L’installation vidéo « Les Dépossédés » de Nicolas Boone est présentée aux ateliers Vortex, lieu de résidence, de création et de recherche, du 27 mars au 9 avril 2015, du mercredi au dimanche de 14h à 18h30, 71-73 rue des Rotondes, Dijon.

Poptronics publie le texte écrit par la net-artiste Agnès de Cayeux pour Nicolas Boone à cette occasion, enrichi des films composant la série des « Dépossédés ».

« Les Dépossédés » (en haut : « Pattern », en bas : « La fin de la mort »), de Nicolas Boone, 2012 (captures écran). © Nicolas Boone
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Les Dépossédés de Nicolas Boone

Aux ateliers Vortex de Dijon, Nicolas Boone expose « Les Dépossédés », du 27 mars au 9 avril. Deux vidéos se répondent, qui explorent un monde où la mort serait un lointain souvenir, dans un parfum d’apocalypse post-société de l’information. L’artiste Agnès de Cayeux a écrit pour Nicolas Boone et ses « Dépossédés ». Poptronics publie ici son texte, augmenté de la série de Nicolas, à la façon d’une exposition hors sol.


© Nicolas Boone


Nicolas Boone est de ceux qui réinventent le monde en images. Et son monde à lui est très particulier. Sorte de paysage embarqué ici de corps désorientés, là de cerveaux dépossédés ou ailleurs de géographies irritées. Tout se passe comme si rien ne s’était déroulé, comme si nous rejouions la boucle, mais quelle boucle ?

Ici tout est simple, une seule et même matrice pour tous, celle d’un constat, celui de la catastrophe de l’uniformisation de nos esprits et vos corps en cette machine puissante de l’internet qui annihile chacune de nos marches et l’ensemble de vos membres.

L’interface se déploie en une sorte de rhizome qui nous rappelle à nos empreintes digitales, à nos amours de silicium, à mille écrans, mille visages, mille et une connexions. Et ailleurs, juste aux abords de ces appels silencieux et de ces gestes inversés, se livre un paysage supplémentaire, sorte de hors-champ libre et dénudé.

Que s’y déroule t-il ? Que s’est-il passé ? Qui y habite ? Qui est-il ?
Evidemment, nous ne l’apprendrons jamais, car les 4 chapitres des « Dépossédés » se partagent cette zone aux allures spectrales, et ceci en toute discrétion, sous notre surface pré-programmée à présent devenue lisse. Nous ne pouvons qu’imaginer une suite de 0 et de 1 détruire nos fichiers résiduels, inverser le ressac de nos flux, supprimer la blessure la plus rapprochée du soleil. Des mathématiques sans chiffre, nous dit-il.

Chapitre 4, « Pattern », Nicolas Boone, 2012, images Marianne Tardieu et Ernesto Giolitti, prises de vues Steadicam John Morrison, 06:46:00 :



Il parle de corps nus, de corps désorientés, de ceux qui ne sont plus que des fantômes. Je vois une femme qui embrasse un homme mais je me trompe, elle l’aspire, elle suce sa substance, elle suce ses mots, ses pages et désirs. Puis, elle le quitte. Je vois des hommes qui dansent et d’autres qui relancent quelques corps éteints. Et puis, il y a ces deux corps allongés que les femmes continuent d’aspirer. Tout semble très calculé. Il fait froid dans cette cave biologique version boîte de nuit. Je regarde les écrans connectés, les femmes transférées, j’écoute cette suite bio-mécanique musicale et j’ai peur. Peur que le soleil reste immobile, peur de me faire séquencer ainsi, gazer, éjecter de ce paysage unifié qui est le mien. Cette plage similaire sur laquelle je demeure étendue là des nuits entières à contempler mon double gémellaire. Un monde sans soleil.

Chapitre 1, « L’onduleur », Nicolas Boone, 2012, images Joe Bender, scénario Jean Paul Jody et Nicolas Boone, tournage au Togo, 13:50:00 :



Le projet High Frequency Active Auroral Research Program les fascine. Ce programme de recherche militaire sur l’ionosphère et son champ de 180 antennes phasées dipôles les passionne. Les ondes leur appartiennent, ils les décryptent. Ils étudient cet état de conductibilité électrique caractérisé par une ionisation partielle des gaz et savent que lorsqu’il sera transformé et manipulé, il engendrera des catastrophes naturelles immenses. Alors, ils inventent la possibilité d’un onduleur, un camion de couleur bleue, un taxi-brousse affublé d’immenses antennes. Leur onduleur mobile est un projet de manipulation de l’état mental des humains par les ondes qu’il émet. Les enfants le suivent, les femmes sont attirées par lui, les hommes le combattent, les communautés s’assemblent aveuglément, puis sont aspirées par lui pour ne ressembler qu’à un corps uniforme et défait de son propre corps. Le village se vide des uns et des autres, l’onduleur a gagné semble-t-il. La fable se déroule au Togo, dans les villages de Badougbé et Mélomé, d’un champ de haricots à ces ruelles de sable rouge.

Chapitre 3, « Expansion », Nicolas Boone, 2012, avec Eric Abrogoua, scénario Nicolas Boone et Philippe Rouy, montage Marie Voignier, son Thomas Fourel, 17:06:00 :



À la fin, ils s’avancent avec certitude, ils sont une centaine et s’approchent du rivage. À la fin, nous entendons le bruit du ressac, le cri des mouettes et celui de leurs pas qui enjambent les troncs d’arbres laissés là sur le sable noir par les marées successives. À la fin, ils ne s’arrêtent pas et se laissent engloutir de leurs pas dupliqués, leurs regards incertains, leurs corps ébahis. Cette noyade est terrifiante, elle me hante. J’ai croisé un homme sur un rocher qui me parlait de la fin du monde et de la réalité disparue, sorte de spectre digital. Il disait que les programmes ont été corrompus et que nous ne sommes rien d’autre que des avatars errants à jamais. J’ai croisé une femme vêtue de blanc et son cheval, elle murmurait qu’ici tout était simple, nos bioports archaïques, l’intelligence superficielle. Elle parlait d’une organisation qui se méfie de la complexité. L’organisation est le métavers. J’ai croisé des fantômes, 4 fantômes qui récitaient une sorte de poésie sans vers, sans virgule et sans majuscule.
derrière les paysages des murs en briques
dans la lumière un noir profond
la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil
toute trace laisse une plaie
des mathématiques sans chiffre
Puis, j’ai croisé un homme qui remontait le cours de la rivière.


Chapitre 2, « La fin de la mort », Nicolas Boone, 2012, scénario Jean Paul Jody et Nicolas Boone, images Marianne Tardieu et Ernesto Giolitti, 13:45:00 :



Il dit que nous sommes devenus immortels. Après 9 minutes et 59 secondes de paroles programmées, l’homme noir vacille, il le sent, ses yeux se transforment en billes blanches. Son corps s’envoûte sous le silence des mots aspirés. Il dit de nos consciences qu’elles sont dépouillées, puis téléchargées. L’homme noir vacillera une seconde fois à 12 minutes et 17 secondes. Il dit qu’elles sont déjà dans nos corps, sous la peau et en tout ce qui nous entoure. Il dit que tout est falsifié, les océans aussi, les paysages des murs de briques, les champs de haricots, les ruelles de sable rouge, les caves boîtes de nuits, les rivages, les paysages. L’homme noir est un prédicateur.

agnès de cayeux 

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