« Mutantes », documentaire de Virginie Despentes, le 2/04, 21h30, dans le cadre du Festival de films de femmes, précédé de la performance « Scum » de Catherine Corringer à 20h30, Maison des arts de Créteil, place Salvador Allende, Créteil, 7€.
DVD « Mutantes » (Blaq Out éditions).
L’artiste et actrice hard Annie Sprinkle est l’une des pionnières US du féminisme pro-sexe interrogées par Virginie Despentes dans son documentaire « Mutantes ». © DR
< 01'04'11 >
Virginie Despentes et les pro-sexe, histoires "Mutantes"

Avis aux âmes sensibles : dans ce documentaire féministe (interdit aux moins de 16 ans), il ne sera pas question de partage des tâches domestiques, ni de maternité et encore moins de disparités salariales. Non, si Virginie Despentes a pris sa caméra – avant son prix Renaudot 2010 pour « Apocalypse Bébé » –, ce n’est pas pour parler parité mais pour (re)tracer trente ans de féminisme pro-sexe. Diffusé pour la première fois en 2009, son film « Mutantes » court depuis les festivals. On pourra le voir en session de rattrapage ce samedi à Créteil, au Festival de films de femmes (une appellation qui nous fait le même effet bizarre que la journée du même nom, mais c’est un autre sujet…), en même temps qu’une performance de Catherine Corringer inspirée du « Scum Manifesto » de Valérie Solanas.

Pour un féminisme différent
Ce documentaire coproduit par Pink TV a été tourné en deux temps : d’abord en 2005, aux Etats-Unis, puis en 2008, à Barcelone. Au total, une trentaine d’entretiens menés au pas de charge, sur fond d’extraits de films, de performances et de musique martiale, style journal de 20h à la sauce porno punk. 2005 : Despentes sillonne l’Amérique à la rencontre « d’activistes, auteurs, artistes, réalisatrices, travailleuses sexuelles et théoriciennes qui ont initié dans les années 80 un mouvement révolutionnaire : le féminisme pro-sexe ». Pourquoi ce féminisme-là ? Pour la réalisatrice, interrogée par l’émission de Radio Campus, Maman a tort, lors de la présentation de son film l’an dernier chez Emmetrop à Bourges, « le terme féministe a été confisqué depuis dix-vingt ans notamment en France par des instances un peu chiantes, réactionnaires. Un féminisme classique qui a probablement son intérêt mais qui ne m’apporte pas de solutions : je me fous totalement des histoires de contraception, la famille ne m’intéresse pas. Être enfermée dans le féminisme peut être un piège, à chaque fois que tu fais quelque chose, tu le fais en temps que femme. Je ne veux pas être tout le temps une femme. Avec le féminisme porno punk, j’ai envie de dire à des gamines : on ne peut pas se fermer totalement au féminisme. Mais en aucun cas, il ne doit être laissé à des gens comme Antoinette Fouque ».

Pas d’Antoinette Fouque, donc, devant la caméra de Despentes (de toute façon, la créatrice des éditions des Femmes n’a pas répondu à sa demande d’entretien), mais les historiques d’un « féminisme différent », qui défend la prostitution, la pornographie, le SM, toutes choses considérées alors comme une atteinte à la dignité de LA femme, et bonnes pour la censure. Devant la caméra, on voit et entend des dames sages, filmées dans des intérieurs cosy ou des bureaux, qui expliquent leur volonté à l’époque de parler de leur corps comme elles l’entendent. Le film ne cherche pas à dérouler de la théorie mais à rappeler des évidences à l’origine de leur engagement.

« Mutantes », Virginie Despentes (extrait, 2009) :


Thé de cinq heures et porno
On commence simple, Annie Sprinkle renvoie les abolitionnistes dans leurs cordes : « Nous sommes féministes et nous aimons le porno. Si on en fait, c’est parce qu’on aime ça, nous ne sommes pas victimes. » On la voit montrer en public son col de l’utérus à la lampe de poche. Scarlot Harlot, dans un t-shirt Slut Unite, raconte qu’elle a commencé à se prostituer parce qu’en sortant de la fac, elle cherchait un moyen pour ne pas bosser quarante heures par semaine. Se rendant compte que les filles du salon de massage où elle débute sont le contraire de pauvres paumées, elle décide d’écrire sur sa vie et son métier comme, dit-elle, « Hemingway écrivait sur la guerre ».

