« Paysages d’ingérences 2 », exposition de Ryoichi Kurokawa, dans le cadre du festival Némo, du 8 avril au 7 mai 2011, vernissage le 7/04 à 18h30, Espace Synesthésie, 15 rue Denfert Rochereau, Saint-Denis (93), métro ligne 13 Saint-Denis-Porte de Paris (sortie boulevard Marcel Sembat) ou RER D gare de Saint-Denis (sortie place de la Gare).
« Rheo », performance de Ryoichi Kurokawa, le 7/04 à 20h30, Église Saint-Denys de l’Estrée, Saint-Denis, entrée libre (sur réservation au 01 40 10 80 78 ou à info@synesthesie.com).
On vous en avait glissé un mot à l’occasion d’Exit : Ryoichi Kurokawa est un peu partout en France ce printemps (Maubeuge, Créteil, Lille, Paris…), et ce don d’ubiquité nous ravit. Après donc la première de « Ground » à Créteil, le Japonais aux installations audiovisuelles mariant nature et technique investit l’espace Synesthésie (toujours pour « Ground ») et joue ce soir live à l’église Saint-Denys de l’Estrée, à Saint-Denis, la pièce en « 5 horizons » « Rheo », qui lui a valu un Golden Nica musique numérique et art sonore à l’Ars Electronica 2010, le festival nouveaux médias autrichien.
Il faudra un jour qu’un historien de l’art se penche sérieusement sur cette aptitude toute japonaise à proposer pour célébrer la nature les dispositifs les plus innovants, les installations les plus gourmandes en écrans géants et effets de spatialisation sonore. Malgré les catastrophes en série que subit l’archipel depuis le tremblement de terre du 10 mars, cette alchimie entre les Japonais et les fleurs, les plantes, les arbres et le ciel (cf la métaphysique d’un Miyazaki ou les joyeuses protubérances d’un Murakami, dans deux registres très différents) n’est pas près de céder. Tout comme nous fascine leur fatalisme face à l’adversité, le naturalisme technologique nippon est tout ce qu’il y a de plus envoûtant. Américain mais d’origine japonaise, John Maeda, précurseur du webdesign et d’un certain art du code, avait ouvert la voie avec « Nature », son exposition de « motion paintings » (des paysages numériques en mouvement), à la Fondation Cartier en 2005.
Ryoichi Kurokawa, né en 1978 à Osaka, appartient à la génération post-Maeda, mais il a lui aussi cette patte graphique qui articule la beauté plastique des images en mouvement. Lui y ajoute le son et la dimension live qui rajoutent à la dimension immersive. Le son devient image ou les images résonnent, c’est selon. Ambiance sonore et composition plastique s’imbriquent. On s’est habitué au spectaculaire des performances audiovisuelles (les live AV) qui ont fait la fortune de festivals comme les Belges de Cimatics (producteur de « Rheo »), les Canadiens d’Elektra, et les Franciliens Nemo (qui s’associent d’ailleurs avec Elektra pour un automne 2011 très AV). Cependant, la virtuosité technologique ne fait pas tout, et pour un Ikeda, combien de poudre AV aux yeux ?
Kurokawa, déjà très connu et reconnu dans son domaine (son CV s’en fait l’écho, qui le fait voyager partout dans le monde, de Rotterdam à Taipei en passant par Berlin), proposera ce soir à l’église Saint-Denis de l’Estrée, à Saint-Denis, une version live de « Rheo ». Nourri du Panta Rhei d’Héraclite (Platon résumant ainsi la philosophie d’Héraclite : « tout coule »), les écrans remixent les éléments naturels, l’eau, le courant, l’air, et construisent une boucle métaphorique.
« Rheo : 5 horizons », de Ryoichi Kurokawa, version installation, 2010 :
C’est aussi ce soir le coup d’envoi de l’exposition « Paysages d’ingérences » que lui consacre Synesthésie dans le cadre du festival Nemo, pour voir (ou revoir) le tryptique sonore « Ground », son plus récent travail, qui s’attaque à la nature… humaine et la traite avec la même douceur et le même respect que les éléments naturels.
Pourtant, à l’origine des images qu’il a redessinées comme un peintre (les références picturales sont évidemment très présentes dans son travail), les archives d’un reporter de guerre, le Belge Daniel Demoustier. Images d’actualité, de bombes, de manifestations, de violences, de guerres… Ce matériau aurait pu donner un côté sanguinolent, voire morbide à son installation. Au contraire, Kurokawa les sort du moment d’effroi dans lequel elles étaient confinées. Ces images du « chaud » de l’actualité fonctionnent toujours selon le même principe : la prime est donnée à ce qui tapera le plus fort dans l’œil du spectateur. En les bouclant comme en ralentissant le flot, Kurokawa redonne aux événements leur temporalité, comme si ces soldats qui deviennent toiles d’araignées avaient pris le temps de revenir chez eux et que ces manifestants s’estompant en grosses tâches laiteuses étaient partis retrouver leurs activités quotidiennes…
Même si ses images sont superbes, Kurokawa ne réenchante pas pour autant le temps présent, il n’édulcore pas l’actualité proche-orientale dramatique à la base de « Ground », mais sait faire oublier sa virtuosité pour donner une toute autre lecture du spectacle du réel que celle que diffusent les JT. Son paysage humain à lui est morcelé, fragmenté et en souffrance, mais la boucle qu’il opère redonne au temps une circularité qui, en nous dépassant, peut aussi apporter une once de sérénité. On suppute d’ailleurs que la performance de ce soir, dans une église, apportera une dimension transcendantale…