Extension du domaine du corps, le transhumanisme promet un avenir cyborg où la chair et la technologie ne feraient plus qu’un. Si la théorie séduit, la pratique des implants et autres scarifications technoïdes a de quoi faire peur. Sébastien Wesolowski, jeune journaliste, a passé le cap dans le cadre d’une enquête sur le corps post-tatoué, réalisée au cours de son année de master en journalisme culturel à la Sorbonne nouvelle. Son récit en dit plus long sur la séduction que le transhumanisme opère auprès de nos contemporains que bien des enquêtes. Une jolie tranche journalisme « engagé » (avec son coprs) que Poptronics lui a proposé de relayer.
Mon implant à la radio. © Sébastien Wesolowski
< 06'05'15 >
J’ai été transhumain pendant trois jours
Quand j’ai découvert les implants magnétiques, j’ai d’abord pensé qu’ouvrir sa chair pour y glisser un aimant ne pouvait être qu’une initiative de poseur décérébré –pourquoi diable aurait-on besoin de s’aimanter quoi que ce soit, où que ce soit ? Quelques clichés montraient des types soulever des trombones du bout de leur doigt. C’était rigoureusement inutile et fascinant. Puis j’ai compris qu’introduire un aimant sous sa peau permettait aussi de percevoir les ondes dégagées par les appareils électriques. J’ai alors entamé ma route vers le transhumanisme, sans savoir qu’elle serait très courte. Toutes ces photos d’annulaires hérissés de pièces de monnaies, de cannettes et de jouets aimantés ne rendaient pas justice à l’autre propriété des implants, de loin la plus intéressante : ils réagissent à portée d’un champ électromagnétique tel qu’en dégagent les lignes à haute tension, les réfrigérateurs, les blocs d’alimentation des ordinateurs portables et tout ce qui est électrique en général. J’ai passé plusieurs jours à tout vouloir savoir sur les implants magnétiques. Je n’avais alors qu’une seule question : comment ça fait d’avoir un aimant dans le doigt, qu’est-ce qu’on sent ? Ceux qui disposent déjà d’un tel implant peinent à décrire leurs sensations. Cinq mois après la pose du sien, Nathan Roseborrough expliquait sur son blog Feeling Waves : « Je peux sentir la texture des champs éléctromagnétiques. Celui de l’alimentation de mon réveil est lisse et doux. Celui de l’adaptateur secteur de mon rasoir électrique est dur et irrégulier. » Ces lignes m’ont décidé. Tout comme le reportage sur les « cyborgs » de Ben Popper pour « The Verge ». « Biohacker : A journey into cyborg America », Ben Popper (The Verge) (2012) : Un cylindre gris prisonnier d’un sachet stérile Une poignée de requêtes sur Google m’a suffi pour trouver le body modder qui allait réaliser l’implantation. Après m’être assuré que je ne me jetais pas sous le scalpel d’un dangereux charlatan, je suis allé lui rendre visite. Nous avons discuté de la procédure, de ses suites et des propriétés de l’implant pendant une quarantaine de minutes. Il m’a montré l’aimant, un petit cylindre gris prisonnier d’un sachet stérile. Il mesure environ deux millimètres de large sur quatre de long et est assez puissant pour soulever un beau trousseau de clés. Quelques jours plus tard, je poussais à nouveau sa porte pour l’opération, la vraie. Un petit pansement et je passe à la caisse Je me lave les mains pendant plusieurs minutes avec de la Bétadine pendant que le body modder sort son matériel : un cathéter de 3,2 millimètres de diamètre, une tige en métal et l’implant magnétique (tous sont visibles sur la photographie ci-dessous). Pour éviter tout risque d’infection, il badigeonne ma main de teinture d’iode avant la procédure. Dès lors, tout va assez vite. Après avoir fait un trou dans mon annulaire avec le cathéter, il enfonce l’implant dans la plaie avec la tige en métal. Sans anesthésie, puisqu’il n’est pas médecin, il n’a pas accès aux substances nécessaires. Heureusement, l’opération dure moins d’une minute. Un petit pansement et je passe à la caisse. Il m’en coûte 150 euros, pièces et main-d’œuvre.