La pornographie ou la prostitution généreraient de la violence ? Norma Jean Almodovar, ex-flic de Los Angeles devenue pute, a la réponse : « La violence conjugale est un immense problème dans le monde entier mais personne ne propose de supprimer le mariage. » B. Ruby Rich, professeur et critique, joue aux devinettes : « Qu’est-ce qui distingue la pornographie de l’érotisme ? L’éclairage. » Bref, on est en bonne compagnie, on attend le thé de cinq heures en causant prostitution et films porno. Ces femmes, on les adore et on ne se lasse pas de les écouter.

Explosion des normes
Mais Despentes s’en tient là. Trente ans d’activisme en ébullition et de féminisme mutant en quatre-vingt dix minutes, faut que ça file ! Après une transition rapide-rapide (Maria Beatty, Catherine Breillat, Lynnee Breedlove, Coralie Trinh Thi, Del Lagrace Volcano, Emilie Jouvet et son Queer X Show) dont Beatriz Preciado, son accent espagnol à couper au cuchillo et son explication en accéléré de la théorie queer seraient le pivot, c’est l’appel de Barcelone, où, après une traversée de l’Atlantique, le post-porno a posé ses valises. Virginie Despentes aussi d’ailleurs, qui y a vécu quatre ans, avant de réintégrer Paris pour tourner une adaptation de son livre « Bye Bye Blondie » (le film sortira en septembre 2011). C’est dans la capitale catalane qu’elle filme les héritières des Américaines, les nouvelles combattantes pro-sexe, les punks activistes du post-porno. Celles de la nouvelle révolution féministe, qui, d’après elle, « confrontent Mad Max à Judith Butler ».

Finis les canapés cosy couleur panthère, place à la rue et aux performances trash, c’est la guerre et il n’y a qu’une seule consigne : exploser les codes normatifs. Ce qui se traduit par toutes sortes de transformations et de mixages de genres (si le genre est un cache-sexe, on va lui arracher le slip), par des numéros tout-terrain avec des godes qui poussent partout, du sang, des fouets, des prothèses, de la rage. Ça défouraille dans tous les sens, explore sous toutes les coutures, c’est brutal, punk et expérimental. Du lard et du porno, de l’art et du cochon. Des expériences qui relèvent de recherches en laboratoire. Selon Maria LLopis du collectif GirlsWhoLikePorno, « parler de sexe et de désir avec d’autres codes, d’autres formats, parfois ça marche, parfois ça foire, parfois c’est incompréhensible. Mais c’est cette recherche qui est excitante dans le post-porno ».

Tout foutre en l’air
Despentes ne disait rien d’autre en 2006 à la fin de son livre manifeste « King Kong Théorie » (dont « Mutantes » serait la version filmée) : « Le féminisme est une aventure collective. Une révolution bien en marche. Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l’air. » Son film est non seulement un important témoignage historique, éducatif, accessible, de cette aventure, mais c’est aussi, des Etats-Unis à Barcelone en passant par la France, le reflet de son parcours et de sa réflexion : une enquête autant qu’un film personnel. D’autant plus appréciable qu’en France, l’histoire du féminisme pro-sexe reste encore mal connue, voire confidentielle.

En attendant la déclinaison de « Mutantes » en kits pédagogiques « le féminisme pro-sexe à travers les âges », la sexualité est encore un « enjeu » (comme disent les spécialistes) et la mutation – par essence – toujours en cours. Qu’arrivera-t-il quand tout le monde se sera entré dans tous les trous possibles et imaginables, aura dilué son genre, échangé ses organes sexuels dans un jeu de rôle sans queue ni tête, les aura désinvestis de leurs « mystères », de leur pouvoir d’attraction et de leur capacité de reproduction, pour en faire uniquement des machines à pilonner-enfouir-ingurgiter-régurgiter ? Nul ne le sait, mais il a bien l’air de se passer quelque chose.

julie girard 

votre email :

email du destinataire :

message :