« + de réalité », exposition signée Pierre Mabille, Claire-Jeanne Jézéquel, Véronique Verstraete, Jean-Gabriel Coignet, Erwan Ballan et Nicolas Chardon, jusqu’au 8/06 au Hangar à Bananes, quai des Antilles, Nantes.
Au premier plan, « Nantes », les modules de Philippe Richard (2008) réalisés pour l’expo, en arrière-plan toile de Sylvie Fanchon, « Sans titre » (2000-2001) et néons de François Morellet, « Récréation n° 9 » (1994). © Philippe Vollet
< 27'05'08 >
A Nantes, l’abstraction garde le sens des réalités

(Nantes, envoyée spéciale)

Non, « + de réalité , le titre de la grande exposition nantaise sur l’abstraction, n’est pas un tour de passe-passe. Elle reflète au contraire le propos des six commissaires-artistes et enseignants à l’Ecole régionale des beaux-arts de Nantes, qui montrent à travers la soixantaine d’artistes internationaux présentés, combien les pratiques abstraites contemporaines viennent se confronter au réel en le provoquant, en le déplaçant.

Les œuvres dialoguent entre elles, opposant les questions du décoratif et du formalisme, la dimension d’objet et le rapport à l’espace, l’œuvre comme image ou comme écran, ou encore le jeu. A l’impression de densité s’ajoute une compréhension des points de tension et des écarts, comme dans les dernières pièces de Peter Soriano, « Other Sides », association de câbles de fer et de graffitis peints sur le mur. Les tensions sont partout : dans la rencontre improbable entre les démesures d’un John Armleder dans « She might not come to the party », assemblages de touffes d’herbe en plastique, et les jeux colorés très visuels, proches du cinétisme d’« Aladin’s Lamp » de Shirley Jaffe, ou encore les tableaux-déclinaisons de Pierre Mabille reprenant une forme, toujours la même, identifiée en 400 vocables, amande, barquette « Lu », mandorle, sexe féminin...

Ancrer la création dans le réel, c’est d’abord l’inscrire dans un espace : sans image, par une présence des matériaux (résine ou bois, Tergal ou tissus) et des couleurs, par des formes qui débordent du mur. A l’entrée, une toile flottante jaune et violette de Claude Viallat, puis l’installation réalisée spécialement pour l’exposition par Philippe Richard, sorte de friche avec amas de tessons de bois assemblés en modules qui montent comme des plantes le long d’un pilier. Tout est déplacement et circulation du regard qui se faufile par en-dessous, par-dessus, de côté. Ici les toiles sur tréteaux de Marthe Wéry, en aluminium, légèrement soulevées du sol comme des livres ouverts qu’on aurait retournés, intitulées « Pontormo » - elle a travaillé à partir de la palette du maniériste italien. Là, les « Profils » de Cécile Bart, des panneaux en toile de Tergal transparente aux châssis accrochés perpendiculaires au mur.

Jeux de perception encore avec les monochromes impurs de François Perrodin, les sculptures sonores de Véronique Verstraete ou les blancheurs transparentes à la limite du visible de Susanna Fritscher. Où est vraiment l’abstraction dans la projection lumineuse sur un socle-écran de Michel Verjux, « Découpe en douche sur socle et sol (source au plafond) » ou dans les plans en boucle du circuit coloré sale de bagnoles embourbées de « Grand prix », vidéo de Stephen Dean ? Evidemment, les choix des six commissaires relèvent d’affinités, sans volonté d’exhaustivité (on ne trouve ainsi que deux figures historiques de l’abstraction, Marthe Wéry et Donald Judd). L’abstraction, nous dit « + de réalité », est un art qui se mesure au monde. Un art qui vient assurément s’interposer devant nos habitudes de vision.

marion daniel 

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