Un spectacle vivant où l’historien fait conférence, interrompu par le comédien Marcel Mankita en clown Chocolat. © François Fogel
< 07'07'09 >
« Chocolat » rejoue l’histoire pour déjouer le racisme
(Montpellier, de notre correspondante)
Quand un historien veut toucher un plus large public, il quitte ses archives, son écran d’ordinateur et même son pupitre de conférencier pour investir les plateaux télé. Aujourd’hui, c’est sur une scène de théâtre que le voilà planté à regarder le public en lui parlant façon one man show, avec seulement quelques fiches à la main. Cet historien, c’est Gérard Noiriel, spécialiste de l’immigration, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et, à l’occasion, démissionnaire, avec sept autres historiens, de la Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration (quand il s’agissait de protester contre la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale).
Le sujet qui l’a poussé à cette mutation ? Le racisme ordinaire et insidieux. Gérard Noiriel aborde ses thèmes de prédilection par le biais d’un spectacle de clowns à grand succès à la fin du XIXème siècle : le duo de Footit et Chocolat qui a donné naissance au clown blanc et à l’auguste, et inspiré aussi bien Samuel Beckett pour « En attendant Godot » que les frères Lumière ou le nom du chocolat « Cémoi »… Un véritable patrimoine national, en somme.
Patrimoine raciste
Sauf que ce patrimoine s’est construit sur la mise en scène d’un personnage noir souffre-douleur : le clown Chocolat stupide et naïf, se retrouve immanquablement roué de coups et humilié par Footit, clown inventé par le Britannique George Tudor Hall. Le public adore, les enfants en redemandent. Et c’est précisément parce que le propos de Gérard Noiriel n’est pas frontal qu’il est efficace.
C’est à travers la vie du petit esclave noir Rafael Padilla, né à Cuba, arrivé en Europe pour avoir été vendu à un riche Portugais, puis enfui et devenu comédien, que l’historien parle de discrimination. A cela près qu’il est régulièrement interrompu par des extraits de sketchs du duo de clowns ainsi que des monologues de « Chocolat » interprétés par Marcel Mankita et mis en images et en musiques par Sacha Gattino, lui aussi présent sur scène. Le discours scientifique prend ainsi forme, s’anime et atteint autant l’entendement que le sentiment.
Rire jaune
Ce jour-là, dans la salle montpelliéraine du théâtre Jean Vilar, de nombreux collégiens et lycéens sont présents ; un public captif, comme le veut la terminologie sociologique. Il fait beau et chaud dehors, il y a déjà comme un air de vacances. Aussi, quand Marcel Mankita entre en scène et fait le clown en jouant un Chocolat martyrisé par Footit, usant des ressources du comique de la farce, du grotesque, il déclenche l’hilarité de nombreux spectateurs. Pourtant, ce qu’il joue pétrifie d’autres spectateurs d’effroi par l’état de soumission et de dégradation qu’il expose. A la toute fin de ce spectacle-conférence, le même extrait de sketch est à nouveau joué : silence glacial dans la salle. Ce n’est pas que plus personne n’ose rire, c’est que plus personne ne le peut : le discours de l’historien engagé est passé.
Et lorsque, de manière un peu théâtrale, les premiers articles de la Déclaration des droits de l’homme lus par l’acteur et Gérard Noiriel défilent sur l’écran en musique, on se prend à trouver le moment un peu solennel, limite tire-larmes, où l’émotion est volontairement titillée, avec une sorte de plaisir. Et l’on se promet en quittant la salle, que puisqu’une expression en apparence aussi anodine que se retrouver chocolat présente un caractère raciste, on n’en emploiera plus jamais d’autres sans en connaître l’origine…
corine girieud
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