Aux cours des jours suivants, je surveille la plaie de très près en changeant mon pansement. Assez vite, je m’inquiète. La plaie ne se referme pas. Elle saigne toujours, doucement mais sûrement. Je n’ai pas vraiment mal, mais j’ai de plus en plus de mal à plier ou à tendre mon doigt. Deux jours après l’opération, j’envoie des photographies de mon doigt au body modder, qui me demande de passer le voir tout de suite. Il asperge mon doigt d’eau oxygénée et me propose de faire un point de suture, 48 heures après l’opération. Il est inquiet et peine à le cacher. Je dis non, il me suggère d’aller à l’hôpital mais de ne pas leur dire que j’ai été implanté : « Ils vont te le retirer si tu leur dis. » Tant pis, tant mieux. La plaie est infectée Arrivé à l’hôpital, j’explique tout. Les réactions du personnel soignant sont variées, du dégoût méprisant à l’intérêt sincère. Une infirmière me prend en charge, je lui explique, elle s’étonne et finit par me cribler de questions : est-ce que je sens les ondes de l’ordinateur, est-ce qu’il y a beaucoup de gens qui font ça, comment est conçu l’aimant ? J’attends presque deux heures aux urgences avant qu’on ne m’installe dans une salle sur la porte de laquelle il est écrit « Petites interventions ». Je souffle et me dis que je vais peut-être pouvoir rentrer chez moi le soir même, voire aller au boulot le lendemain. La médecin arrive et brise mes espoirs : la plaie est infectée, à l’intérieur. Je n’ai pas la moindre idée de la manière dont ça s’est produit, mais c’est fait et c’est pour ça que mon annulaire raidit et rougit d’heure en heure. Je vais être opéré, en anesthésie locorégionale, on va ouvrir mon annulaire et en retirer les tissus infectés. Et l’implant ? Et l’implant. « Si vous étiez venu plus tard, ça aurait pu être bien pire. »D’abord, je passe en radio. On m’assoit sous la grosse machine, deux prises, c’est vite fait. L’opérateur est gentil, il manipule ma main doucement, demande ce qui m’amène, écoute, rigole et me lance sans ironie : « Tu comptes le refaire une fois qu’on t’aura retiré celui-là ? » Il ne rit plus en me montrant la radio. L’implant magnétique est enfoui profondément, trop près de l’os. Ce n’est pas bon, il va falloir qu’un chirurgien orthopédiste me prenne en charge. Mais pas dans cet hôpital, il est trop occupé. J’entends quelqu’un décrocher un téléphone et demander une opération d’urgence. On me pique le doigt pour savoir si mes vaccins sont à jour, la réponse est oui. Une demi-heure plus tard, la médecin me tend une ordonnance et une lettre adressée à un hôpital de banlieue. Il faut que je rentre chez moi et que je reparte très tôt le matin pour aller là-bas. Si j’ai mal, un Doliprane. Rien pour l’infection. Il est un peu plus de 2 heures du matin. Salle d’opération Cinq heures de sommeil replètes et j’arrive sur place vers 8h30. « Pourquoi vous ont-ils envoyé ici ? me lance l’infirmière qui gère les admissions. Les opérations chirurgicales ne commencent qu’à 14 heures ». Un médecin urgentiste appelle le premier hôpital pour les engueuler. On m’ausculte, des infirmières curieuses viennent voir. Et puis, j’attends encore. Cette fois, on me fait remplir des fiches. Je n’ai rien avalé depuis le déjeuner de la veille et quand on vient me chercher pour le bloc, j’ai oublié que j’avais faim. Il est environ 15h30, on me met dans un brancard, direction la salle d’opération du quatrième étage en ascenseur VIP. La salle d’opération est rassurante, blanche et éclairée naturellement par une large baie vitrée. Elle ne sent rien et il y fait très froid, une soufflerie fait du bruit, la chirurgienne s’en irrite. Mon bras est badigeonné de Bétadine jusqu’à l’épaule, puis garroté. L’anesthésie fonctionne, je ne sens plus du tout mon doigt et à peine ma main. On tend un parc stérile au dessus de ma tête pour m’empêcher de voir l’opération. Derrière, ça chuchote ; je comprends qu’un interne est en train de m’opérer sous les ordres de la chirurgienne. Une fois encore, tout va très vite. Alors que je me demande s’ils ont commencé, on m’annonce que c’est fini et qu’il y avait bien une infection. On retire le parc stérile qui m’empêchait de voir et je découvre que mon annulaire a été enrobé dans un bandage qui doit faire trois centimètres d’épaisseur. En dessous, il y a deux points de suture. Je vais les garder pendant deux semaines. Un beau foirage Une fois sur le brancard, on m’emmène en salle de réveil. Trois infirmiers viennent me voir, ils n’en reviennent pas, ils rigolent. Ils sont tous piercés et tatoués, parfois ostensiblement. L’un des deux va même chercher la poubelle jaune de la salle d’opération et en extrait l’aimant avec une pince. Je me dis qu’il va falloir que j’invente un mensonge à raconter à ma mère. Quand on me redescend finalement à l’étage inférieur, il est presque 16 heures. Fin de l’aventure. Plus d’un mois plus tard, mon doigt va très bien et je n’ai pas le moindre regret. Ça a été un beau foirage. Je savais que ça pouvait foirer. Pas de chance, ça a foiré. Tant pis. Le body modder qui m’a opéré s’est excusé mille fois, il est venu prendre des nouvelles tout au long de mon aventure hospitalière. Il a remboursé mes frais médicaux et la procédure. J’ai fait un blog pour raconter mon expérience en détail. J’ai été transhumain pendant presque trois jours. Ça valait le coup.
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