« Home Movies 1040 », Jim Campbell, installation vidéo à partir de 1040 LEDs, 2008. © DR
< 26'03'15 >
« Exit » le cinéma, par ici le « Home Cinéma » à Créteil
(Maubeuge, envoyée spéciale)
« Home Cinema », la théma 2015 de l’exposition des festivals VIA et EXIT (inauguration ce 26 mars à Créteil), explore tout à la fois le 7ème art et sa réappropriation par les technologies numériques, avec 25 installations d’artistes internationaux. Sans oublier les formes hybrides de spectacle vivant qui font d’Exit-Via le coktail survitaminé de cultures pop à ne pas rater. Pour l’édition 2015, on ira voir en vrac l’opéra pour dix caissières des Lituaniens Vaiva Grainyté, Lina Lapelyté et Rugilé Bardziukaité, les « Biopigs » de Xavier Boussiron et Sophie Pérez, la chorégraphie psyché d’Umeda, ou encore l’enfer robotique de Bill Vorn et LP Demers (programme complet ici).
Côté exposition, le « home cinéma » vu par le prisme des artistes numériques n’a pas grand chose à voir avec la pratique des youtubeurs ou même des musiciens en home studio. Il faut plutôt lire cette thématique comme une vision étendue des images « post-cinématographiques ». Le cinéma induit une expérience linéaire : on y assiste à une histoire qui se déroule dans un temps donné, avec un début, un milieu et une fin. Avec le numérique, tout a été bousculé. L’exposition s’emploie à montrer les variations autour du même thème. Comme dans « Dérives », où Émilie Brout et Maxime Marion ont collecté des séquences de films liées au thème de l’eau qu’ils classent et annotent. Le programme procède alors à des associations qu’il enchaîne selon différents moyens stylistiques (ruptures, contrastes, crescendo), proposant des possibilités de lectures toujours changeantes, à l’image de l’eau qui ne coule jamais deux fois de la même façon.
« Fractal Film » d’Antoine Schmitt et Delphine Doukhan propose une autre version des possibilités génératives. Une scène dansée –des corps dans un espace neutre, rouge et noir– et l’œil de l’ordinateur qui la parcourt par fragments. Les cadrages et les mouvements dévoilent le même à l’infini, la ritournelle fredonnée en boucle accompagne l’épuisement du regard.
« Fractal Film », Antoine Schmitt et Delphine Doukhan, extrait :
Après l’ordinateur-réalisateur, une autre option est de mettre le public aux commandes. Dans « Dépli » de Thierry Fournier, des commandes tactiles et sensuelles permettent de sélectionner les scènes et d’influer sur leur vitesse et leur sens. Avec « Memory », Laure Milena et Raphaël Elig nous laissent puiser dans des banques de données de films de familles pour les associer à des bandes sonores… Sur trois écrans côte à côte, les souvenirs en cascade évoquent l’universalité du temps de l’enfance.
« Hold on » (Emilie Brout et Maxime Marion, 2012-2013) détourne une interface de jeu d’arcade pour littéralement jouer des séquences de films célèbres tels « Shining » ou « La fièvre du samedi soir », à la manière d’une mémoire culturelle commune revisitée sur un mode ludique.
« Hold on », Emilie Brout et Maxime Marion, 2012-2013 :
Plus inquiétant, « SOMA » de Guillaume Faure, place aussi le spectateur au centre de l’installation mais le prive du choix de l’interaction. Installé seul dans une petite capsule, les doigts posés sur des capteurs, il voit évoluer scènes, couleurs et sons sélectionnés par l’ordinateur en fonction de ses réponses émotionnelles. Les propositions de montages influent à leur tour sur le mental du cobaye, sujet et objet se confondent.
Ciné maison et casque VR
Cette expérience immersive nous mène aux dispositifs de réalité virtuelle. Restés longtemps confinés au stade du fantasme, les casques de réalité virtuelle (VR) permettent désormais de se projeter entièrement dans un autre univers. Nous nous retrouvons au cœur de l’œuvre, en l’occurrence « 360° », de la chorégraphe Blanca Li, et l’effet est bluffant (à voir ici sans casque). On s’assoit, on enfile un Oculus Rift et nous voilà assis au bureau d’un open space au milieu de collègues affairés. Progressivement, les mouvements se font danse et nous devenons le centre de la vidéo de la danseuse espagnole. La physicalité des danseurs, parfois très proches, nous renvoie tout à coup à l’absence de notre propre corps : en place de mes genoux, il y a le sol, je ne peux pas voir mes mains… comme dans un rêve. C’est peut-être là que se joue la sensation de vertige, entre don d’ubiquité et perte de soi.
SZajner s’attaque quant à lui au film à sensation avec « Immateriality #5 ». Équipée de lunettes 3D, je vois surgir à pas lourds un dinosaure gigantesque qui me souffle (littéralement) au visage. Le réflexe de recul est inévitable, accompagné d’un délicieux et rapide pic d’adrénaline, accentué par la surprise de cette quatrième dimension.
« Formal Fiction », Julien Maire, « Man at Work », 2014. © DR
Adaptation low-fi du procédé de relief, « Form Fiction » de Julien Maire projette des scènes réalisées en résine avec une imprimante 3D qui défilent dans un appareil à diapositives customisé pour cet usage. Si l’on revient à la magie originelle de la projection, la beauté esthétique réside davantage dans le dévoilement du procédé que dans le film en tant que tel.
Même impression rétrofuturiste avec la pièce d’Evangelia Kranioti : des rouleaux de tissus sur lesquels les images sont tissées une à une, fourmillement des broderies en écho au grain de l’image et aux pixels de leurs équivalents numériques. Autre décomposition poétique de la lumière, celle de l’Américain Jim Campbell qui retourne dans « Home Movies 1040 » (2008) des bandes de LEDs vers le mur, seules trames précises en contre-jour sur le flou expressionniste des images projetées.
« Précursion », Thierry Fournier, 2014. © DR
L’exposition ne s’arrête pas à la projection, à la narration, à l’image même qu’on conçoit et perçoit au cinéma, elle explore aussi le tournage. C’est le cas de Jung Yeondoo qui nous propose d’intégrer l’envers du décor, ou des énormes machineries du Néerlandais Marnix de Nijs. L’hybridation des médias n’est pas en reste, avec la mise en perspective d’images filmées in situ à Maubeuge, fil d’information et de musiques de films récolté dans « Précursion » par Thierry Fournier.
« El Paraiso », Mariano Pensotti. © DR
Au final, le cinéma en tant que spectacle disparaît entre adresses IP qui s’échangent des films (« Pirate Cinema » de Nicolas Maigret) et mini-salles désertées devant des ébauches de projets avortés (« El Paraiso » du metteur en scène argentin Mariano Pensotti). Il se résout à la pure fréquence, se réduit même en particules sonores et lumineuses séquencées dans les installations des Belges de LAB(au) (« Particle Synthesis ») et du Québécois Nicolas Bernier (« Frequencies (Light Quanta) »).
« Frequencies (Light Quanta) », Nicolas Bernier, 2014 :
Sarah Taurinya
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