Interview d’Olivier Forest et Benoît Hické, créateurs et commissaires de F.A.M.E - Film & Music Experience, le nouveau festival de cinéma de la Gaîté (projections, concerts, rencontres), du 13 au 16 mars, 3bis Rue Papin, Paris 3e. Projections 5€/3€, soirée d’ouverture film-live « Bloody Beans » 16€/12€, séance-événement « Un jour peut-être » 12€/10€, Les nuits de la Gaîté F.A.M.E vs Kill the DJ 18€/14€.
Matt Elliott (Third Eye Foundation), héros solaire et clair obscur de "What A Fuck Am I Doing In This Battlefield", premier film de Julien Fezans et Nicolas Peltier, en compétition à la première édition de F.A.M.E (14/3, 18h). © DR
< 12'03'14 >
F.A.M.E, la musique en plan large

F.A.M.E, acronyme « un poil provocateur » pour « Film & Music Experience », est la première incursion de la Gaîté lyrique dans le cinéma. Ce festival dépasse le simple cadre du docu musical pour embrasser les pop cultures du point de vue du cinéma. A la manœuvre derrière ces quatre jours de projections (une vingtaine de films), débats et concerts, deux commissaires invités, qui sont aussi de vieilles connaissances de Poptronics : Benoît Hické, ex-pop’chroniqueur, désormais programmateur de films pour la Gaîté (Musiquepointdoc), le Muséum national d’Histoire naturelle et le Musée de la chasse et de la nature, et Olivier Forest, ex-Filmer la musique, festival défunt défendu ici même (entre autres). Interview.

F.A.M.E, c’est un festival consacré à la musique ou à la culture pop ?

Benoît Hické : C’est un festival de cinéma, le premier à la Gaîté.

Olivier Forest : Il y a un noyau de films musicaux au sens large et des extensions, des films traversés par la musique : « 12 O’Clock Boys » sur les gangs de dirt bikers de Baltimore, « State of Play » sur les gamers professionnels coréens, « Danger Dave » sur un champion de skate…

B.H. : On préfère un bon film sur un mauvais groupe, qu’un mauvais sur un bon. F.A.M.E sort des films du parcours direct to VOD pour les projeter. Avec une programmation autour de la fabrication du succès, F.A.M.E est plus proche de la mixité du club que d’un panorama du film rock. Une manière d’assumer ce nom.

Y a-t-il une continuité avec le festival Filmer la musique, dont Olivier était l’un des fondateurs ?

O.F. : Filmer la musique s’est arrêté comme un coup de massue violent et brutal : en gros, au bout de cinq ans, je me suis fait virer. Cette histoire triste est encore en cours, puisque je suis en procès aux prud’hommes. Je ne voulais pas renoncer à tout ce que j’avais mis en place, il n’y avait pas de raison que j’aille cultiver des artichauts.

B.H. : J’ai contacté Olivier à ce moment-là, il y a deux ans. Malgré nos profils assez différents, nous avons en commun l’envie de créer un espace pour des films qui n’ont pas de fenêtre dans les festivals installés. J’avais envie de renouer avec l’énergie de l’événementiel.

Avant F.A.M.E, vous aviez pour principe de ne pas montrer des films avec des musiciens assis à raconter leur gloire passée. Surprise, dans votre sélection, « Big Star » et « Un jour peut-être » relèvent de ce registre « classique ». Pourquoi ?

O.F. : Certains films, comme « Big Star : Nothing Can Hurt Me », oublient leur forme et se donnent les moyens de bien traiter leur sujet, pourquoi s’en priver ? « Un jour peut-être », hors compétition, colle avec notre fil rouge : il montre cette scène rap « alternative » du début des années 2000. Il y a une mélancolie très intéressante dans le film. Le Klub des loosers, TTC, La Caution… y dissèquent les raisons de leur insuccès.

B.H. : D’ailleurs, les musiciens vont surgir du générique pour une soirée à la Gaîté, un lieu pas vraiment marqué hip hop. Un festival est intéressant quand il crée des contrepoints, quand on peut amener le fan de rap à voir le film sur le fan d’opéra (« Naked Opera »).

Pourquoi cette drôle d’idée d’un festival compétitif ?

