Promenades floues de Mathias Poisson et Manolie Soysouvanh (guidées par Manolie Soysouvanh et Lynn Pook), le 27/06 à 13h et 17h au festival Seconde Nature à Aix-en-Provence (13). Réservation obligatoire au 04.42.64.61.01 (gratuit).

Promenades blanches de Mathias Poisson et Alain Michard, les 27 et 28/06 dans le cadre d’un parcours artistique « Week-end à la Cité » au théâtre de la Cité internationale, 17 bd Jourdan, Paris 14e (de 10 à 21€ pour un après-midi de parcours).

Exposition « Graphie du déplacement » de Mathias Poisson jusqu’au 17/07 au Centre culturel Colombier, 5 place des Colombes, Rennes (35). Gratuit.

La vie en floue, selon Mathias Poisson, soit une paire de lunettes et des jeux de couleurs pour brouiller la ville. © DR
< 26'06'09 >
Au secours, ce monde est devenu flou

Et vous, comment voyez-vous quand vous ne voyez pas ? C’est la question posée par les promenades, floues ou blanches, co-concoctées par le plasticien-danseur basé à Marseille Mathias Poisson, et proposées ce week-end respectivement à Aix-en-Provence et au théâtre de la Cité internationale à Paris. Question qui permet de se mettre temporairement à la place d’un malvoyant, autant que de perturber notre rapport à la réalité. Quand certains arts techno superposent logiciels, arnachement de machines et martèlement sons-images pour nous faire décoller, ici une simple paire de lunettes suffit.

Selon leur point de vue
Designer industriel de formation, Mathias Poisson travaille sur l’idée de paysage et de promenade depuis 2001 (guide touristique expérimental, cartographies sensibles, balades au casque, cabanes vivantes…). Menant une série d’ateliers en 2006 avec des déficients visuels à Bordeaux, il crée des cartes en braille, puis s’inspire de leur point de vue : « Je leur ai demandé de me décrire leur vision et j’ai créé des lunettes qui la reproduisaient, explique l’artiste, rencontré début juin à Aix au festival Seconde Nature. Certains ont une vision uniquement périphérique, j’ai donc fabriqué des lunettes avec un cache sur la partie centrale, d’autres des visons plus ou moins floues, que j’ai traduites en polissant, vernissant, ponçant des lunettes de meuleur. » Elargissant cette expérience aux clairvoyants, ce sont ces dernières qu’il leur met sur le nez avant de les guider pendant plus d’une heure en compagnie d’un autre danseur sur un parcours soigneusement choisi : avec les danseurs-chorégraphes Manolie Soysouvanh pour les promenades floues (où le participant est individualisé), Alain Michard pour les promenades blanches (où un binôme composé d’un guidant et d’un guidé intervertit les rôles à mi-parcours).

Une drôle de procession
Imaginez une poignée de promeneurs mutiques, portant de grosses lunettes en plastique transparent, naviguer par pas mesurés et bras tâtonnants dans l’espace urbain, suivant deux danseurs -repérables par leurs vêtements rouges- tout aussi silencieux qui leur courent autour, se fondent dans les murs ou d’un seul coup s’enfouissent sous des tissus. Vu de l’extérieur, c’est déjà bizarre : « Qu’est-ce qu’ils font ? » demande une petite fille d’Aix à son père. « Euh, ils font les malins. » Derrière les lunettes, c’est pire : perte des repères, des distances, de la profondeur de champ, érosion des contours, nébuleuse de tâches colorées… La vision est modifiée, toutes les perceptions avec quand il faut se mettre à marcher. D’abord reconstruire son équilibre, anticiper les obstacles à très court terme, et peu à peu devenir suprasensibles à l’intensité de la lumière, au souffle du vent, aux températures, aux odeurs, au bruit des voitures et au chuchotement des silhouettes qu’on croise et qu’on frôle maladroitement. Le temps se ralentit, il devient plus précis.

Le pacte des flous
La ville se transforme en spectacle, en tableau psyché mis en scène par les danseurs qui jouent avec les variations chromatiques et la diversité des zones traversées, couloirs, esplanades, rues, rayonnage de bibliothèque, cinéma... Le monde se radoucit (le flou coud une ouate protectrice) en même temps qu’il devient plus hostile : les espaces habituellement maîtrisés sont à réapprivoiser (pousser une porte, traverser une rue). Amis claustrophobes et sujets au vertige, accepter de traverser à l’aveugle une passerelle vibrante des voitures qui vous passent dessous sans balancer vos lunettes et rentrer en courant chez votre mère est une expérience qui vous épargnera dix ans de psychanalyse. Il s’agit d’une histoire de confiance, d’un pacte conclu avec les danseurs-guides et avec soi-même. « Manolie Soysouvanh s’intéresse au Qi-Jong chinois, dit Mathias. On est dans les mêmes notions : l’abandon, se laisser porter par les énergies. Tout dépend des participants, certains sont très à l’aise, courent avec nous, d’autres beaucoup plus lents, plus hésitants. » Commentaire d’un type après avoir ôté ses lunettes : « C’est la plus douce des drogues que j’ai jamais prises. »

julie girard 

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