« Les Inquiets, Yael Bartana, Omer Fast, Rabih Mroué, Ahlam Shibli, Akram Zaatari, cinq artistes sous la pression de la guerre », jusqu’au 19/05, espace 315, Centre Pompidou, Paris 4e. Omer Fast présente également jusqu’au 8/03, « De Grote Boodschap », une vidéo de 2007 à la galerie gb agency, 20, rue Louise Weiss, Paris 13e, hautement recommandable.
« Redacted » de Brian De Palma en salles le 20/02.
« Casting », 2007, une vidéo de l’artiste israélien Omer Fast présentée dans l’exposition « Les Inquiets, cinq artistes sous la pression de la guerre » au Centre Pompidou. © DR
< 20'02'08 >
Fast/De Palma, le géant n’est pas celui qu’on croit

Impossible de ne pas rapprocher « Redacted », le film « évènement » de Brian De Palma, en salles ce mercredi, de l’installation vidéo « Casting » d’Omer Fast, à découvrir d’urgence dans l’exposition « Les Inquiets », ouverte la semaine dernière à Beaubourg. D’un côté, le cinéaste américain aux films à très grand spectacle, qui se sert de l’imagerie du conflit irakien vu à travers le prisme de la vidéo amateur et des blogs, de l’autre, l’artiste israélien parti enquêter sur les traces traumatiques de la guerre auprès de soldats américains. Tous deux partagent la même fascination pour la guerre, ce théâtre des drames et violences les plus exacerbées, humaines jusqu’à l’animalité. Pourtant les méthodes qu’ils utilisent sont loin de produire les mêmes effets.

De Palma a d’abord voulu faire un documentaire, montage de séquences vidéo amateurs, de vlogs et autres extraits d’images volées tirées de la guerre en Irak. Face aux problèmes de droit, il abandonne pour réaliser cette fiction hyperréaliste, où le spectateur doute toujours de la vérité de ce qui lui est montré. « Je te filme en train de me filmer, tu me filmes en train de te filmer », pose d’emblée le héros du film, soldat US et étudiant en cinéma. « Si je meurs, je te laisse ma vidéo et mes images. »

Les images du film sont toutes (soi-disant) tournées par ce soldat cadreur amateur, qui documente son quotidien en rêvant de percer, sur le Net ou ailleurs : « C’est mon passeport pour la fac », dit-il. Entre ces séquences à la caméra subjective, des images en provenance de caméras de surveillance (qui surveillent en grand angle, une des incohérences du film), des images de reportages télé ou de vidéos-blogs, fictifs eux aussi. De Palma, non content de fictionnaliser le réel, place une caméra entre ce réel réinventé et nous, comme pour mieux souligner sa vérité ? Un « faux docu » qui ressemble comme deux gouttes d’eau à un autre film de Brian De Palma, « Outrages », un film de 1989 qui déjà mettait en scène un viol. Les cinéphiles verront aussi dans le plan final un clin d’œil au « Dahlia noir ». Bref, De Palma voudrait nous faire croire que ses images sont de deuxième main, mais on ne transforme pas un cinéaste en amateur…

Omer Fast, lui, n’est pas réalisateur de cinéma. Il n’est pas non plus journaliste rendant compte d’un conflit. Cet artiste né en Israël en 1972 et vivant à Berlin a choisi pour « Casting », un dispositif de double projection, où deux écrans sont placés dos à dos. Une seule bande son, celle qui retranscrit l’interview empathique d’Omer Fast (sur un écran), et de son interlocuteur (sur l’autre). De l’autre côté, la mise en scène des souvenirs racontés par un soldat, qu’il a été trouver (comme l’aurait fait un directeur de casting), au Texas, entre deux missions (il revenait d’un an en Irak, y est retourné depuis). Le grain de sable, c’est que la mise en scène est faite d’images figées, comme autant de poses photographiques, une manière de rappeler que ce ne sont pas de « vraies » images, même si elles en ont toute l’apparence (désert, sable, armes, tir…).

« En sortant de cette exposition, il est probable que vous vous souveniez non pas de séquences animées, mais de une ou deux images, explique-t-il. C’est ce que j’ai voulu faire avec cette représentation de la mémoire individuelle ». Pour augmenter l’effet d’irréalité, les souvenirs se mélangent, entre cette fille qui l’a dragué à Berlin et ce tir en plein pare-brise en Irak. Ce montage, s’il produit du doute chez le spectateur, comme dans le film de De Palma, accentue l’irréalité des images. Impossible de « croire ce qu’on voit ». La société du spectacle en plein paradoxe : l’image est elle aussi entrée dans l’ère du doute. Ce que De Palma a sans doute pensé transmettre, mais sans y parvenir.

annick rivoire 

votre email :

email du destinataire :

message :