Alors que le confinement nous figeait-glaçait dans un temps devenu incertain, l’éclectique équipe de Poptronics avait décidé de faire entendre la petite musique déviante qui nous rassemble, que l’on soit artiste, autrice, journaliste en rupture de médias classiques ou saltimbanque de la culture en mode crise majeure. Cet état d’esprit « pop’confiné » a notamment donné lieu à une série d’émissions diffusées sur πnode, les « PopAntivirus ».

L’artiste Christophe Jacquet dit Toffe, qui est aussi le directeur artistique de Poptronics (depuis la conception du site, sa typo et son logo jusqu’à son livre anniversaire), a pris son temps. Le temps du confinement précisément, pour fabriquer et regarder le temps faire son œuvre, et nous offrir la série « NUMÉRISER », dont le premier film est ici révélé.

Ce temps dilaté, diffracté, chacun l’a vécu différemment. Christophe Jacquet nous avait expliqué que le confinement ne changeait pas énormément son quotidien, sauf à essentialiser sa relation à l’alimentation, au ravitaillement. Et nous proposait de nous envoyer des scanographies alimentaires, pour revenir à une forme de frugalité numérique. Toffe a transformé l’observation crue, pragmatique et lucide de ses provisions en ressource pour une création. « NUMÉRISER » est un projet qui suspend le temps, qui exige de son regardeur patience et lâcher-prise, ces deux qualités que la période nécessite.

Il n’y a pas d’erreur d’affichage : la lenteur de la révélation de l’image dans les cinq films qui constituent la série « NUMÉRISER » est celle de la durée du scan en haute résolution (800 dpi). Le protocole est des plus sobres, comme si Toffe avait enclenché une pratique monacale, méditative, ascétique : observer ses ressources, l’intérieur de son réfrigérateur, en extraire les navets, les radis noirs et roses, ces légumes racines qui ont le bon goût d’être tout à la fois savoureux et bons pour la santé. Les scanner comme on établirait un constat, les relier au présent qui dure, les figer/animer dans une artificialité, dans ce film nature morte qui se dévoile et dévide son fil lentement. Ce fil rouge, un fil à bâtir récupéré dans les archives d’une lointaine exposition, relie machine et nature, lie le temps présent-passé-futur, donnant à voir une forme brute et dépouillée, sans artefact. Cet exercice méditatif évoque la création en temps de crise. « On fait avec ce qu’on a. On prend le temps. C’est l’histoire qui se fait. »

Prenez donc le temps de cette incursion organique dans la machine. L’artiste conseille de mettre le film plein écran et le son de la machine au maximum.

« FIL À BÂTIR NAVETS NOUVEAUX 280320 16:53PARIS 519,6MO 310×437MM EPSONEXPRESSION10000XL 3’35’’ »

annick rivoire