ce son par la suite. Heureusement, Julie le fait – merci à elle ! C’est donc auprès d’elle que je récupère cet enregistrement brut qui prendra de l’importance dans mon processus de composition par la suite… mais ça, je ne le sais pas encore !

30 mai, 8h, siffle, souffle, siffle

J’ai pris aussi l’habitude d’improviser de petites ritournelles pendant mes séances d’enregistrements en extérieur. Après m’être fait adopter par la nature du petit jour, je siffle à mon tour. Ici pas de véritable chanson, mais un gimmick rythmique sifflé en correspondance avec les chants des oiseaux qui m’entourent. Les timbres et variations qu’ils me destinent sont sans fin. De mon côté, je siffle obstinément le même gimmick en espérant mettre au rythme les oiseaux chanteurs qui m’accompagnent… Ça marche. Je fais mon propre « whistle beat », tandis que je pense larmes aux yeux à la mélopée du dancefloor « The Whistle Song » de Frankie Knuckles, le parrain de la house music tout récemment décédé.

Pas étonnant que les chants d’oiseaux me ramènent à la musique. On trouve une métronomie fluide, un sens évident du rythme, des mélodies puissantes, des signes de reconnaissance parfaits… Ecouter, c’est déjà composer…

jean-philippe renoult 

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