Stratégie de conservation et de durée d’une œuvre d’art numérique à travers l’exemple de « Raoul Pictor cherche son style », une pièce du Suisse Hervé Graumann initialement réalisée en 1993.
Une œuvre pop signée Raoul Pictor, une des multiples possibilités numériques de sa palette de peintre virtuel. © DR
< 15'06'12 >
Raoul Pictor n’en finit plus de chercher son style
Durer en tant qu’artiste « numérique », mode d’emploi : « Raoul Pictor cherche son style » est une création numérique lancée en… 1993 par Hervé Graumann, qui connaît une énième mise à jour sur tablettes et smartphones. Comment ça marche ? Raoul Pictor est un peintre imaginaire plutôt très cliché avec son béret, sa blouse et sa palette, qui travaille dans un atelier virtuel tout coquet, bien mieux rangé que celui de Claude Closky ! A l’origine, le dispositif, acquis par le Frac Alsace en 1997, était composé d’une imprimante et d’un écran sur lequel s’exécutait le programme. En ligne, où il est difficile de savoir si l’internaute a ou non une imprimante, la « peinture » est montrée à l’écran, tandis que l’installation propose l’impression directe. La version pour Internet daterait de 2001 : Hervé Gaumann lui-même a quelques doutes ! Une fois connecté au site, on se demande ce que peut bien faire un peintre du Net. Raoul boit un verre, bouquine, se repose un peu, contemple sa toile. Très inspiré, il travaille mais le résultat nous échappe, jusqu’à ce que le programme nous montre son travail terminé et signé ! L’œuvre réalisée par Raoul est une « peinture », un motif aléatoire conçu par le programme informatique et toujours abstrait... Raoul ne chôme pas : il est ultra-productif et pas vraiment du genre artiste maudit donc déprimé. La preuve, il est toujours content quand il a terminé une toile sur la toile de la toile ! Raoul Pictor et son esthétique low-tech semblent traverser les temps de l’Internet. Raoul est un vieux peintre : presque 20 ans de pratique numérique, c’est rare ! Raoul est indémodable : son style reste tout autant intemporel et tout aussi aléatoire ! Raoul a même eu droit à une exposition au prestigieux Mamco de Genève en 2003, pour fêter son anniversaire, et aura à nouveau son heure de gloire à Strasbourg dans le cadre de l’exposition « Digital Art Works The Challenges of Conservation » (qui est passée par le Zkm et l’espace Gantner de Bourogne). Parler de cette œuvre, c’est parler de l’histoire du net-art, alors que beaucoup de créations du début des années 90 ne sont plus disponibles en ligne (site effacé...) ou accessibles (technologies obsolètes). Le Suisse Hervé Graumann a toujours fait en sorte d’adapter sa création aux nouveaux outils, un peu comme Miltos Manetas a sorti la version pour iPhone de son « Jackson Pollock » ! Côté technologies également, « Raoul Pictor cherche son style » a traversé les âges numériques : initialement programmé avec Director, le logiciel star des premières œuvres interactives, il a connu dès 2006 une version Flash, toujours en ligne actuellement, et a désormais son appli iPhone et iPad. « Raoul Pictor cherche son style » est emblématique des problématiques liées à la conservation des créations numériques. Son passage aux modèles applicatifs n’est pas sans risque, l’écosystème d’Apple étant tout aussi fragile en terme de conservation que « feu » Director et son format .dcr ! L’expérience tablette est cependant une réussite (on s’attendait quand même à ce que Raoul se mette à peindre avec ses doigts –ben oui, c’est tactile…). L’œuvre adaptée et modernisée reste gratuite. Dans les options, on peut choisir le temps d’élaboration de l’œuvre (Raoul peint, boit un verre...), le temps de monstration de l’œuvre que vous pouvez sauvegarder sur votre disque dur, et évidemment partager sur Twitter ou Facebook si ça vous chante ! Dans sa version « mobile », l’atelier est devenu interactif, on clique sur les murs pour changer la tapisserie, et il y a même une section documentation autour de l’histoire de cette création. Après ma collection de captures d’écran des « Sims », me voilà lancé dans la collection des œuvres de Raoul ! Pour compléter le tableau, une fiche complète sur ce travail ainsi qu’un son podcastable sont disponibles sur Digital art conservation. Aujourd’hui, tandis que Raoul Pictor continue de peindre, son créateur s’inspire une nouvelle fois de la culture numérique pour composer de magnifiques sculptures « en dur », réalisées en trompe-l’œil à partir de motifs répétitifs. Ses « Patterns » (modèles, patrons) sont un peu l’inverse de Raoul, ils sont réalisés par un humain à partir d’objets industriels manufacturés, alors que le peintre virtuel Raoul réalise ses peintures sans intervention humaine…
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