O.F. : Plutôt que de piocher dans le meilleur d’un passé pertinent et faire un bel arrangement, on voulait se mettre en danger en prenant des films très récents et la plupart inédits en France. Nous avons voulu un jury très singulier : une artiste, Dorothée Smith, une réalisatrice, Hind Meddeb, deux programmateurs, Olivier Pierre et Danny Lennon, et un musicien, Ivan Smagghe.

B.H. : On a un peu bombé le torse en créant un prix avec dix films en compétition (et cinq hors compétition) et un jury, mais sans le tapis rouge, sans le monde du cinéma industriel et commercial. F.A.M.E est aussi une requalification d’un genre occulté ou plutôt d’un non-genre, le film musical. F.A.M.E prend ce qui est habituellement en section parallèle pour dire : ce sont des vrais films.

Votre sélection regarde beaucoup la jeunesse. Un prisme symbolisé par « Teenage », inspiré du bouquin de Jon Savage et qui risque de faire débat…

O.F. : Les pop cultures et la musique sont assez liées par essence à la jeunesse, du film sur les gamers pro à la K-pop… « Teenage » force un peu le trait en faisant de la jeunesse un mouvement, à l’instar d’une classe opprimée, en racontant les jeunesse nazies, absolument pas créées par des jeunes, ou les scouts de Baden Powell, issus des mouvements hygiénistes. Ce n’est pas forcément historiquement juste. On a choisi de présenter le film parce qu’il génère un débat, et à la condition qu’on puisse organiser une rencontre entre Jon Savage et un historien.

Une autre thématique traverse F.A.M.E, le portrait.

O.F. : Je parlerais plutôt de double portrait entre le filmeur et le filmé. Sur la question de filmer, on reconnaît une vraie ligne après coup, celle du « réalisateur embarqué ». Comme un portrait en miroir avec la tentation de passer devant la caméra et de l’autre de contrôler et prendre les devants. Nous programmons trois films autour de cette tension : « Very Extremely Dangerous », « Danger Dave » et « Naked Opera ».

C’est quoi la ligne de F.A.M.E au finale ?

O.F. : Notre but n’est pas de définir un canon esthétique. Nous sommes contents de proposer une diversité de formes, de modes de traitement, de moyens de production ; des films faits sur cinq ans ou en quinze jours, financés avec un peu, beaucoup ou pas du tout de crowdfunding. Nous sommes à la recherche de films qui inventent leur forme. D’où notre rejet de la grille archives/interview.

B.H. : L’autre intérêt d’un festival, c’est que des films existent grâce à cette fenêtre qui s’ouvre. On savait que « Le Projet Sextoy » était en cours, on a rencontré les réalisatrices qui du coup ont lancé un crowdfunding pour finaliser le film.

O.F. : Ça a aussi donné un gros coup de booster à Maud Geffray, de Scratch Massive, pour qu’elle finisse « 1994 », court-métrage à partir d’archives Super-8 sur une des premières raves à Carnac, qui sera diffusé à la soirée d’ouverture, juste avant « Bloody Beans » avec Zombie Zombie en live.

B.H. : Nous sommes dans le présent et ses formes encore fragiles. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas un festival de fans de musique –ce que nous sommes par ailleurs.

///////

Les choix de Poptronics

« Naked Opera », Angela Christlieb (Allemagne, 2013, 81’), la balade allumée d’un amateur de Don Giovanni, le 15/03 à 16h (bande-annonce) :




« Very Extremely Dangerous », Paul Duane (Irlande, 2012, 85’), le choc d’une rencontre avec Jerry McGill, criminel au passé musical contrarié et dingue patenté, le 14/03 à 20h (bande-annonce) :




« State of Play », Steven Dhoedt (Belgique-Corée du Sud, 2013, 87’), plongée dans le quotidien fascinant et glaçant de gamers pro coréens, le 14/03 à 14h (bande-annonce) :




« Bloody Beans (Loubna Hamra) », Narimane Mari (France/Algérie, 2013, 77’), une fiction oblique sur la guerre d’Algérie sonorisée en direct par Zombie Zombie en ouverture du festival, le 13/03 à 19h30 (bande-annonce) :

Recueilli par matthieu recarte et annick rivoire 

votre email :

email du destinataire :

message :